[Le Carnet d’Adama] “Avec moi, tout va changer” Hélas, trois fois hélas !

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Il est toujours intéressant de se replonger dans les discours passés des hommes politiques. On y découvre des perles. Avant et au lendemain immédiat de son élection en 2012, Macky Sall a beaucoup parlé de rupture, de vertu, de morale publique. Il voulait “bannir le trafic d’influence” (discours prononcé le 3 avril 2012), “remettre de l’éthique dans la politique et revenir aux valeurs” en parlant de la transhumance. Dans un entretien accordé à Marwane Ben Yahmed de ‘’Jeune Afrique’’, le 3 juillet 2012, il jurait, la main sur le cœur : “Avec moi, tout va changer.”

En effet, tout a changé, mais en pire sur le plan des valeurs, précisément. C’est sous le président Macky Sall que le Sénégal a vécu le moment le plus sombre de son histoire, depuis l’introduction du multipartisme.   Le samedi 3 février, le Sénégal a connu  une funeste régression. En décidant de reporter l’élection présidentielle, sans aucune base juridique valable, de l’avis de juristes éminents et crédibles, Macky Sall rabaisse d’abord sa parole,  lui qui, à longueur de sommets et de discours, tant au Sénégal qu’à l’extérieur, clamait qu’il serait le garant du respect du calendrier électoral et transmettrait le pouvoir, le 2 avril, à son successeur. “Le 25 février 2024 se tiendra l’élection présidentielle sénégalaise. Comme les précédentes, elle sera démocratique, libre et transparente, disait-il devant la solennelle Assemblée générale de l’ONU, le 20 septembre. Et le 2 avril, je passerai le pouvoir à mon successeur après 12 ans à la tête de notre pays”. Cette entorse à sa promesse et à sa parole devant ses pairs du monde entier est déjà  scandaleuse.

Mais le plus grave, c’est qu’avec ce nouveau coup de Jarnac, le chef de l’État rabaisse le Sénégal, ce pays dont vous disiez, le 3 juillet,  qu’il “dépasse (votre)  personne”.  Le Sénégal salué, naguère, comme un îlot de stabilité, un modèle, vit sous le rythme de violences et de crises cycliques, depuis maintenant trois ans, et devient même la risée de ses voisins.

Et le chef de l’État en porte une grande responsabilité par ses manœuvres politiciennes.

Incontestablement, Macky Sall a connu des réussites, notamment sur le volet des infrastructures, mais sur le plan des valeurs, son bilan est peu reluisant.

L’homme qui voulait en “finir avec le trafic d’influence” et “mettre de l’éthique dans la politique” a  aggravé le clientélisme politique et les dérives de son prédécesseur. Depuis son élection, Macky Sall a réalisé une véritable OPA sur la classe politique. Après avoir fidélisé et pérennisé la coalition qui l’a porté au pouvoir, qui regroupe l’Alliance des forces de progrès (AFP) et le Parti socialiste (PS), naguère mastodontes désormais réduits au rang de roue de carrosse, il a cassé ce qui restait du Parti démocratique sénégalais (PDS) en débauchant des figures telles que Souleymane Ndéné Ndiaye, Modou Diagne Fada, Omar Sarr, Aliou Sow, etc. Mieux, il a réussi à faire rentrer dans le rang celui qui faisait figure de “chef de l’opposition”, son rival de toujours, Idrissa Seck – ce dernier a depuis lors repris sa liberté – arrivé deuxième lors  la dernière élection présidentielle, amadoué à l’aide d’un strapontin au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Aux récriminations des idéalistes, Macky Sall oppose une froide realpolitik et jubile après sa prise : “Quel est le président qui ne voudrait pas prendre le candidat arrivé deuxième après lui ? (…) Plus de 85 % de l’électorat se trouve désormais dans le camp de la majorité.”

Toutefois, il semble que 85 % n’est pas un chiffre qui rassure le chef de file de Benno Bokk Yaakaar, d’où sa volonté de toujours pousser plus loin le bouchon d’un machiavélisme dévoyé.

La ligne rouge a été franchie, samedi dernier. Et Macky Sall a irrémédiablement jeté une tache indélébile sur son bilan  à la tête du Sénégal. Le 3 juillet 2023, salué à juste titre comme une journée historique, a été balayé par le 3 février 2024. Macky Sall restera dans la postérité comme celui qui a signé l’arrêt de mort de l’exception démocratique sénégalaise. C’est la première fois, depuis 1963, qu’une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal.

Après lui, car tout a une fin, Dieu merci, il nous faut une RESTAURATION. : restauration de la démocratie, de la République et des Institutions. Le Sénégal abîmé a besoin d’être réparé et de renouer avec le fil de son histoire jusque-là parsemée de progrès, acquis de haute lutte. Mais là est le tragique de la situation, ceux qui sont, aujourd’hui aux portes du pouvoir, ont eux-mêmes beaucoup contribué à salir et rabaisser plusieurs institutions.

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