À travers un arrêté en date du 8 mars dernier, le ministre de l’Économie et des Finances, Alousséni Sanou s’est inscrit sur la liste nationale des sanctions financières ciblées, plusieurs responsables des mouvements armés et des groupes terroristes. Il s’agit d’Iyad Ag Ghaly, Amadou Barry dit Amadoun Kouffa, Alghabass Ag Intalla, Bilal Ag Achérif, Fahad Ag Almahmoud et Achafagui Ag Bouhada. Il leur est reproché, entre autres, des actes de terrorisme pour leur appartenance à un groupe terroriste en lien intentionnel avec une entreprise terroriste, le financement du terrorisme, la détention illégale d’armes de guerre et de munitions en lien intentionnel avec une entreprise terroriste , l’atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité du territoire ainsi que l’association de malfaiteurs. Les biens et ressources économiques de ces personnes sont gelés pour une période de six mois renouvelables.
Dans les lignes qui suivent, le Dr Aly Tounkara, expert sur les questions de paix, de défense et de sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), se prononce sur la portée de cette décision, ses conséquences sur les intéressés, son applicabilité et ses implications sur certains pays voisins du Mali. Pour le chercheur, les personnes inscrites sur la liste des sanctions financières ciblées par l’État du Mali sont des acteurs qui relèvent à la fois du terrorisme ou par moments des revendications séparatistes.
Selon le Dr Aly Tounkara, cette inscription est importante à plus d’un titre. Car elle va non seulement permettre à l’État malien de notifier au reste du monde et en particulier les pays qui sont susceptibles de les abriter, que ces acteurs sont des terroristes. Et par ricochet, toutes les opérations financières de ces acteurs que ce soit du flux financier en provenance des institutions financières comme les banques ou des envois par des voies peu orthodoxes notamment le marché noir, sont interdites par l’État du Mali et également par les Différentes conventions dont presque tous les États sont signataires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.
«C’est un signal fort aussi pour l’État du Mali à l’endroit des pays qui les abriteraient pour leur dire que du moment où ils acceptent d’accueillir les terroristes, de facto, ils les soutiennent dans l’aggravation de ce qu’ils commettent au Mali voire au-delà en termes de crimes odieux, de financement du terrorisme», analyse le Dr Tounkara. Aussi, il dit que cette inscription est un témoignage éloquent pour l’État malien qui se conforme à l’esprit des conventions et même des droits relatifs au financement du terrorisme et à d’autres formes de criminalité.
Le chercheur soutient que c’est également un message diplomatique qui est lancé à ces États susceptibles d’abriter Iyad Ag Ghaly, Amadoun Kouffa ou Bilal Ag Acherif. «Toutes ces personnes qui sont sur cette liste sont dorénavant qualifiées par l’État malien comme des acteurs qui ne sont pas du tout fréquentables par le Mali et elles ne doivent pas l’être également par les pays qui continuent à les abriter en dépit même des condamnations dont elles font l’objet de la part des Nations unies», indique l’expert du CE3S.
CONSÉQUENCES POUR LES INTÉRESSÉS- Parlant des conséquences d’une telle décision pour les acteurs concernés, Dr Tounkara fait savoir que d’office, ils ne peuvent plus procéder à des envois officiels de flux financiers. Également, ils ne peuvent plus bénéficier de mobilité que ce soit par les moyens aériens, terrestres ou même fluviaux parce que cette inscription ne s’est pas limitée à identifier les acteurs concernés. Mais elle a été jusqu’à communiquer les différents documents administratifs qu’ils détiennent au compte de l’État du Mali. «Cette inscription va avoir comme conséquence sur ces acteurs, l’annulation d’office des différents documents administratifs qu’ils détiennent au nom de l’État du Mali, mais c’est aussi un message pour l’ensemble des polices frontales, des acteurs en charge des questions de mobilité, des flux financiers de ne plus collaborer avec ces entrepreneurs de la violence, car ils ne sont pas seulement terroristes, mais dans le même temps, ils continuent à soutenir différentes entreprises criminelles qui sévissent au Mali et dans le Sahel de façon générale», détaille l’expert des questions de paix, de défense et de sécurité. En termes de conséquences, le Dr Tounkara pense aussi que c’est une limitation nette qui est imposée ainsi à ces acteurs cités sur cette liste.
