Il s’agirait d’un développement inattendu, les deux pays ayant longtemps évité de former des alliances et blocs de type Guerre froide.
Fin novembre, des rapports indiquant que la Russie et la Chine avaient secrètement signé un accord de défense ont commencé à voir le jour.
Un article paru en novembre sur le site Russia Matters du Belfer Center de la Harvard Kennedy School rapporte que, lorsque Poutine s’est rendu à Pékin le 4 février, avant l’invasion russe de l’Ukraine, il a signé secrètement avec le président chinois Xi Jinping un accord « selon lequel leurs pays s’entraideraient militairement, mais uniquement en cas d’invasion étrangère ». L’article cite « Owen Matthews, observateur de longue date de la Russie ».
Matthews a ensuite rapporté dans un article du 26 novembre que, dans une « annexe confidentielle » à leur accord du 4 février, on trouvait « une garantie de sécurité mutuelle, ce que la Russie demandait à la Chine depuis des décennies mais qu’elle n’avait pas pu obtenir jusqu’à présent. (…) Comme l’article 5 de l’OTAN – qui veut qu’une attaque contre un membre soit une attaque contre tous – Pékin et Moscou s’engageaient à s’entraider militairement en cas d’invasion étrangère de leur territoire et si des conditions spéciales étaient remplies concernant les raisons d’une telle invasion ». Matthews citait « une source ayant des liens étroits et de longue date avec les plus niveaux du pouvoir politique et militaire de la Chine ».
Le Washington Post a donné quelque poids à cette histoire en l’incluant entre parenthèses dans un article d’opinion de Robert Wright du 2 décembre. L’article disait que « chaque jour, il y a un risque de voir un évènement fortuit transformer cette situation en une guerre plus générale, impliquant directement l’OTAN. Même si une telle guerre ne devenait pas nucléaire, les ravages pourraient être immenses. Parler de « Troisième Guerre mondiale »serait peut-être exagéré – mais pas forcément (surtout à la lumière d’un rapport récent selon lequel la Chine et la Russie ont un accord secret de défense mutuelle) ». L’éditorial du Post renvoie au même article de Matthews.
L’existence d’un tel accord confidentiel serait un développement inattendu dans les relations entre les deux pays, qui ont longtemps évité de former des alliances et blocs du style de ceux de la Guerre froide.
Et cela n’est peut-être pas vrai. Alexander Lukin, grand spécialiste des relations entre la Russie et la Chine, a déclaré à Responsible Statecraft qu’il « n’existe aucune preuve. Il s’agit probablement de simples ragots, et, comme tous les ragots, ils peuvent se révéler vrais ou faux ». Il a aussi déclaré que certains auteurs chinois ont plaidé en faveur d’une telle alliance mais a ajouté qu’ils ne parlent pas de « message officiel » du gouvernement chinois. Lukin a, par le passé, critiqué les analystes occidentaux qui ne font pas suffisamment la différence « entre les opinions officielles et majoritaires qui reflètent et déterminent la politique étrangère [de la Chine], et les opinions officieuses, voire marginales, qui ont peu d’influence sur la politique officielle ».
Selon Lukin, il est possible que cela vienne d’un entretien donné en mai par Yan Xuetong, un célèbre expert chinois en politique étrangère qui a plaidé pour la formation d’une alliance avec la Russie, mais qui, ajoute Lukin, « n‘est pas représentatif d’une position officielle ». Yan a déclaré au South China Morning Post que « la Chine devrait envisager de fournir des garanties de sécurité aux pays voisins. Il ne s’agit pas de les aider à envahir les autres, mais de fournir des garanties de sécurité lorsque les autres les envahissent ».
Dans une partie de l’entretien qui n’a pas été reprise dans la traduction anglaise, Yan a poursuivi en expliquant que « le concept d’alliance est mal interprété dans la société. Beaucoup de gens pensent qu‘une alliance, cela veut dire que si vos alliés entrent en guerre, vous participez automatiquement à celle-ci. C’est faux. Une « alliance » signifie que lorsque votre allié est envahi par d’autres et qu’il mène une guerre de résistance à l’agression, vous êtes automatiquement impliqué dans la guerre. Un traité d’alliance, c’ est « Je vous aide à vous protéger », pas « Je vous aide à envahir les autres ».
Mais il n’a jamais dit qu’un tel traité existait.
La distinction faite par Matthews et Yan entre une obligation qui est déclenchée par le fait d’être envahi et non pas par le fait d’envahir est cohérente avec la tonalité d’autres partenariats chinois. Avant même de cimenter son partenariat étroit avec la Russie, la Chine entretenait une relation exceptionnellement étroite avec le Pakistan. Mais alors que le Pakistan a été plus d’une fois en guerre avec l’Inde, la Chine n’est pas intervenue une seule fois avec ses troupes.
