Visite de Sergueï Lavrov au Mali : Regard d’un universitaire et d’un officier général à la retraite

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A la tête d’une forte délégation, le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie a effectué la semaine dernière une visite historique dans notre pays. Dans les lignes qui suivent, Dr Aly Tounkara, expert au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) et le général a la retraite Beguélé Sioro donnent leur point de vue sur les éventuelles retombées de ce déplacement de Serguei Lavrov

Dr Aly Tounkara : «Cette visite est une sorte d’aubaine»

On pourrait situer cette visite du ministre russe des Affaires étrangères à partir de trois éléments majeurs. Le premier élément, n’oublions pas que c’est la France qui porte le «dossier Mali» au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment pour le maintien de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Au regard de la brouille diplomatique entre Bamako et Paris, une telle offre pourrait ne pas être soutenue lors du sommet prévu en juin prochain aux Nations unies.

Lors de cette visite de Lavrov, il a été question de comment amener la Russie à être ce qu’on appelle «pen-holder». Comment la Russie pourrait porter ce dossier à la place de la France. Même si côté mobilisation des ressources financières et même humaines, la Russie, au regard de sa position géopolitique, pourrait être heurtée à un certain nombre de résistance. La Russie pourrait également être isolée notamment par les pays européens et même américains. C’est une question qui a été à la limite en partie posée même si les éléments de réponses restent jusqu’ici pas du tout partagés avec le public.

Le deuxième aspect qu’on peut également retenir de cette visite, c’est l’existant. On sait déjà que le Mali et la Russie entretiennent de bonnes relations en termes d’acquisitions d’armements et même de formation des hommes. Il s’agit de savoir comment pérenniser ces acquis et éventuellement demander à la Russie plus d’hommes, plus d’instructeurs et surtout plus d’acteurs sécuritaires.

Cela, en vue d’une couverture sécuritaire géographique beaucoup plus suffisante. Des largesses aussi pourraient être demandées à la Russie lors de l’acquisition d’un certain nombre d’équipements sophistiqués. Même si l’Armée malienne a aujourd’hui obtenu un nombre impressionnant d’équipements. Mais au regard de la complexité de la menace terroriste et de la manière dont cette menace se métastase, toutes ces raisons font que cette visite a été saisie par Bamako comme une sorte d’aubaine, d’élargir son partenariat sur le plan sécuritaire avec la Russie.

Le troisième élément qu’on peut retenir de cette visite, ce sont plutôt ces questions de positionnement des entreprises russes au Mali. Au-delà du soutien qu’accorde la Russie au Mali depuis les années 60, il serait quand même stupide de penser que tous ces efforts que fournit ce pays au Mali n’ont pas besoin d’être soutenus dans la durée. D’où l’importance également de voir comment faire interagir entreprises maliennes et entreprises russes en vue d’une possible collaboration. Il s’agit de solliciter la venue des entreprises russes pour le bénéfice des deux États. On est plus avec les acteurs privés qui sont les entrepreneurs en matière d’exploitation des ressources naturelles, des travaux publics, d’agronomie, d’agriculture. Ce sont, entre autres, des aspects qui ont été sérieusement abordés dans un esprit gagant-gagnant.

Le général à la retraite Béguélé Sioro : «Nous avons maintenant un point d’appui solide»

Cette visite est une opportunité pour notre Armée, parce que nous avons maintenant un point d’appui solide. Nous savons où aller pour chercher tel ou tel équipement. J’apprécie, à sa haute valeur, cette visite d’un ministre des Affaires étrangères de la Russie. Nous savons tous que les grandes personnalités des grands pays ne se déplacent pas comme ça, surtout pour arriver vers nos pays que je peux appeler les pays en développement.

C’est très rare, mais si Dieu a fait que le cœur de la Russie s’est incliné sur notre pays, nous ne pouvons que saisir cette occasion avec nos deux mains. Parce que sans partenaire stratégique, fiable, on ne peut avoir une Armée professionnelle et efficace. Les temps anciens nous l’ont montré. Nous avons été impuissants de voir nos territoires occupés, nos populations décimées, les récoltes brûlées. Nous avons été témoins de tout cela. Qu’est-ce qu’on pouvait faire ? Parce que nous ne savions même pas où aller chercher les armes pour pouvoir donner la réplique.

Le partenariat avec la Russie a permis le développement de notre capacité de défense. On n’avait pas la variante aérienne. En 2012, on n’avait même pas l’aviation tout simplement parce qu’il n’y avait pas de pilotes pour les quelques avions qui restaient encore. Je parle des Mi-21. Mais, aujourd’hui, la donne a changé parce que nous avons eu ce contact avec la Russie. D’ailleurs, c’est le même contact que Modibo Keïta avait avec la Russie ainsi que le régime de Moussa Traoré. Mais comme par un désenchantement, à partir de 1991, ce contact a été rompu pour des causes diverses.

Si maintenant Dieu a permis que les autorités de la Transition rétablissent ce contact pour que nous puissions avoir une capacité opérationnelle qui nous permet de défendre notre sanctuaire, c’est-à-dire notre pays, le pays que Dieu nous a donné, le pays de 1.241.138 km2… C’est Dieu qui nous a donné ça, nous n’avons pas conquis et quelqu’un ne nous a pas donné cadeau. C’est Dieu qui a voulu que nous habitions cette partie du monde qu’on appelle, aujourd’hui, le Mali. Et ceux qui dirigent les États sont responsables à ce que cet aspect géographique soit défendu. Cet aspect est défendu principalement par une armée. Or, cette armée, il faut lui donner les moyens de le faire. C’est ce que les autorités de la Transition sont en train de faire, bien que certaines personnes ne comprennent pas cela.

Qu’on se dise la vérité, 2012-2022 étaient la période de ténèbres de notre Armée et par voie de conséquence du Mali. Le Mali ne pouvait rien, ce sont d’autres personnes qui venaient prétendre nous défendre alors qu’elles étaient venues avec leurs agendas. Si les autorités de la Transition ont permis à ce qu’on dise à ces prétendus défenseurs : «Bon, c’est compris, rentrez chez vous, vous êtes fatigués et nous reprenons le relais». Elles ont dit cela parce qu’elles avaient un partenaire stratégique, fiable et sincère, qui est la Russie.

Propos recueillis par

Massa SIDIBÉ et

Bembablin DOUMBIA

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