[Focus] Diamant au Sénégal : Zones d’ombre autour de l’existence de cette pierre précieuse

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Il a fallu que Me Moussa Diop expose le contenu de ses « documents confidentiels » accusant de hautes personnalités du pays sur un supposé contrat minier, pour que le débat fasse rage autour de l’existence ou non de diamant au Sénégal. Mais qu’en est-il réellement ?

Alors que, selon la presse de ce mercredi, la période de garde à vue de Me Moussa Diop, qui prend fin ce jour, sera prolongée, avec une possible comparution devant le procureur prévue demain, pour « actes susceptibles de discréditer les institutions de la République et de diffuser de fausses informations », les révélations de l’opposant politique continuent d’alimenter les débats. En effet, face à la presse, en fin de semaine dernière, le leader de AG/Jotna et candidat à la prochaine présidentielle a accusé Macky Sall, le président de la République, et son ancien ministre des Mines, Aly Ngouille Ndiaye, d’être mêlés à une affaire dénommée « diamants québécois ». Dans une déclaration faite à la presse, le week-end dernier, l’avocat au Barreau de Paris a même exhibé devant les journalistes des correspondances « confidentielles entre Macky, Aly Ngouille Ndiaye et Mimran». La première lettre dévoilée aurait été écrite par Aly Ngouille Ndiaye, devenu aujourd’hui candidat déclaré à la Présidentielle, à l’homme d’affaires Jean-Claude Mimram pour lui assurer la « délivrance d’une autorisation d’exploration d’une mine dans le Nord du pays ».

« Le Sénégal dispose de diamant »

En dépit des communiqués de démenti et des plaintes brandis par des personnalités citées à l’encontre de l’ancien directeur général de Dakar Dem Dikk, le débat reste entier sur la place publique.

Seneweb, qui décide d’en voir plus clair, se pose la question de savoir si le Sénégal dispose, aujourd’hui, d’une mine de diamants ?

A cette question, le directeur général de la Société des mines du Sénégal (Somisen) a répondu par la négative. Selon le Dr. Ousmane Cissé, toutes les missions de recherche de diamant effectuées dans notre pays sont restées infructueuses. « De 1900 [aux] années 60 et 70, beaucoup de missions ont été effectuées mais elles ont toutes conclu à l’inexistence du diamant au Sénégal (…) Les quelques petites pierres retrouvées dans le lit du fleuve Falémé sont du diamant alluvionnaire, qui provient de la Guinée et est emporté par les eaux », a précisé l’ingénieur géologue, fonctionnaire de l’administration minière du Sénégal et ancien directeur général des mines. A l’en croire, « il n’y a pas eu de nouvelles découvertes » de diamant parce que, explique-t-il, « du point de vue géologique, le Sénégal n’a pas de roches qui renferment » cette précieuse pierre.

Pourtant, Arona Coumba Ndoffène Diouf, ancien ministre-conseiller du président de la République, Macky Sall, dans les domaines des Énergies renouvelables, des Mines et de l’Environnement, avait avancé le contraire.

Parlant des « nombreuses potentialités » que la nature a offertes à notre pays, il avait indiqué, dans un entretien avec « Dakaractu » diffusé, il y a 4 années, que « le Sénégal dispose de diamant ».

« J’ai assisté à une conférence aux Etats-Unis où j’ai rencontré l’expert que le gouvernement américain avait envoyé en 1958. Et il m’a confié que le filon de diamant qui part de l’Afrique du sud, passant par Abidjan, Accra, est arrivé jusqu’au Sénégal/ Sos les monts du Fouta Djalon», a-t-il ajouté, faisant savoir que notre pays dispose également de l’uranium, du zircon, entre autres. « Les roches les plus anciennes et riches en ressources sont présentes dans notre pays », a insisté Arona Coumba Ndoffène Diouf. Ce dernier connaît très bien ce secteur parce qu’étant, depuis 2005, le directeur des programmes des Sciences de la Terre et de l’Environnement au département des Ressources naturelles de l’Université d’Etat « Agriculture and Technical State University, Greensboro, Caroline du Nord (A&TSU) » des Etats-Unis.

