La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) fait face à un séisme qui pourrait conduire à son implosion. En effet, les pays de l’Alliance des États du Sahel (Aes) ont annoncé, dimanche 28 janvier 2024, dans un communiqué conjoint, leur retrait de la Cédéao. Cette décision est consécutive aux relations conflictuelles entre ces pays et l’organisation sous-régionale depuis l’évènement des coups d’Etat militaires dans ces pays sahéliens et ignorant délibérément les coups d’Etat constitutionnels dans d’autres pays-membres de la même organisation.
Cette posture de ‘‘deux poids, deux mesures’’ enleva toute crédibilité aux actions de dénonciation et de légitimité aux sanctions prises par l’organisation. Et, les dirigeants du Burkina Faso, du Mali et du Niger estiment que la Cédéao ne répond plus aux aspirations de leurs peuples et regrettent que l’organisation se soit éloignée des idéaux de ses pères-fondateurs. Ils accusent l’organisation d’être sous influence des puissances étrangères et de représenter une ‘‘menace pour ses États-membres et ses populations, dont elle est censée assurer le bonheur’’. Ils ajoutent que l’organisation ne leur a apporté aucune assistance dans leur lutte contre le terrorisme, mais qu’elle s’est plutôt contentée de leur imposer des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres textes. D’où, leur décision d’envoyer une notification formelle de leur retrait de l’organisation dont ils étaient membres depuis sa création en 1975. Quoiqu’il en soit, les dirigeants de l’organisation peuvent se féliciter d’avoir réussi à tracer les premiers pas vers le déclenchement de l’effritement de l’organisation.
Inscrite dans un rapport de force imposé de l’extérieur
Au fil des années, nous sommes devenus de plus en plus préoccupés par les réactions et décisions mal réfléchies de la Cédéao et la boussole morale de ses dirigeants ; mais avec son inscription dans un rapport de force qui semble être imposé de l’extérieur et l’approbation des sanctions inhumaines et dévastatrices contre des populations innocentes, il est clair que les dirigeants de l’organisation sous- régionale, poursuivant leur dérive autoritaire, ont franchi une ligne rouge.
Nous avons toujours insisté que les sanctions infligées par la Cédéao à ces pays étaient contraires à la légalité ou sans base juridique. Nous avons toujours considéré ces mesures comme suicidaires et nous avons toujours pensé qu’elles nuiront à l’économie des pays et qu’elles rendront l’intégration économique difficile ou même impossible dans ces conditions. L’histoire est en train de nous donner raison.
Les évènements de ces derniers temps ont davantage révélé l’incapacité de la Cédéao à développer une stratégie commune efficace et à exprimer un leadership politique et économique autonome. Au lieu de cela, c’est devenu un autre indicateur de la soumission du bloc économique aux Occidentaux. Ainsi, au lieu de trouver des solutions durables aux problèmes politiques ou économiques au sein des Etats-membres, elle continue plutôt à prendre des décisions légères et absurdes qui la rendent encore plus néfaste. Il nous semble qu’il y a un manque de connaissances adéquates des enjeux ou de réflexion défaillante chez les dirigeants de l’organisation. Il est temps que ces dirigeants aient la capacité d’anticiper les conséquences de leurs décisions et actes. L’utopie ne doit point devenir l’espoir de notre temps. Il est temps d’agir pour réinventer nos pays.
Nos politiques doivent viser à redresser réellement les fronts longtemps courbés par des circonstances historiques désastreuses afin de prendre pour de bon, le plus bel élan dans la paix retrouvée, pour nos peuples unis et libres à jamais, jouissant fièrement du bien-être idéal et garantissant le développement durable, en mettant à profit les potentialités humaines et les ressources naturelles dont regorge nos pays. Aussi, les dirigeants de l’organisation doivent démontrer plus de connaissance et de compétences nécessaires pour prendre leurs propres décisions concernant nos affaires et surtout savoir évaluer correctement les risques encourus par ces décisions. Ils doivent éviter de faire l’erreur de penser que ces risques ne les concernent pas ou qu’ils échapperont aux conséquences potentiellement négatives de leurs choix.
De la mauvaise lecture à l’impasse
Les Présidents des pays membres de la Cédéao se font sans doute des illusions sur la capacité des pays occidentaux et des institutions internationales à trouver des solutions aux problèmes africains. Depuis l’accession de nos pays à l’indépendance, ces institutions et pays n’ont jamais pu trouver de solutions durables à un problème africain. Pourquoi alors continuer à se tourner vers eux et de surcroît inviter ceux qui contrôlent cette organisation à se pencher sur les crises que vivent nos pays ? Nos dirigeants font à la fois une très mauvaise lecture et une très mauvaise compréhension des événements et des rapports de forces et, surtout, de la volonté profonde de nos peuples pour une renaissance de l’Idéal africain. Ce sont ces erreurs d’analyse et de manque de maîtrise de la géopolitique et de la géostratégie de la part de nos gouvernants qui nous ont conduits dans l’impasse où nous nous trouvons.
