Vous vous faites de plus en plus rare dans le débat politico-médiatique. Que devient l’inspecteur général d’État (IGE) et ancien président de la CENTIF et dans quoi s’active-t-il ?
Je ne suis pas très rare. J’ai été récemment l’invité du Grand Oral de Rewmi Fm. Je préfère intervenir dans des débats où les Sénégalais peuvent en tirer quelque chose, pas les débats politiciens. Je préfère les débats qui peuvent aider les Sénégalais à mieux percevoir le fonctionnement de leur pays, à mieux connaître l’économie et le budget de leur pays, à mieux connaître les contraintes et difficultés auxquelles ils font face et comment les régler. C’est ce débat-là qui m’intéresse.
Qu’est-ce qui vous indispose dans le débat que vous qualifiez de politicien ?
Vous écoutez les gens à travers les plateaux de débat télévisuel…cela ne rapporte rien. J’ai dit une fois dans ma page Facebook que les journalistes et les grands intellectuels ont déserté les plateaux pour laisser la place à des non-spécialistes. On voit ce que cela donne ! On est en face d’une très mauvaise information. A la limite, c’est de la désinformation qui sont servies aux Sénégalais. Et cela est très grave. C’est pourquoi, je ne préfère pas me mettre dans cette situation.
Qu’est devenue la CENTIF ? Depuis votre départ, on voit qu’elle n’est plus sous le feu des projecteurs. Qu’est-ce-qui explique cela ?
Il y a plusieurs raisons. La première est que la CENTIF, quand je la présidais, évoluait déjà dans une période où le blanchiment d’argent et la corruption avaient atteint un niveau extrêmement élevé. A cette période-là, le Sénégal était la plaque tournante de l’argent sale. Il y a eu une évolution quand-même dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, qu’on le veuille ou pas, même si elle est toujours très faible. Les banques sont plus regardantes, les professionnels assujettis le sont également. Il y a une évolution liée à une forte mobilisation de la CENTIF à l’époque dans le cadre de la sensibilisation et de la formation.
Donc ce n’est plus la même chose…
Bon ! La CENTIF continue à sensibiliser. Mais, comme je l’ai dit récemment, ces organismes doivent aujourd’hui être audités en termes organisationnels. C’est-à-dire, voir comment faire pour les rendre plus efficaces. Je le dis et je le défends. La CENTIF a été créée en 2005. Après dix-huit (18) ans d’existence, il est temps d’évaluer, de regarder si réellement ça ne coince pas quelque part en termes d’efficacité, d’efficience. Est-ce que réellement les professionnels assujettis à l’obligation de déclaration, jouent toujours le jeu ? Je crois qu’il est toujours bon de revoir le système. Ce n’est pas la CENTIF uniquement mais c’est le système qu’il faut revoir. A ce niveau, j’ai des propositions à faire. Même dans mon livre « Criminalité économique et financière », j’ai fait beaucoup de propositions allant dans le sens de l’amélioration des organismes dédiées à la lutte contre la criminalité économique et financière.
En effet, vous avez publié en septembre 2021 le livre « Criminalité économique et financière en Afrique et moyens de lutte : l’exemple du Sénégal ». Que retenir de cet ouvrage ?
Ce livre est et sera toujours d’actualité. C’est un document pédagogique. Cela permet aux gens de comprendre les enjeux et les défis de la lutte contre la criminalité économique et financière dont la corruption et les infractions qui lui sont connexes : le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, le trafic de drogue etc. L’approche était pédagogique. Il y a également une approche par l’exemple.
“Le Sénégal a amélioré le dispositif lutte contre la corruption et le blanchiment”
Que faut-il retenir de l’exemple du Sénégal dans cette lutte africaine contre la criminalité économique et financière ?
Au Sénégal, le problème persiste (il insiste). Donc, je crois que ce livre ne doit pas être perçu comme ce que Ngouda Fall Kane a fait. Mais chaque Sénégalais doit le lire. C’est un livre englobant, il y a énormément d’informations dedans : sur la pédagogie de lutte, sur les réformes qu’il faut faire pour rendre plus efficace le système de lutte contre la criminalité économique et financière. D’ailleurs dans une correspondance que le président de la République m’a adressée lorsque je lui ai dédicacé ce livre, malgré que je ne sois pas dans le même bord politique que lui, il me dit : « tous ceux qui interviennent dans le secteur doivent le lire et s’en approprier ».
Parmi les efforts que le Sénégal a fait en termes de lutte contre la criminalité économique, que pouvez-vous citer ?
Le président a créé l’OFNAC (l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption) pour la lutte contre la corruption. Il a créé l’ONRAC (L’Office national de Recouvrement des Avoirs criminels) pour le recouvrement des biens criminels. Il a également amélioré du point de vue procédural le dispositif lutte contre la corruption, contre le blanchiment également. Il y a des modifications qui sont intervenues dans le code pénal et le code de procédure pénal pour allonger le délai de prescription de certaines infractions financières. Il est en passe aujourd’hui de mettre en place le parquet financier qui, à mon avis, sera une avancée mais cela nécessite une bonne formation des magistrats et des acteurs qui vont y jouer un rôle.