La raison en est que la Chine a établi la distinction même sur laquelle Yan insiste. Selon Andrew Small dans « The China-Pakistan Axis », la Chine ne viendrait jamais porter secours au Pakistan dans des conflits que lui-même aurait provoqués. Mais, selon Small, le président Mao Zedong (au pouvoir de 1949 à 1976) a déclaré que la Chine pouvait intervenir. Des sources interrogées par Small ont déclaré que la Chine pourrait intervenir si l’Inde attaquait le Pakistan. En d’autres termes, la Chine pourrait venir en aide à son partenaire si sa propre existence était menacée par une invasion étrangère. La Chine ne viendrait pas en aide à son partenaire si celui-ci était la cause de la crise.
Dans le cas de la crise ukrainienne, la Chine n’a pas reproché à la Russie de l’avoir causée, mais a plutôt systématiquement pointé du doigt les États-Unis et l’OTAN. Xi a déclaré personnellement à Biden que « le coeur de la crise ukrainienne » concernait « les préoccupations de sécurité tant de la Russie que de l’Ukraine ». Il a dit à Biden que ce sont les provocations des États-Unis qui étaient à l’origine du problème. Le 23 juin, Xi a de nouveau souligné la nécessité de « rejeter la mentalité de style Guerre froide et la confrontation des blocs » ainsi que « les comportements hégémoniques ».
Le porte-parole du Kremlin a déclaré le 13 décembre dernier que Xi et Poutine sont « en communication constante ». Les deux dirigeants auraient prévu de s’entretenir fin décembre pour « discuter des événements de 2022 ».
Néanmoins, la Russie et la Chine ont toutes deux renoncé aux alliances de type Guerre froide. Bien que leur partenariat stratégique extraordinairement étroit se rapproche d’une relation de quasi-alliance, c’est loin d’être une alliance militaire.
Quelques semaines seulement avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Xi a déclaré que les relations entre la Russie et la Chine « dépassent même celles d’une alliance par leur proximité et leur efficacité ». Une déclaration conjointe publiée le 4 février par Poutine et Xi affirme, peut-être pour la première fois officiellement, que « l’amitié entre les deux États ne connaît pas de limites, il n’y a pas de domaines de coopération interdits ». La déclaration ajoute qu’il s’agit « d‘un nouveau type de relation » qui est « supérieur aux alliances politiques et militaires de la Guerre froide ».
Dans le cadre de cette amitié « à toute épreuve », la Russie et la Chine ont effectué des exercices militaires sous un système conjoint de commandement et de contrôle qui leur a donné réciproquement des niveaux d’accès sans précédent, ce qui témoigne d’un très haut niveau de coordination stratégique et militaire.
Pas plus tard que le 27 octobre, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a déclaré que « la Chine soutiendra fermement la partie russe, sous la direction du président Poutine, pour unifier le peuple russe afin de surmonter les difficultés et les interférences, afin de réaliser un objectif stratégique de développement et de renforcer davantage le statut de la Russie en tant que grande puissance ». Il a promis que « la Chine et la Russie approfondiront leurs échanges à tous les niveaux ».
Mais, pour autant que l’on sache, il n’y a toujours aucune obligations de défense mutuelle.
La question de savoir s’il existe une garantie de sécurité mutuelle confidentielle pourrait, dans la pratique, ne pas changer grand-chose. Une attaque sur le territoire russe qui menacerait intrinsèquement la Russie pourrait amener la Chine à faire jouer ses propres intérêts en matière de sécurité : la Chine n’a aucune envie de faire face à une confrontation avec les États-Unis et l’OTAN sans la Russie. La Chine pourrait être incitée à venir en aide à la Russie en cas d’invasion, non pas par un accord avec la Russie, mais par souci de ses propres intérêts en matière de sécurité.
Et, surtout, il y a l’article 9, peu discuté, du traité sino-russe de 2001, connu sous le nom de Traité de bon voisinage et de coopération amicale. Il stipule que « lorsque survient une situation dans laquelle l’une des parties estime que la paix est menacée et compromise ou que ses intérêts de sécurité sont en jeu, ou lorsqu’elle est confrontée à la menace d’une agression, les parties contractantes doivent immédiatement établir des contacts et mener des consultations afin d’éliminer ces menaces ».
Peu importe qu’il y ait ou pas une garantie de sécurité mutuelle confidentielle entre la Russie et la Chine, elles entretiennent une relation de quasi-alliance étroite et toujours en cours d’évolution, qui ne connaît « aucune limite », et elles ont déjà conclu un traité leur permettant de s’entraider et d’éliminer toute menace pesant sur leurs intérêts respectifs en matière de sécurité.