Le ministre de la justice et des magistrats à couteaux tirés Volonté d’assainir un centre névralgique ou tentative de maintenir le joug de l’exécutif sur l’institution ?

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Sous nos cieux, il est très risqué voire audacieux de parler de la justice, surtout de ses travers car l’épée de l’outrage à magistrat peut être très tranchante. Mais, comment résister à la tentative de s’engouffrer par une brèche ouverte par des acteurs qui, depuis des semaines, s’affrontent sans concession ? Et cela d’autant plus que nous sommes tous convaincus que le déclin de la justice a contribué à conduire ce pays dans l’impasse. Ce qui fait de sa réhabilitation une pierre angulaire devant en partie contribuer à renforcer la cohésion entre les différentes composantes de notre société. Un rôle essentiel ! Malheureusement, les réponses apportées dans ce sens par notre justice ne sont pas encourageantes.

«La CNDH, tout en saluant les efforts du gouvernement, déplore qu’à la date d’aujourd’hui, la Maison centrale d’arrêt (MCA) de Bamako compte 3 590 pensionnaires, dont 2 910 en détention provisoire, soit plus de 81 % des pensionnaires en détention provisoire» ! C’est ce qu’a rappelé le président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), M. Aguibou Bouaré, dans une déclaration publiée à l’occasion de la 6e Journée africaine de la détention provisoire célébrée le 25 avril 2023.

Et à la CNDH de rappeler que les instruments de protection des droits de l’Homme consacrent le droit d’être jugé dans un délai raisonnable conformément aux dispositions des articles 9 du «Pacte international» relatif aux droits civils et politiques et 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. «Ces instruments prescrivent le caractère exceptionnel de la détention avant jugement, étant entendu que la liberté est le principe», a souligné le président Bouaré dans sa déclaration.

Dans le contexte malien, l’exception s’est malheureusement muée en règle absolue. Et au même moment, d’éminents magistrats sont déterminés à se crêper le chignon reléguant ainsi au second plan les vrais problèmes de la justice malienne. En effet, ces dernières semaines, on assiste à un spectacle peu réjouissant entre le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux et certaines organisations de magistrats, notamment la Référence syndicale des magistrats et de l’Association des poursuivants (AMPP). Et il n’a pas caché sa détermination à combattre les frondeurs pour les ramener sur le droit chemin.

En effet, outré par les «comportements déviants de certains magistrats et avocats» (de plus en plus engagés dans l’arène politique par opposition aux autorités de la Transition), le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme aurait saisi le Conseil supérieur de la magistrature pour l’ouverture d’une enquête disciplinaire et ordonné au Procureur général près la Cour d’appel de Bamako d’ouvrir une enquête judiciaire pour opposition à l’autorité légitime et toutes autres infractions révélées. Les faits reprochés aux magistrats «rebelles» sont susceptibles de constituer le délit d’opposition à l’autorité légitime prévu et puni par les dispositions de l’article 84 du Code pénal.

Mais, il faut plus pour intimider les intéressés qui semblent prendre du plaisir dans cette partie de ping-pong avec l’autorité de tutelle. Le président de l’AMPP et la Refsyma a tenu à rappeler au ministre que «la procédure disciplinaire du magistrat n’est pas sujette à l’humeur ou au bon vouloir d’un gouvernement, qu’elle est minutieusement réglementée pour qu’un ministre, dans le souci de redorer son blason, puisse prétendre l’initier à la légère sur un coup de coeur, pour satisfaire les caprices de quelques princes du jour».

Quant à Dramane Diarra, il a rappelé qu’il avait déjà averti le ministre de l’illégalité de sa saisine et de l’incompétence de l’Inspection des services judiciaires. «Si vous avez vu ou reçu ce rapport de l’Inspection des services judiciaires dont vous vous accaparez, sans discernement les conclusions, vous devriez avoir constaté que ni le rapport, ni les procès-verbaux le constituant ne portent ma signature. Pour cause, j’ai relevé l’incompétence de l’Inspection des services judiciaires à vouloir m’entendre, intuitu personae, en dehors de mon service qu’est la Direction nationale des affaires judiciaires et du sceau et l’illégalité de sa saisine par Monsieur le ministre de la Justice… à Monsieur l’inspecteur en chef des services judiciaires à la date du 16 février 2022», avait-il mentionné dans sa réaction en date du 3 novembre 2022 !