Pour lui, cette décision, du moment où les États s’engagent tous à lutter efficacement contre le terrorisme, ceux-ci sont censés la respecter de façon scrupuleuse. Toutefois, le chercheur reconnaît qu’il est difficile aujourd’hui pour des pays comme l’Algérie d’appliquer une telle décision à l’encontre des acteurs qui sont officiellement sur son territoire en plus d’autres États qui sont soupçonnés dans les couloirs. d’abriter un certain nombre d’acteurs terroristes.
Aly Tounkara dit que ces pays sont dans une position très ambiguë vis-à-vis de l’État du Mali en continuant ainsi de collaborer avec ces acteurs qui sont inscrits sur cette liste. Selon lui, le Mali pourrait les qualifier d’États ennemis. Toute chose qui pourrait aboutir dans la durée à des réductions des relations diplomatiques et même à une sorte de tension diplomatique entre le Mali et ces États concernés. «Ce qui pourrait même heurter davantage l’État du Mali, c’est de voir ces mêmes acteurs continuer à bénéficier de certaines largesses de la part de ces pays hôtes en dépit de toutes ces sanctions infligées contre ces personnes jugées terroristes, engagées dans d ‘autres formes de criminalité ou de violence», explique le chercheur.
Pour lui, la portée de cette décision, au-delà de l’aspect juridique, c’est que c’est une façon pour l’État du Mali d’évaluer avec pertinence et efficacité, quels sont les États voisins qui seraient en phase. avec lui, lesquels sont également en déphasage avec lui notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. «Cette décision va au-delà d’une simple liste affichée, mais c’est un test qui va amener les autres États à agir également vis-à-vis du Mali. Toute non action de la part de ces États ciblés ou concernés qui continueront à abriter à la fois les terroristes et les ex-indépendantistes qui ont aussi succombé au charme du terrorisme feront d’eux de facto, des ennemis du Mali», ajoute Dr Tounkara. . Pour lui, ces ennemis doivent être pris avec toute la rigueur qui s’impose sur le plan diplomatique et même en matière de coopération et dans tous les domaines.
Par ailleurs, Dr Aly Tounkara soutient que l’inscription sur la liste de ces acteurs qualifiés de terroristes par l’État du Mali n’exclut pas qu’au bout du tunnel, qu’ils soient impliqués directement ou indirectement dans l’offre de dialogue Direct inter-Maliens qui vient de démarrer. «Si l’on regarde avec une attention particulière les différents pourparlers à la suite du terrorisme que ce soit en Algérie, en Mauritanie ou en Afghanistan, beaucoup d’acteurs avaient été étiquetés terroristes, qualifiés d’infréquentables par les États concernés mais au nom de la concorde et de la paix, on a fini par faire entorse à certaines dispositions de la Constitution afin d’arriver à un espace substantiel de dialogue pour une paix durable et la cohésion sociale», rappelle Aly Tounkara.
Au-delà de cette inscription sur la liste des groupes terroristes, il dira que les acteurs comme Iyad Ag Ghaly, Amadoun Kouffa et même certains acteurs anciennement de la Coordination des mouvements de l’Azawad (Cma) restent des éléments importants pour asseoir une paix. durable. Pour lui, il ne s’agit pas de gommer tous les crimes commis par ceux-ci ou de mineurer tous leurs forfaits dans le dossier. Mais au nom de la realpolitik et du pragmatisme, il pense qu’il est important de ne pas écarter l’hypothèse de voir ces mêmes acteurs se retrouver au cœur du processus pour une paix durable et la stabilité tant souhaitées à la fois par les communautés éprouvées par ces actes terroristes mais également par l’ensemble du peuple malien.
Dieudonné DIAMA
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