Non contentes d’asphyxier financièrement les médias, les autorités de la Transition veulent aussi leur imposer un contenu aux mépris de toutes les législations en vigueur. Une décision surprenante d’autant plus que, comme le peuple, la presse malienne fait preuve d’une surprenante résilience. Et la Haute autorité de la communication (HAC) veut servir de gendarme pour cette besogne. Mais, pour une fois, les faîtières semblent déterminées à pleinement jouer leur rôle en invitant les médias à ne pas céder à cette injonction.
Dans une déclaration publiée jeudi dernier (11 avril 2024), la Maison de la presse a appelé «l’ensemble de la presse malienne» à «ne pas se soumettre» à cette injonction de la Haute autorité de la communication (HAC) par rapport au traitement des informations relatives aux activités des partis et associations politiques. Se référant au décret pris la veille par le président de transition de suspendre les activités politiques jusqu’à nouvel ordre, la HAC (dans un communiqué publié le jeudi 11 avril 2024) a invité tous les médias (radios, télévisions, journaux écrits, presse en ligne) à «arrêter toute diffusion et publication des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations».
Une «injonction» qui a surpris la Maison de la presse. Elle a donc appelé les médias à ne pas en tenir compte. Une décision prise après une concertation des organisations faîtières, (réunies le 11 avril 2024 à son siège). La Maison de la presse a déclaré «rejeter purement et simplement ce texte sans fondement juridique de la HAC». Elle a également invité les médias à «rester debout, unis et mobilisés pour la défense du droit du citoyen à l’information». Selon intervenant à la réunion des faîtières, «ce n’est pas à la HAC de nous dicter la conduite rédactionnelle à tenir. Aucune loi ne lui autorise cela, ni aucun principe déontologique. Ce n’est pas parce que le gouvernement a interdit les activités des partis et associations politiques que la presse ne leur donne pas la parole. Au delà de l’interdiction, le coup d’état est un crime indescriptible mais les journalistes donnent la parole aux putschistes. Nous demandons à la HAC un peu de respect pour la presse et la liberté d’expression».
Si la presse doit bouder les activités d’une entité, c’est sans doute celles du gouvernement incapable depuis des années à lui payer l’aide publique alors que des vidéomen et des escrocs internationaux (soi-disant influenceurs) sont grassement rétribués à la sueur du contribuable pour une cause populiste. En tout cas, cette décision a surpris plus d’un professionnel des médias au Mali et dans le monde. Et cela d’autant plus qu’elle émane d’un organe qui doit plutôt veiller au respect du pluralisme politique et syndical sur les antennes et dans les colonnes. Mieux, elle est appelée à veiller au respect de l’éthique et de la déontologie qui veulent que la presse traite le pouvoir et les acteurs politiques sur le même pied d’égalité en privilégiant la bonne et saine information pour éclairer l’opinion.
Même si selon le Dictionnaire méthodique (Le Robert méthodique), «réguler, c’est déterminer, orienter et contrôler» ; au niveau des médias et de la communication, la régulation doit être plutôt comprise comme «un moyen d’assurer le fonctionnement correct», notamment dans le strict respect de l’éthique et de la déontologie». Théoriquement et traditionnellement, selon des experts du domaine, les organes de régulation sont définis comme étant des Autorités Administratives Indépendantes (AAI). Elles sont donc en principe soustraites de toute subordination puisqu’elles ne s’insèrent pas dans la structure hiérarchique de l’administration. Cette disposition vise à les mettre hors de portée des «influences politique et professionnelle».
Pour Raphaël Gentot (Titulaire d’un DESS en communication des organisations et d’un Diplôme d’Université de management relationnel…), les AAI sont «des organes non juridictionnels qui ont reçu la mission d’assurer la régulation dans un secteur sensible, de veiller au respect de certains droits des administrés et qui sont dotés de pouvoirs et de garanties statutaires leur permettant d’exercer leurs fonctions sans être soumis à l’emprise du gouvernement».
Une autorité de régulation comme la HAC a comme missions, entre autres, donner son avis au gouvernement sur les projets de lois et décisions sur l’audiovisuel ; gérer et attribuer les fréquences destinées à la radio et à la télévision ; veiller au respect du pluralisme politique et syndical sur les antennes ; organiser les campagnes officielles radiotélévisées des différentes élections ; s’assurer du respect par tous les diffuseurs des lois et règlements en vigueur ; sanctionner les organes qui ne respectent pas la réglementation. Elle est compétente pour divers problèmes de réception que peuvent rencontrer auditeurs et téléspectateurs…
Pour le cas précis de la HAC, l’ordonnance N°2014-006/P-RM du 21 janvier 2014 lui fixe comme missions premières, entre autres, de garantir et de protéger la liberté de l’information et de la communication ainsi que celle de garantir et protéger la liberté de presse et des moyens de communication de masse… Visiblement trouvant ici une opportunité de grimper dans l’estime des autorités de la Transition, la HAC est totalement sortie de son rôle au point de sacrifier sa propre indépendance et celle si fragile des médias maliens. Heureusement que les femmes et les hommes de la presse malienne sont déterminés à ne pas s’en laisser compter. Oui à une presse responsable, mais pas une presse aux ordres de qui que ce soit.
Pour une fois, il faut l’union sacrée de tous les professionnels des médias autour de la Maison de la presse. Et cela d’autant plus comme nous le rappelle si pertinemment un jeune intellectuel malien, «les autorités de la transition sont en train de tester les cordes du violon l’une après l’autre». A la presse de démontrer aujourd’hui que ce jeu ne peut pas perdurer parce que «le son des cordes diffèrent. Si certaines peuvent enjailler (plaire), d’autres peuvent traumatiser…». N’oublions sur pas que, comme le dit Albert Londres, «notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie en mettant dans la balance son crédit, son honneur, sa vie».
Pour paraphraser Joseph Ki-Zerbo, «N’an laara, an saara» ! Autrement, «si nous nous couchons, nous sommes morts» !
Moussa Bolly
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