Les vrais problèmes de la justice et les attentes des justiciables occultés

Ce débat met à nue les profondes divisions au sein de la magistrature malienne et qui s’étaient déjà soldées par la création d’un 3e syndicat. Elles avaient déjà pris une nouvelle ampleur avec l’arrestation de feu Soumeylou Boubèye Maïga placé sous mandat de dépôt le 26 août 2021. Un fait qui avait profondément divisé les magistrats et outré ceux pour qui la Coup suprême n’avait pas la compétence de juger un ancien ministre alors qu’elle a ouvert une procédure contre plusieurs personnalités du régime de feu Ibrahim Boubacar Kéita. Et du coup, elle s’est exposée à la critique de certains magistrats et avocats qui ne se sont pas gênés pour dénoncer une juridiction «caporalisée».

C’est dans ce contexte que le texte portant modification de la loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle est venu jeter l’huile sur le feu. Cette législation a été adoptée au CNT et promulguée malgré l’opposition manifeste des syndicats de la magistrature qui ont dénoncé une violation de la loi portant statut de la magistrature et évoqué une atteinte à l’indépendance de la magistrature, une violation du caractère impersonnel de la loi… La colère des magistrats est aussi liée au fait qu’ils réclament en vain la relecture de la loi portant statut de la magistrature et réclament sans succès le classement des juridictions depuis des années.

La loi portant modification de la loi organique fixant l’organisation de la Cour suprême apparaît alors comme une volonté politique de maintenir dans «l’illégalité absolue» une dizaine de personnes en espérant ainsi régler la problématique du déficit des ressources humaines au niveau de notre justice. Le hic, c’est que le débat actuel de très haut niveau ne nous avance en rien par rapport aux attentes des Maliens pour une justice saine et transparente. A la rigueur, on pouvait les applaudir si nous avions même un mince espoir que ce bras de fer va permettre de soustraire notre justice du joug de l’exécutif. Mais, nous n’avons aucune garantie dans ce sens au stade actuel des débats plus focalisés sur des individus (magistrats supposés en rupture de bancs) que la réhabilitation d’un corps (magistrature) et d’une institution (la  justice) très malades.

Et pourtant l’enjeu, à ce niveau, est énorme car déterminant pour la réussite et la pérennité des réformes entreprises dans le cadre de la refondation de l’Etat si chère aux autorités de la Transition. «Le Mali Kura que nous sommes en train de bâtir doit donner un autre sens à la justice pour que les populations ne perdent pas confiance» ! Telle est la conviction récemment assénée par un leader politique malien. La refondation de l’Etat nécessite aussi le renforcement de l’État de droit. Une conviction fortement partagée aujourd’hui dans toutes les sphères socioprofessionnelles et qui rend aussi inéluctable une refondation des justices nationales dans de nombreux États.

Revoir l’ancrage institutionnel du Conseil supérieur de la magistrature pour soustraire la justice de l’influence de l’exécutif

Les attentes des Maliens en la matière sont nombreuses. Ainsi, au niveau local par exemple, les citoyens souhaitent que le juge soit par exemple au plus près du justiciable qui attend une justice plus proche de ses valeurs, de ses préoccupations et de ses rythmes. A nos yeux, au lieu de se crêper les chignons, le ministre et ses adversaires au sein de la magistrature rendraient un énorme service à la nation en réfléchissant et en produisant sur l’indispensable réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par exemple. Une grande partie des problèmes de la magistrature voire de la justice de notre pays est liée à l’ancrage institutionnel du CSM. En effet, on ne peut pas parler d’indépendance de la justice et du principe de la séparation des pouvoirs alors que l’exécutif coiffe la hiérarchie de la magistrature. Il ne faut pas se voiler la face, cela est aujourd’hui un handicap majeur pour la réhabilitation de notre justice.

En tout cas, si le «Mali Kura» est réellement un projet important à leurs yeux, les autorités de la transition doivent sortir du folklore, de l’intimidation et de la terreur pour réellement prendre à bras le corps la réorganisation de notre Justice dans toutes ses composantes. Notre conviction est que de la réussite de la rédemption de l’appareil judiciaire malien, dépendent l’efficacité de la de réussite de toutes réformes en cours et qui ont demandé aux Maliens de faire preuve de tant de résilience.

Dans l’un de ses récents communiqués, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme a promis qu’il ne va pas faillir dans sa «mission de consolidation d’une justice crédible, respectable et respectée». Mais, ce n’est pas en perdant de l’énergie dans un débat stérile, dont la finalité est la mainmise de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire, qu’il va relever ce défi. Pas en tout cas de la manière que les Maliens attendent de lui. Pour eux (Maliens), ce qui se passe maintenant est loin de cette volonté politique d’assainir la justice conformément à leurs attentes !

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