La transition n’a pas encore fini de faire parler d’elle avec en toile de fond tous les malentendus qui entourent le chronogramme électoral de la transition. Les obstacles s’annoncent ravageurs, selon les avis d’experts, contre le respect du calendrier initial des échéances projetées. La junte militaire pourra-t-elle respecter le chronogramme électoral qu’elle a elle-même énoncé pour la fin de la transition ? En cas de micmac sur le processus électoral, synonyme de divergence notoire avec la Cedeao et les instances internationales, que risque-t-on pour notre pays ?
L’installation de l’équipe de l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige), effective depuis le mois d’octobre dernier, n’y fera rien : autour du processus des élections de fin de transition, consignées dans un chronogramme détaillé par les autorités de la transition, il persiste encore de nombreux écueils.
Comme dans le cercle fermé du pouvoir, on est encore loin d’afficher une certaine sérénité quant au respect strict des échéances annoncées, il est clair qu’au sein de la société civile, tout comme dans le champ politique, l’ambiguïté est plus forte que jamais.
Cela se ressent fortement dans l’attitude du ministère de l’Administration territoriale qui, bien que n’ayant pas en charge la gestion pratique des futures joutes, continue, au vu et au su de tout le monde, d’escamoter à l’Aige certaines de ses prérogatives régaliennes, en matière d’organisation des opérations de vote. Sans connaitre la moindre récrimination de la part de cette structure, par essence indépendante, censée garantir désormais la sincérité du processus de vote dans notre pays.
Attendue, par les acteurs nationaux, sur sa propension à défendre, bec et ongle, son indépendance, en toute circonstance, face à la toute-puissance déclarée du ministère de l’Administration territoriale, l’Aige n’a pu, dès ses premières prises de contact avec les partenaires, dissiper tous les malentendus, se formulant, sur elle, quant à sa capacité réelle de gagner son pari ; celui de briser le cercle vicieux des élections bâclées, tout en mettant le cap sur la normalité constitutionnelle dans le pays.
Le très respecté avocat, Me Moustapha Cissé, ancien président de la Ceni, qui dirige aujourd’hui l’Aige, en sait quelque chose ; lui qui a récemment rencontré, entouré de son staff technique, les acteurs de la société civile, autour du processus des élections de fin de transition.
A cette occasion, l’un des experts nationaux, les plus compétents en la matière, en l’occurrence Dr Ibrahima Sangho, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, en même temps chef de mission de Modèle-Mali, a évoqué les risques qu’il a jugés potentiellement réels et actuels, susceptibles de plomber le processus électoral en cours. Si, soutient-il, l’Aige ne prend pas rapidement les initiatives pour éviter le chaos autour du chronogramme électoral.
Justement, sur cette question, l’expert n’a aucun doute sur le fait que le chronogramme électoral, tel qu’il est annoncé par le gouvernement de la transition, n’est pas tenable en l’état, en ce sens que la loi indique que les démembrements de l’Aige doivent être mis en place six mois avant le début des opérations électorales. De ce fait, prévient-il, le référendum, comme il est programmé au mois de mars prochain, ne pourra pas se tenir à date, en raison de l’exigence de la loi qui en fixe les contours pour les coordinations de l’Aige qui ne sont pas encore au rendez-vous, en ce mois de février 2023.
Ce n’est pas tout : la détermination du calendrier des élections ; prérogative revenant de droit à l’Aige, n’est pas de l’aval du gouvernement de la transition, comme c’est le cas présentement. Pour cela, dit-il, l’Aige doit prendre ses responsabilités, en comptant strictement sur son indépendance absolue, pour décider d’un calendrier électoral réaliste.Sur la nécessité de ne pas se faire prendre au dépourvu, compte tenu de la rigueur de la loi, M. Sangho ne comprend pas du tout la décision de l’Aige de lier la mise en place de ses démembrements, encore non réalisée, au découpage électoral qui n’est toujours pas à l’ordre du jour.
Pour lui, il y a là un risque majeur qui pèse sur la fiabilité du processus électoral et qui peut être évité par l’Aige si elle se décide à travailler avec l’existant du dispositif. L’existant, selon lui, est relatif aux dix nouvelles régions, aux quarante neufs cercles et aux consulats, à partir desquels dispositifs administratifs les démembrements de l’Aige peuvent être opérationnels, en attendant l’effectivité du découpage électoral qui pourra renforcer cet existant, une fois réalisé.
Face à de nombreuses autres questions non encore réglées, comme la carte d’identité biométrique, l’expert des élections, Ibrahima Sangho, dans son analyse technique, estime qu’il est important pour l’Aige de clarifier les choses, comme il en est de ses attributions légales, notamment en s’assumant pour fixer un calendrier électoral réaliste.
Une telle clarification, pour elle, est nécessaire, selon lui, en ce sens qu’actuellement, le gouvernement de la transition, lui, est dans l’optique de faire les élections avec la carte d’identité biométrique. Une démarche du gouvernement qui devra nécessairement aboutir à la relecture de la loi électorale, avant même les élections proprement dites.
L’autre écueil de taille évoqué par l’expert des élections, susceptible d’impacter négativement le chronogramme électoral de la transition, c’est celui lié au report probable du référendum constitutionnel, annoncé initialement pour le 19 mars à venir, si ce n’est pas en fait son abandon pur et simple.
Il l’a estimé ainsi en raison du fait que la loi électorale en vigueur fixe les conditions d’organisation des élections qui ne peuvent plus être respectées, s’agissant du référendum constitutionnel qui est prévu, selon le calendrier du gouvernement de la transition, pour le mois de mars prochain.
Un facteur négatif qui peut alors régenter sur les autres échéances programmées, telles les élections des collectivités territoriales couplées des conseillers communaux, de cercles, régionaux et de district, annoncées, elles, en juin 2023, tout comme les législatives, prévues en octobre et novembre 2023.
Le même risque fâcheux guette le clou de ces échéances politiques ; celle de la présidentielle de février 2024, la mère des élections, la même qui annonce la fin définitive de la transition, qui peut se trouver chamboulée ou simplement compromise.
Outre ce scénario électoral catastrophique, l’expert, dans son estimation, relève également d’autres incongruités, qu’elles soient légales ou factuelles, qui peuvent anéantir dangereusement le chronogramme électoral de la transition.
C’est par exemple entre autres facteurs liés à l’avant-projet de la constitution dont les débats font rage au sein des acteurs nationaux. En fait, ici, il existe désormais une nouvelle disposition sur le mode de scrutin majoritaire, proportionnel ou mixte. Dès lors, cette nouvelle situation, si elle doit être entérinée, entrainera forcément, selon l’avis de l’expert, la relecture de la loi électorale en cours, en même temps qu’elle influera sur la loi sur le découpage électoral et même sur la loi organique régissant le mode de désignation des députés.
Rien que pour ces nouvelles modifications, on peut s’attendre à la probabilité d’un report potentiel pour la présidentielle, prévue en février 2024, suite au décalage prévisible des législatives, en raison justement de ce changement introduit par l’avant-projet constitutionnel, relativement au second tour de la présidentielle, désormais programmé pour le troisième dimanche suivant.
A l’évidence, l’expert, en relevant les ombres sur le processus actuel de l’organisation des élections de fin de transition, est de plus en plus sceptique sur le respect strict du chronogramme électoral de la transition si l’Aige, dont la composition actuelle pose d’ailleurs problème, ne prenait pas toutes ses responsabilités pour parer à toute éventualité catastrophique sur le cours normal des choses.
Oumar KONATE
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