Donneurs de leçons aux mœurs encore plus dépravées
Tandis que les Africains parlent d’une nouvelle phase dans les relations internationales, qui exige la création des institutions plus en phase avec les nouvelles réalités de nos pays et le rejet de position de monopole ou de dominance d’un groupe restreint de pays, certains de nos gouvernants semblent vouloir le contraire : ils veulent la préservation de la place des puissances étrangères dans nos pays. Donc, loin de permettre une sortie de crise dans nos pays, les actions de ces dirigeants de la Cédéao ne font que conduire à une soumission aggravée et forcée de nos pays aux logiques des forces étrangères et qui nuiront bien sûr au bien-être de nos populations. Les peuples africains ont la soif de s’émanciper de la dominance extérieure. Nos populations ne veulent plus des exigences de pays recourant aux mesures de coercition directe et de pays donneurs de leçons aux mœurs encore plus dépravées.
Il va sans dire que les récentes initiatives et décisions des Présidents de la Cédéao constituent une ligne de fracture dans nos sociétés sous -régionales. Ces décisions qui ignorent la volonté affichée de nos peuples pour une émancipation totale, sont aussi contraires aux prescriptions des constitutions de nos États. Or, notre ambition pour la Cédéao dans la communauté internationale est de porter haut les valeurs de nos pays et nous voulons certainement que les Africains soient gagnants dans la mondialisation. Aujourd’hui, plus que jamais, nous voulons que notre communauté sous-régionale soit le moteur de la refondation des institutions internationales, une communauté plus forte et plus protectrice, une Cédéao qui refuse la naïveté et défend les intérêts des peuples des États-membres.
Respect de ses propres valeurs et de l’esprit de ses pères fondateurs
La Cédéao doit rester fidèle à ses propres valeurs et à l’esprit de ses pères-fondateurs. Il nous faut, pour cela, rester unis mais aussi maintenir une ambition collective intacte, une ambition pour continuer de transformer les pays de notre communauté face à la tentation de l’esprit de règle et de divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées les puissances étrangères pour mieux asseoir leur domination. Nous ne devons jamais perdre de vue l’impératif d’unité de la sous-région que nous formons tous ensemble. Nous souffrirons tous des conséquences de notre échec si nous ne nous unissons pas pour répondre aux menaces et urgences dans nos sociétés comme de solides projets de sécurité nationale, de développement économique durable ou l’instauration d’une vraie culture démocratique.
Travailler à mettre fin aux terrorismes et conflits dans nos pays
L’un des moyens les plus importants d’accroître la démocratie et la sécurité est de chercher à améliorer la vie des peuples, à travers la sous-région, qui constatent que leurs gouvernements ne répondent plus à leurs besoins. Et, tandis que nous nous efforçons d’améliorer la vie de nos populations, nous devons travailler avec une détermination renouvelée pour mettre fin aux terrorismes et conflits qui causent tant de douleurs et de souffrances dans nos pays. Nos forces militaires ne doivent pas être dirigées contre une nation-sœur de notre communauté, mais plutôt contre le terrorisme qui continue de déstabiliser la sous-région. Nous devons redoubler de diplomatie et nous engager à recourir à la négociation politique, et non à la violence militaire ou économique contre un pays frère, comme outil privilégié pour gérer les tensions dans notre sous-région. Nous devons rechercher un avenir de paix et de sécurité accrues pour tous les peuples de la Cédéao.
‘’Nous voulons une Cédéao qui défend de bonnes politiques de gouvernance au service des peuples et non une démocratie de façade’’
Chaque peuple veut que son pays prenne toute sa place dans la Cédéao et dans le monde. Notre destin se joue dans une Cédéao plus rassemblée. Nous voulons une Cédéao qui change dans un monde nouveau. Nous voulons une Cédéao qui œuvre pour des changements politiques et sécuritaires, économiques et sociaux qui répondent aux attentes des peuples de la Communauté. Nous voulons une Cédéao sociale, qui puisse servir de modèle aux autres peuples de l’Afrique tout en étant au service de l’homme. Nous voulons une Cédéao qui gagne en efficacité, en lucidité et en démocratie. Une Cédéao qui défend de bonnes politiques de gouvernance et non une démocratie de façade. Nous voulons une Cédéao plus simple, pour que chacun puisse comprendre les modalités de décision africaine et les responsabilités des institutions. Les citoyens des pays membres de la Cédéao veulent une organisation qui permet l’émergence d’un système économique et social au service des peuples de la communauté, et qui comprend sûrement les aspirations de ses peuples.
Nos pays ont besoin de gouvernants qui ont la confiance de nos peuples. Des gouvernants qui sont les seuls maîtres d’œuvre, guidés par les seuls intérêts de nos pays, et assurant la cohérence des politiques. Aussi, souverains, nos pays doivent faire leurs propres choix et devenir le gestionnaire unique de leur destin.
Il est temps que la Cédéao commence à jouer le rôle qui est le sien. À ce stade, il serait plutôt honorable de tenter de relever le défi du dialogue avec toutes les parties en proposant une solution acceptable qui mènera au retour à une vie politique et économique normale dans la sous-région. Il est temps de cesser de fragiliser la voix de certains pays membres de la communauté économique en remettant en cause leur place de membre actif et de droit ou encore essayer de les mettre sous tutelle.
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