« Quelques petites pierres de 0,10 carat sur la Falémé et le fleuve Gambie »

De son côté, le président de l’Association des géologues du Sénégal est moins catégorique. D’emblée, il précise : «au Sénégal, il n’y a pas de diamant ». Selon Ibra Seck, « on ne peut trouver du diamant que dans la zone de Kédougou, c’est-à-dire à Kédougou ou à Tamba. Et dans sa déclaration, Me Moussa Diop dit que c’est au nord du Sénégal. En tant que géologue, on sait très bien qu’au nord du pays, on a le bassin sédimentaire. Donc, il est impossible de trouver du diamant dans la zone Nord ».

En tant qu’opérateur et acteur du secteur minier, Babacar Louis Camara dit être témoin de l’histoire de l’or et du diamant au Sénégal. Selon lui, les premiers travaux de prospection de cette pierre précieuse ont débuté entre 1911 et 1948 avec la Compagnie des Mines de la Falémé, sans résultats probants.

L’ensemble des travaux de prospection, jusqu’en 1965 n’ont jamais été concluants pour donner une appréciation sérieuse au potentiel diamantifère du Sénégal oriental mais, « à partir de 1965, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières, ndlr) découvre des concentrations diamantifères dans la région malienne de Kéniéba avec de rares pierres de moins de 0,25 carat. Par la suite des travaux du PNUD en 1969 sur les terrasses alluvionnaires de la Falémé et du fleuve Gambie (frontière avec la Guinée vers Mako) ont permis de trouver quelques petites pierres de 0,10 carat ».

Le Président de la Convention des Dakarois est convaincu qu’« il y a quelques points d’ancrage possibles qui pourraient motiver la reprise des prospections avec les méthodes et outils du temps présent », non sans préciser qu’ «à ce jour, il ne peut exister au Sénégal une exploitation de mine de diamant, même s’il est avéré que des indices sérieux existent, d’autant plus que notre socle birrimien (Saraya – Mako) est le prolongement du socle Ouest africain  (Côte d’Ivoire – Sierra Léone – Libéria – Guinée – Mali) où l’on trouve de l’or et du diamant en abondance ».

«Exiger plus de transparence»…, affaire Panama Papers.

Quoi qu’il en soit, Abdou Aziz Diop, coordonnateur adjoint du Forum civil, section sénégalaise de Transparency international, est d’avis qu’il faut faire de ces révélations une « lecture purement citoyenne, loin des contingences politiques », surtout dans ce contexte pré-électoral.

« Dans l’ancien Code minier de 2003, il y avait des clauses de confidentialité relatives aux différents contrats, mais celles-ci ont été levées entre l’Etat et la chambre des mines et c’est ce qui est apparu dans le nouveau code minier, comme pétrolier : les contrats sont rendus publics », a-t-il d’emblée observé, rappelant que ce « changement » est intervenu suite à une polémique, en 2016, entre deux anciens Premiers ministres autour de la publication des contrats miniers.

«Cette affaire dite Me Moussa Diop soulève un conflit d’intérêt, parce qu’il cite nommément l’ancien ministre des Mines et le Chef de l’Etat », a notamment analysé M. Diop, ne confirmant, ni n’infirmant les dires de l’ex-allié de Macky Sall.

Toutefois, dit-il, « je pense que si c’était dans le but d’asseoir plus de transparences, on aurait bien compris. Mais je sais que c’est dans le but d’avoir une rente politique que ce soit du pouvoir ou de l’opposition, alors que les citoyens sénégalais à qui la Constitution a confié l’appartenance des ressources n’attendent que la rente minière, pétrolière, gazière qui peut impacter sur leur vécu».

L’ancien membre du Comité national Itie-Sénégal admet, tout de même, que cette affaire peut pousser Sénégalais à « exiger plus de transparence, de redevabilité ».

Sur les réponses techniques des experts du ministère des Mines et de la Géologie, Abdou Aziz Diop confirme que le Sénégal dispose d’un cadastre minier qui est un élément de preuve pour vérifier de même que le site de l’Itie. « Il y a des pas qui ont été faits, mais il faut aller plus loin », a appelé ce membre du Forum civil, citant, par ailleurs, l’affaire des Panama papers, portant sur des milliards de dollars de flux financiers illicites dans le secteur extractif. « Après cette affaire, l’exigence 2.5 a été introduite : c’est la divulgation des propriétaires réels ou des bénéficiaires », a-t-il enfin souligné.

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