“Je plaide pour la mise en place d’une Haute Autorité de la Bonne Gouvernance”
Sous Macky Sall aussi les organes de contrôle semblent être dans une léthargie. En tant qu’ancien inspecteur général d’État, quelles réformes faudrait-il apporter pour qu’ils jouent pleinement leur rôle ?
Ils ne sont pas en léthargie. Ils sont en train de faire leur travail mais je crois qu’il faut modifier leur mode de gouvernance. Faire de sorte que les organes de contrôle soient beaucoup plus indépendants. Que les organes de contrôle soient eux-mêmes à l’origine des contrôles qu’ils doivent mener. C’est extrêmement important !
Moi, à ce propos, la proposition que je peux faire c’est la création d’une haute autorité de la bonne gouvernance où on aura l’IGE, l’OFNAC. Toutes les structures qui interviennent dans la bonne gouvernance auront leur ancrage au niveau de cette haute autorité de la bonne gouvernance. On va créer également au sein de cette autorité une commission chargée de l’examen et du suivi des déclarations de patrimoine parce que l’OFNAC ne peut pas tout faire en même temps.
Faire des enquêtes administratives comme cela se doit en matière de corruption, ce n’est pas facile. Lutter contre la corruption est déjà une forte dose de sensibilisation. Je disais à un ancien président de l’OFNAC que la lutte contre la corruption c’est 80% de sensibilisation et 20% de travail de bureau. Il faut que les gens comprennent les enjeux et les défis de la corruption. Il faut que les gens comprennent ce que la corruption peut faire dans un pays.
L’OFNAC, la CENTIF et toutes ces structures seront sous l’autorité de la Haute autorité de la bonne gouvernance.
En attendant la création de cette structure, aujourd’hui ne faudrait-il pas qu’on sorte ces organes de contrôle de l’autorité du président de la République ?
Il n’y a pas que le président de la République. La CENTIF est rattachée au ministère des finances. Mais la CENTIF a une autonomie qui lui permet de travailler. Elle a une démarche de travail qui la met beaucoup plus à l’aise par rapport aux autres, mais la CENTIF n’est pas un organe de contrôle. Mettre en place cette Haute Autorité de la Bonne Gouvernance peut régler énormément de problèmes. Il faut également lui assurer une parfaite autonomie. On verra pour son ancrage institutionnel, si ce sera la primature ou la présidence de la République.
“Ce n’est pas parce que quelqu’un est cité dans un rapport de l’OFNAC qu’il est coupable”
L’ancien procureur de la République est nommé à la tête de l’OFNAC. Par le passé, il y a eu des passes d’armes entre lui et l’ancienne présidente (Seynabou Ndiaye Diakhaté) qui fustigeait le fait que ce dernier rechignait à traiter les dizaines de dossiers qu’elle avait transmis au parquet. Quelle appréciation faites-vous de cette nomination ?
L’OFNAC a une mission administrative d’enquête. Il ne peut pas qualifier une infraction. Le procureur est directeur des poursuites. C’est à lui d’apprécier. S’il dit ne pas être d’accord avec une enquête, il ne transmet pas. Il est dans son rôle. Il ne faut pas que les gens fassent des confusions. Ce n’est pas parce que quelqu’un est cité dans un rapport de l’OFNAC qu’il est coupable. Il y a une présomption d’innocence et ensuite c’est une enquête administrative. Il appartient à la justice d’ouvrir une enquête judiciaire.
Comment avez-vous accueilli le rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des fonds Forces Covid-19 qui a suscité un grand tollé ?
C’est comme tous les autres rapports. Il y a des rapports qui sont-là et qui ont la même pertinence ou même beaucoup plus pertinents. Donc je ne vois pas de particularité à ce rapport. Ils ont regardé les sommes qui ont été allouées, somme à laquelle ils ont retranché les dépenses régulières qui ont été effectuées et ils ont dégagé un montant considéré comme des décaissements irréguliers. Et ils ont demandé l’ouverture d’information judiciaire. Il n’y a pas de nouveauté.
Il n’y a pas de lenteur dans cette procédure judiciaire, selon vous ?
Le temps de la justice, ce n’est pas le temps des autres. Maintenant les problèmes de lenteurs par rapport à ce genre de dossier seront réglés par la mise en place du parquet financier. N’oubliez pas que la Cour des comptes se prononce également sur les fautes de gestion pour lesquelles elle a compétence d’appréciation. Les fautes de gestion sont jugées auprès de la chambre criminelle de la Cour des comptes. La faute de gestion n’est pas identique aux détournements et autres.
L’information judiciaire est large, il y a des enquêtes à faire. Si les faits sont avérés, il n’y a pas de problème. Dans ce dossier, les officiers de police judiciaire avaient convoqué les personnalités impliquées.