«Pourquoi nous prenons les pirogues» : témoignages renversants de migrants

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Ils font partie des 50 migrants rapatriés mercredi dernier par le ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur. Ils étaient coincés à Dakhla après leurs pirogues ont chaviré au large du Maroc. Dans l’Observateur, ils justifient leur choix de braver la mer, à bord d’embarcations de fortune, pour rejoindre l’Europe. Certains se disent prêts à recommencer.

Nogaye Ndiaye (21 ans, restauratrice) : «Si c’est à refaire, je le referai»

«Je rends grâce à Dieu. En mer, nous avons vécu des choses horribles. Je suis heureuse de retrouver les membres de ma famille. Je rentre saine et sauve. Beaucoup de candidats ont souffert durant le voyage. Certains ont failli perdre la vie. Nous étions plus de 100 personnes à bord. Nous étions partis du Lac rose. On a fait 2 semaines de trajet. C’était difficile. Mais si c’est à refaire, je le referai. Les conditions au Sénégal sont difficiles. Je n’arrive pas à trouver d’emploi et je ne veux pas dépendre des hommes.»

Fatou Ndoye (32 ans) : «J’ai voyage avec mon fis de 12 ans pour rejoindre mon époux…»

«Je suis déçue. Mon rêve était de rejoindre mon mari à qui j’ai payé son voyage. Il avait pris une pirogue. Il est bien arrivé en Espagne. On a fait 8 jours en mer. Nous étions 64. personnes et notre pirogue était parti de Mbour. Il ne nous restait que 400 km pour atteindre l’Espagne. Mais le vent n’était plus favorable. J’ai emmené mon fils avec moi. Je ne pouvais le laisser ici tout seul. Mon mari était content, je l’avais informé du voyage.»

Fallou Ndiaye (27 ans, tailleur) : «Je gagnais bien ma vie»

«Je rends grâce à Dieu de m’avoir permis de rentrer, même si je m’en suis sorti avec des blessures. 18 personnes ont perdu la vie en mer. J’ai perdu mon meilleur ami dans ce voyage. Nous avions quitté Mbour, juste après la ta-baski. Nous étions 63 candidats. Je suis tailleur et je gagnais bien ma vie. Je ne sais même pas ce qui m’a poussé à faire ce voyage. Je devais y aller avec mon frère. Mais il était en retard et on est parti sans lui. On ne voulait pas prendre le risque d’être pris par la marine. J’ai payé 500 mille F Cfa.»

Cheikh Cissé (17 ans, pêcheur) : «Je veux mettre mes parents à l’abri du besoin»

«Je voulais réussir ma vie à tout prix. C’est ce qui m’a poussé à prendre les pirogues. Ma situation ici au Sénégal est très difficile. Je n’ai que 17 ans, mais je veux prendre soin de mes parents, les mettre à l’abri du be-soin. On a fait 21 jours en mer. On a pu fouler le sol marocain malgré une panne sèche. Nous étions 204 personnes, des jeunes et des vieux. 9 personnes y ont perdu la vie. Je suis pêcheur. Je me rends chaque jour en mer. Et le 25 juin 2023, je revenais de la pêche. Je suis tombé sur une pirogue prête à embarquer. Sans réfléchir j’y suis monté. Je n’ai pas payé parce que je connais le capitaine. Dans ma famille, personne n’était au courant de mon voyage. Je les ai informés une fois arrivé. Ils étaient choqués. Mes parents refusaient même de s’alimenter.»

Lamine Ndiaye (49 ans, pêcheur) : «Cette aventure est un djihad pour moi»

«J’ai pris la pirogue à Mbour, le 3 juillet 2023. Je souffre d’un Accident vasculaire cérébral (AVC). J’avais des pirogues de pêche. J’at vendu ma voiture, ma parcelle que je voulais construire pour ma famille, et mes pirogues. A un certain moment, je quémandais auprès de mes voisins pour la dépense quotidienne. A la fin, personne ne voulait plus m’aider. Avant la Tabaski, un ami m’a proposé de me convoyer en Espagne à bord d’une pirogue. Il a pris l’engagement de payer les frais. Il m’a dit que je pourrais me soigner là-bas. Il a versé 400 000 F CFA. J’avais informé ma première femme de mon voyage. Je lui ai dit que je partais en Espagne pour me soigner. Elle a prié pour moi. On avait embarqué la nuit avec 64 personnes à bord. On a fait 5 jours en mer. Après, le temps n’était plus favorable. On était confronté à un vent et à de grosses vagues. Le capitaine ne voulait pas prendre le risque de continuer. Il a alors décidé d’arrêter le moteur pour accoster au Maroc ou en Mauritanie. La marine marocaine nous a trouvés. (…) Mon AVC s’est aggravé. Les Marocains refusaient de me consulter. Il a fallu que je me donne en spectacle pour qu’ils me fassent une perfusion. Je suis revenu au Sénégal, mais je n’ai pas renoncé. Si je n’ai pas de moyens pour soigner ma maladie, je vais chercher une autre pirogue pour encore tenter l’émigration clandestine. Si je péris en mer, ma famille saura que je me suis battu pour son bonheur. Cette aventure est un Djihad pour moi. C’est une affaire d’homme. Avant ma maladie, je m’occupais bien de ma famille. Elle ne manquait de rien. C’est à cause de ma maladie que j’ai vendu tous mes biens. Je suis père de famille. J’ai deux épouses et 10 enfants. Ils dépendent tous de moi. J’habite à Toubab Dialaw. Mes deux épouses sont Mbour où je ne compte pas retourner pour être dans la galère.»

Mor Ngom (32 ans) : «Mais la vie est dure au Sénégal»

«Je suis de Rufisque. J’ai pris la pirogue le 3 juillet. On était 67 personnes. On a fait 12 jours en mer. A 9 jours, on avait enregistré 17 morts. Des gens déliraient, se jetaient à la mer, d’autres se battaient, se mordant les uns les autres. Je me suis blessé au départ. Parce qu’on était avec un enfant mineur. Au moment de monter à bord de la pirogue, il est tombé dans l’eau, piquant une crise. Pour le sauver, je me suis jeté. L’hélice m’a blessé au pied. Comme c’est une affaire d’homme, je suis monté avec ma blessure. Je suis resté 12 jours sans me soigner. La plaie s’est infectée. Je suis marié et j’ai deux enfants. Je suis conducteur de pelle mécanique dans une entreprise. Mais, je n’ai pas de contrat. Je ne voulais pas tenter l’émigration clandestine. Mais la vie est dure au Sénégal. A l’approche de la Tabaski, je n’avais pas de mouton ni quoi remettre à ma femme. Ce n’est pas facile. Après, je me suis débrouillé pour avoir 500 000 F CFA pour payer mon voyage en Espagne.»

Fatou Ndiaye (28 ans, veuve, ménagère) : «J’ai pris la pirogue pour subvenir aux besoins de mes enfants»

«Je suis vraiment fatiguée. Nous avions quitté Kafountine le 25 juin 2023, avant la Tabaski. Nous étions plus de 150 migrants. J’ai payé 400 000 F CFA. J’ai 28 ans, veuve et mère de famille. Mes enfants sont à ma charge. Je tentais l’émigration pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Le voyage était difficile. Il y a eu 9 décès. J’en suis même traumatisée. J’y ai perdu ma meilleure amie. Elle est décédée dans mes bras à cause du froid. On a fait 21 jours en mer avant que la marine marocaine nous trouve.»

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