Coupures et délestages de l’électricité : les petites et moyennes entreprises à l’agonie

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Le Mali connaît depuis des mois des coupures et délestages intempestifs d’électricité. Touchant particulièrement les petites et moyennes entreprises, cette situation affecte négativement la croissance économique en faisant chuter la production nationale tout en ayant des répercussions négatives sur le chômage.

 Tailleurs, menuisiers, soudeurs, vendeurs de glace, etc., les petites et moyennes entreprises sont fortement touchées par les coupures et délestages intempestifs de l’électricité. « Je paie chaque jour 20 000 FCFA de carburant pour faire fonctionner le groupe électrogène. Ce qui me fait 140 000 Fcfa par semaine et 560 000 Fcfa par mois », affirme un soudeur à Kalaban-Coura, qui se dit désabusé par les coupures et délestages intempestifs. L’homme dit n’avoir pas le choix. « C’est le seul moyen pour moi de respecter le délai de livraison des produits afin de ne pas perdre ma clientèle », témoigne-t-il.

Son voisin, le vendeur de jus de fruits, n’a pas eu cette chance. Lui qui a impuissamment assisté à la pourriture de ses produits par faute d’électricité. Ne sentant pas d’amélioration dans la fourniture d’électricité, il a été contraint de se procurer un générateur afin de pouvoir travailler entraînant ainsi des dépenses supplémentaires. Puisqu’il lui faudra payer du carburant pour faire fonctionner son groupe électrogène. Si la situation perdure, beaucoup d’entre eux vont mettre la clé sous le paillasson puisqu’ils seront incapables de faire face aux charges.

Ceux qui n’ont pas les moyens passent la journée à poireauter devant la porte de leur magasin en prenant du thé. C’est le cas du photographe dont l’atelier est situé dans la même rue. Le cas du soudeur, du vendeur de jus de fruits et du photographe n’est que la face visible de l’iceberg et est révélateur des difficultés qu’éprouvent la population malienne face aux coupures et délestages de l’électricité. C’est aussi le signe que l’économie nationale reste fortement tributaire de l’électricité.  Celle-ci est utilisée par les unités de production des secteurs primaire, secondaire et tertiaire, et en grande partie par le quaternaire (le secteur informel).

La chute des revenus et l’augmentation des dépenses de productions

 « L’économie malienne est soutenue beaucoup plus par les Petites et moyennes entreprises (PME) et celles-ci sont très fragiles aux chocs », affirme Dr Boubacar Konaté, économiste et enseignant chercheur. La conséquence des coupures et délestage de l’électricité entraîne la diminution des productions, la chute des revenus et l’augmentation des dépenses de production. « Le revenu des ménages travaillant dans ces entreprises diminue, ce qui va affecter négativement le niveau de consommation et l’épargne. Or, c’est l’épargne qui finance en gros l’investissement », note le Dr. Konaté.

Les répercussions sur l’économie nationale sont nombreuses dont l’inflation, consécutive à la baisse de la production, qui est l’un des effets les plus graves. Les coupures vont négativement affecter la croissance économique en faisant chuter la production nationale tout en ayant des répercussions négatives sur le chômage dans la mesure où la production diminue. « Ce qui va naturellement augmenter le taux de chômage et conduire le pays dans une récession économique (période pendant laquelle revenu et emploi diminuent) », analyse Dr Konaté.

Si cette récession perdure, elle aboutira forcément à une crise économique dont les conséquences seront drastiques surtout dans ce contexte géopolitique et géostratégique troublé pour notre pays.  De l’avis de l’enseignant chercheur, les coupures d’électricité feront baisser drastiquement le budget de l’État en ce sens que les principales ressources proviennent des impôts et taxes payés par les entreprises.

« Naturellement le budget de l’État va diminuer à mesure que la rentabilité des entreprises diminue qui aura des répercussions sur l’investissement dépenses publiques (investissement public, Santé, éducation, armée etc.) », soutient-il. Dans ce cas, l’atteinte du taux de croissance de 5,3% en 2024 selon les perspectives économiques de la Banque mondiale reste fortement hypothétique.

Une baisse du PIB de 2% à 5% selon la fréquence des coupures

Le secteur de l’énergie couvre des enjeux forts importants en termes de développement économique dans notre pays.  « Il existe une corrélation positive entre la demande d’énergie et la croissance économique », souligne pour sa part, Dr Modibo Mao Makalou, économiste et ancien conseiller à la présidence de la République du Mali. La demande énergétique dans notre pays augmente plus rapidement que l’évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) qui mesure l’activité économique.

 « Ceci pose non seulement d’une part un problème de productivité et de compétitivité, mais d’autre part aussi des difficultés de sécurité d’approvisionnement énergétique », a expliqué Dr Makalou, tout en ajoutant que « le PIB du Mali (production nationale) croit d’environ 5% par an en moyenne contre 14% pour la demande d’énergie primaire hors biomasse et plus de 10 pour cent pour l’électricité ».

À l’en croire, les coupures d’électricité récurrentes et délestages peuvent provoquer une baisse du PIB de 2% à 5% selon la fréquence des coupures qui affectent la production des entreprises et la consommation des ménages. Dans ce cas de figure, il est du rôle de l’État de soutenir les unités économiques les plus fragiles face à ce genre de chocs en mettant en place un fonds de soutien et mobiliser un ensemble de moyens d’accompagnement (réduction fiscale, subvention à la production, à l’exportation etc.).

« Les autorités de la transition doivent rapidement se pencher sur la mise en place d’un fonds solidaire pour soutenir les acteurs du secteur informel victimes des délestages d’EDM » tranche le consultant Ibrahim Nienta, qui affirme avoir vu des jeunes menuisiers métalliques totalement en cessation d’activité faute d’électricité.

« Ceci est d’autant plus important que sans les mesures d’accompagnement, ils n’ont aucune chance de se ressaisir dans un environnement ou l’accompagnement des entreprises par le secteur financier est un secret de polichinelle », rappelle Dr. Boubacar Konaté, enseignant chercheur.

Adapter les prix de vente de l’électricité

 Comme solution à la crise énergétique à court terme et moyen terme, Ibrahim Nienta appelle à nouer des partenariats avec des pays voisins comme la Côte d’Ivoire, qui peut combler le déficit de production d’EDM.

« Il faudra chercher impérativement avec les partenaires que nous avons pour le moment des moyens de financer un plan d’urgence de fourniture en carburants et groupes électrogènes et parallèlement mettre en place un plan stratégique de politique énergétique basé sur les énergies renouvelables tout en mettant en place un système de financement endogène », préconise pour sa part Dr Boubacar Konaté.

À long terme, il serait important de diversifier le parc de production énergétique du pays en exploitant le potentiel hydroélectrique en prenant en compte les potentialités offertes par le solaire, les biocarburants et l’éolienne pour accroître l’offre de l’électricité.

Par ailleurs, souligne Modibo Mao Makalou, il importe d’adapter les prix de vente de l’électricité qui sont restés relativement constants ces 20 dernières années aux coûts de revient pour permettre à EDM d’atteindre son équilibre financier et de pouvoir satisfaire la demande de ses clients. En d’autres termes, il s’agit d’augmenter le prix du kilowatt. Une question qui fâche.

Abdrahamane SISSOKO 

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