L’œil de Le Matin : Les limites d’un système politique imposé comme un «prêt à porter»

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L’édification d’une véritable démocratie est mise à mal sur le continent africain, en Afrique de l’ouest notamment, par le fait que les démocrates peinent à combler les attentes du peuple. Comment peut-on soutenir une démocratique qui perpétue les mauvaises pratiques (corruption, délinquance financière, népotisme…) ?

Comment peut-on «vendre» la démocratie (le modèle occidental qu’on tente de nous imposer depuis 1990 comme un «prêt-à-porter idéologique») à un peuple qui bascule progressivement dans la pauvreté, dans la précarité, la misère sans aucun espoir de lendemains meilleurs ? Quel est l’utilité d’un système politique qui est incapable de combler les attentes de la majorité de la population ? Voilà, entre autres, les raisons profondes des derniers coups d’Etat en Afrique de l’ouest, singulièrement au Mali.

Ceux que les dirigeants de la Cédéao refusent d’admettre, dans leur utopie de circonscrire les coups d’Etat militaires (les putsches politiques comme le tripatouillage constitutionnel pour se permettre des mandats supplémentaires sont tolérés), c’est que les progrès de la démocratie ces dernières décennies n’ont pas généralement changé la donne de manière significative sur le plan économique dans de nombreux États. Loin d’apporter une amélioration de l’économie et d’assurer un bien-être social, la démocratie n’a pas comblé les attentes des populations.

Celles-ci (populations) assistent plutôt, impuissantes, à l’émergence d’une bourgeoisie gloutonne qui s’accapare de toutes les richesses du pays se contentant de leur jeter des muettes pendant les campagnes électorales leur permettant de conforter leur mainmise​​ sur la gouvernance pervertie du pays. C’est pourquoi, plus de trente ans après la vague de démocratisation imposée par le «Vent de l’est» et le sommet de La Baule (le discours de La Baule a été prononcé par le feu le président François Mitterrand le 20 juin 1990 dans le cadre de la 16e conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France réunis dans la commune française de Baule-Escoublac… Les passages clés du discours relient l’aide publique française à une «démocratisation» par un passage au «multipartisme»), la démocratie n’est toujours pas parvenue à atteindre la dividende du développement sur notre continent.

L’Afrique, occidentale notamment, reste l’une des régions les plus pauvres du monde malgré ses nombreuses ressources naturelles. La corruption, le chômage, les inégalités de revenus et la pauvreté y restent endémiques. «Bien que les causes du sous-développement en Afrique soient protéiformes, il est indéniable qu’elles trouvent leur source dans le mauvais leadership. L’incapacité des pays à mettre en œuvre leur programme de développement continue de peser comme une menace sur la démocratie, la plupart d’entre eux se tournant à nouveau vers l’autocratie», a déploré l’Institut d’études de sécurité (ISS) dans une étude publiée en 2021.

On comprend alors aisément pourquoi, entre 2010 et 2021, il y a eu au moins 43 coups d’Etat (réussis ou avortés) en Afrique. Et pourtant, on pouvait raisonnablement penser que la programmation d’élections régulières, associée à l’espoir réaliste parmi les partis et candidats de voir le pouvoir transmis aux vainqueurs légitimes, pouvait constituer un facteur clé de la quasi-disparition de la prise du pouvoir par les armes sur le continent.

Hélas ! La conquête du pouvoir s’est limitée à une lutte acharnée entre les élites pour s’enrichir par la corruption et la délinquance financière dans une totale impunité. Il importe alors de repenser la démocratie en Afrique en commençant par s’affranchir d’un modèle imposé de l’extérieur et ne tenant pas compte des réalités socioculturelles de l’exercice du pouvoir. A notre humble avis, quel que soit le type de régime, il doit prôner et veiller strictement à la bonne gouvernance qui est une condition sine qua non du développement socioéconomique. Pour l’Afrique, défendait un rapport de la «Fondation Kofi Annan» (2021), «se doter d’un leadership visionnaire et d’institutions fortes constitue la voie la plus sûre pour s’orienter vers un développement durable. Cela signifie que les États démocratiques doivent se concentrer non seulement sur les processus électoraux, mais également sur la mise en place d’une bonne gouvernance».

Ainsi, ceux qui pensent que «la démocratie est le seul régime politique compatible avec le développement humain dans son sens le plus profond…», ont leurs arguments. Mais, à notre avis, cela n’est possible que si ces démocraties répondent à des critères d’évaluation comme, entre autres, être rempart contre la tyrannie ; promouvoir l’égalité des droits entre les citoyens ; respecter la séparation des pouvoirs ; favoriser la vraie alternance, garantir les élections avec le peuple comme juge ; assurer la protection des libertés individuelles…

Un leadership visionnaire et des institutions fortes sont sans doute les moyens les plus sûrs pour atteindre la croissance économique et le développement durable, notamment en Afrique. A défaut, on gardera un continent habillé des oripeaux de la démocratie avec un système qui magnifie le népotisme, la gabegie, la médiocrité. Il est alors utopique d’envisager la fin des coups d’Etat dans un tel environnement politique !

Moussa Bolly

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