[Entretien 2/2] Ngouda Fall Kane : “Nous n’accepterons pas que ce pays soit entre les mains d’individus incultes”

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Deuxième partie de l’entretien avec Ngouda Fall Kane. L’inspecteur des impôts qui était  dans les starting-blocks à l’élection présidentielle de 2019, avant de se désister, se prononce sur les dossiers chauds de la politique.

Vous étiez candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2019 avant de désister. Le processus électoral pour la présidentielle de 2024 est lancé, êtes-vous candidat ?

Non ! Pour l’instant je ne suis pas et je crois que je ne serais pas candidat. J’ai tourné le dos à la politique.

Pourquoi ?

Parce que je ne crois pas à la façon dont la politique est menée dans ce pays, aussi bien du côté des gens qui font la politique que du côté des Sénégalais. Un candidat à la présidentielle est un homme face à son peuple. Ce qui lie cet homme à son peuple, c’est le projet de société qu’il veut offrir. Mais quand les Sénégalais ne lisent pas et n’apprécient pas le projet de société qu’on leur offre, ce n’est pas la peine. Regardez le projet de société qu’on avait élaboré avec Madické Niang (à la présidentielle de 2019, Ndlr). Même s’il y a eu des erreurs, c’était un projet pertinent. Mais ce n’était pas l’affaire des Sénégalais. Ils ont d’autres critères d’appréciations pour élire un président.

Lesquels ?

Je ne sais pas ! En tout cas, l’appréciation des projets de société ne rentre pas dans ces critères-là. Ensuite, vous faites une élection, il n’y a pas de débat, il n’y a rien. Les candidats se parlent à distance et ne disent que des choses qui en réalité ne peuvent pas faire évoluer ce pays : des attaques personnelles, des injures, des menaces, des querelles. Ce n’est pas la politique à laquelle je crois. C’est pour cette raison que j’ai quitté la scène politique.

“Les Sénégalais n’ont pas le droit de mettre à la tête de ce pays des personnalités qui n’ont aucune compréhension de la déontologie de l’exercice de la fonction de président”

Il y a déjà une flopée de candidatures déclarées à la présidentielle de 2024. Il y a un projet de loi modifiant le parrainage qui est actuellement examiné par les députés. Quel est votre avis sur le parrainage et sur ses nouvelles dispositions ?

Pour le parrainage, il y a eu une avancée, tout le monde le reconnaît. Je pense que c’est un point consensuel du dialogue. Mais, ce que je voudrais dire aux sénégalais en commençant par le président de la République c’est que nous n’accepterons pas que ce pays soit entre les mains d’individus incultes, des gens qui ne connaissent pas l’État.

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Vous faites allusion à qui par exemple ?

Je ne fais allusion à personne. Je suis un homme libre. Je dis ce que je pense. Les Sénégalais n’ont pas le droit de mettre à la tête de ce pays des personnalités qui n’ont aucune compréhension de la déontologie de l’exercice de la fonction de président. Il nous faut une personne pertinente qui a à l’esprit l’intérêt des Sénégalais, l’intérêt des jeunes, des femmes, l’exercice des missions régaliennes de l’État comme la sécurité qui est une notion englobante : la sécurité de l’information, la sécurité numérique, financière etc.

Il faut que l’offre de santé soit améliorée pour que les sénégalais puissent se soigner quand ils sont malades. Il faut que les sénégalais mangent à leur faim, il faut que la manne financière que nous attendons de l’économie pétrolière et gazière puisse, dans un processus de redistribution, atteindre les sénégalais les plus pauvres. C’est ce qu’on attend d’un président.  Mais pas de politique. On en a assez avec la politique. Nous ne pouvons pas être les prisonniers des hommes politiques.

Quand je regarde la liste des gens qui prétendent diriger ce pays, je me pose des questions. Il nous faut de la qualité.

“Macky Sall a requinqué la démocratie au Sénégal”

Vous avez sûrement suivi avec tous les Sénégalais, la déclaration du président Macky Sall renonçant au troisième mandat. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?

Je félicite le président de la République. Il a contribué très largement à l’instauration de la stabilité interne du Sénégal. Il a requinqué la démocratie du Sénégal. Il a fortement contribué à restaurer la crédibilité internationale de ce pays. Notre crédibilité était écornée. Personne ne s’attendait à une non-candidature de Macky Sall. Pression ou sans pression, l’essentiel est qu’il a renoncé et cela a permis de stabiliser en partie le Sénégal.

“Ce que Macky Sall a fait de 2012 à 2023 dépasse de très loin ce qui a été fait de 1960 à 2012”

En termes de bilan, quelle appréciation faites-vous des 12 ans de gouvernance de Macky Sall ?

Il a beaucoup fait. Dans la gouvernance publique il a beaucoup fait, il faut l’avouer. Le Sénégal de 2023 n’est pas celui de 2000. Le pays a beaucoup évolué sur le plan des infrastructures. Même sur le filet social, il a fait des avancées. Il y a des difficultés certes, il faut l’accepter. Il y a beaucoup de difficultés. Là où il a péché c’est certainement dans l’emploi des jeunes. On aurait pu avoir une politique beaucoup plus hardie qui aurait pu aider les jeunes. Ce qu’il a fait de 2012 à 2023 dépasse de très loin ce qui a été fait de 1960 à 2012.

Avec cette renonciation à la présidentielle de 2024, Macky Sall est au sommet de la pyramide des acquis démocratiques de ce pays.

“Ousmane Sonko aurait dû participer au dialogue national”

L’affaire Sweet Beauté a secoué le pays pendant deux ans. A la lecture du jugement ne pensez-vous pas que la montagne a accouché d’une souris ?

C’est une affaire privée qui concerne deux personnes privées.

La candidature de Ousmane Sonko semble être compromise au moment où on est en train de créer un couloir pour la participation de Karim Wade et Khalifa Sall. Dans un état de droit est-ce qu’on doit créer des conditions pour les uns tout en écartant les autres ?

Ce que je reproche à mon jeune frère Ousmane (Sonko), c’est d’avoir fait la politique de la chaise vide. Il ne fallait pas. Il fallait partir. Il a des arguments pour se défendre. Il fallait participer au dialogue. La politique de la chaise vide est une erreur. Aujourd’hui les gens qui se battent pour créer un couloir de dialogue entre le président de la République et Ousmane Sonko, sans qu’ils ne le disent, sont conscients qu’il s’est trompé. Il aurait dû participer au dialogue et poser leurs conditions sur la base de leurs principes. Pastef aurait dû participer. Si j’étais dans son entourage, je lui aurais conseillé de se faire représenter. Il a une présence nationale extrêmement importante qui risque d’être compromise.

Avec Sonko vous êtes tous deux inspecteurs des impôts et domaines. Quels sont vos rapports ?

Je ne l’ai pas approché en tant qu’homme politique mais je l’ai connu en tant qu’inspecteur des impôts. J’ai été secrétaire général du ministère de l’économie du Finance et du Plan, j’ai eu à le connaître. En tant qu’homme c’est quelqu’un de très agréable. Il est très intelligent, mais la politique est ce qu’elle est malheureusement. C’est un cadre sénégalais comme tous les autres cadres.

Ce que je pourrais suggérer au président de la République c’est qu’il trouve les voies et moyens d’avoir une élection présidentielle inclusive. Je crois que cela participe aussi à l’apaisement du Sénégal. Il a été très grand, il faut qu’il continue d’être très grand jusqu’en 2024. Il lui appartient, en tant que père de la nation, de faire de sorte que l’élection présidentielle qu’il va organiser et à laquelle il ne va pas participer soit la meilleure élection du Sénégal depuis Senghor.

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