Edito : Quand un écran s’allume, c’est un enfant qui s’éteint

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Le titre n’est pas de moi, mais du docteur Anne-Lise Ducanda. Le médecin français, spécialiste des écrans, a sorti récemment un livre que je vous recommande chaudement : “Les tout-petits face aux écrans : Comment les protéger”. Je l’ai découvert il y a quelques jours dans une interview qui a mis le doigt sur un état de fait de plus en plus partagé dans nos foyers, même ici en Côte d’Ivoire. Je me fais donc son porte-voix, en vous donnant un résumé de ce que j’ai retenu de tout ça.

Sans qu’on n’y prenne garde, nous sommes en train d’avoir affaire à une question de santé publique. Nos enfants grandissent dans un environnement différent de celui d’il y a quelques années en arrière. “Il y a 20 ans, il y avait un écran par foyer. Aujourd’hui, on est à 10 écrans par famille, y compris avec les enfants”, révèle le Dr. Ducanda, soulignant les lourdes conséquences liées à une “exposition massive et précoce des bébés et des jeunes enfants à tout type d’écrans : Smartphone, tablette, ordinateur, console, télévision”.

 L’écran et les enfants : attention danger !

On le constate dans toutes nos maisons, les parents proposent des écrans pour se libérer du temps et s’occuper d’autre chose. Les terminaux sont devenus des moyens de calmer des enfants trop turbulents ou d’obtenir un peu de tranquillité. Mais, sur la durée, c’est tout le développement de l’enfant qui est perturbé. Selon des chiffres publiés en France, les “(enfants de) 0-2 ans passent 3 h 11 ” par jour devant un écran. Pour les maternelles, c’est 3 heures 40 minutes, les élémentaires 4 h 40, et les collégiens plus de 8 heures par jour.

Selon les résultats préliminaires d’une étude menée en 2018 sur 4500 enfants de 9 et 10 ans, par les Instituts américains de la santé (NIH), des modifications apparaissent sur le cerveau des enfants qui passent beaucoup de temps sur les écrans. “Si l’étude montre d’ores et déjà que les enfants qui passent plus de deux heures par jour devant un écran obtiennent de moins bons résultats à des tests de langage et de réflexion, les premiers tests IRM montrent une différence dans les cerveaux des plus gros consommateurs d’écrans”, souligne le site français Le Point qui a eu accès à ladite étude. “Nous ne savons pas si cela a un lien avec le temps passé sur les écrans et nous ne savons pas s’il s’agit d’une mauvaise chose”, explique à CBS le Dr. Gaya Dowling, qui a travaillé sur le projet.

Il est vrai, il faudra plusieurs années pour établir et estimer si le temps passé sur les écrans est responsable de la différence du cerveau de ces enfants, ou si c’est cette différence qui les pousse à passer du temps sur les écrans. Cependant, de prime à bord, les effets sur la santé des enfants sont maintenant bien connus. “La nature même des écrans représente un danger. La lumière bleue des LED est une menace pour la rétine. En effet, le cristallin des plus petits n’est pas encore opacifié et certains ophtalmologistes redoutent une augmentation de DMLA dans les années à venir (la dégénérescence maculaire liée à l’âge, qui correspond à une dégradation d’une partie de la rétine macula, NDLR)”, alerte Dr. Serge Tisseron, psychiatre et auteur de ‘Apprivoiser les écrans et grandir’ (aux éditions Érès).

L’exposition aux écrans perturbe également le sommeil des enfants et l’endormissement. Ce que plusieurs parents ignorent, c’est le lien entre les écrans et la difficulté d’apprentissage. “Les écrans privent le tout-petit de ses besoins essentiels, c’est-à-dire interagir avec des humains de façon fréquente et de qualité, notamment avec ses parents avec qui il crée une relation qu’on appelle l’attachement, et d’explorer le monde réel en 3 dimensions avec tout son corps et tous ses sens”, prévient Anne Lise Ducanda. Toutes les compétences de l’enfant se trouvent perturbées, avec pour corollaire “des troubles du développement”.

Comme le rappelle Dr. Serge Tisseron dans Le Point, avant 3 ans, les priorités des enfants résident dans la motricité, le langage, le développement des capacités d’attention et la reconnaissance des émotions. “Les écrans ne peuvent pas répondre à ces différents apprentissages, car ils ne permettent pas d’utiliser son corps, ne s’adressent pas directement à l’enfant, n’interagissent pas avec lui et ne lui permettent pas d’apprendre à se concentrer sur une cible fixe”. Les enfants victimes de trop d’écrans présenteraient aussi des difficultés à identifier les émotions, et donc de l’insécurité relationnelle.

Dans une Tribune signée dans le journal Le Monde en 2017, plusieurs médecins tirent la sonnette d’alarme sur les effets néfastes des écrans. D’abord une désorganisation du comportement : “Des absences totales de langage à 4 ans, des troubles attentionnels prégnants : l’enfant ne réagit pas quand on l’appelle, n’est pas capable d’orienter son regard vers l’adulte ni de maintenir son regard orienté vers l’objet qu’on lui tend hormis le portable”. À cela s’ajoutent “des troubles relationnels : l’enfant ne sait pas entrer en contact avec les autres. Au lieu de cela, il les tape, lèche, renifle…”

“A ces désorganisations du comportement s’adjoignent parfois des stéréotypies gestuelles et, enfin, une intolérance marquée à la frustration surtout lorsqu’on enlève ‘son’ écran à l’enfant”, s’alarment les médecins spécialistes de la petite enfance. Autre effet, le manque de stimulation et d’échange humain. “L’écran offre au cerveau le plaisir sans effort”. Cela fonctionne comme une addiction, et l’enfant ne peut plus s’en passer. Conséquence : une perturbation de la relation d’attachement avec les parents, mais aussi des troubles d’apprentissage.

“Un bébé pour lequel ne s’est pas constitué l’accordage primaire avec son parent, grâce auquel se synchronisent les regards, la voix et les gestes, ne peut se développer de façon normale. Il ne peut accéder à une conscience de soi et développer un langage humain de communication et d’échange avec l’adulte”, préviennent les médecins.

 Ouvrez les livres, offrez de la lecture !

“Zéro écran jusqu’à 2 ans, ou jusqu’à ce que l’enfant apprenne à parler”, c’est ce que propose le docteur Ducanda. Et même là encore, elle suggère que ça soit encadré. “Car il faut offrir du temps de qualité”, qui passe par “avoir des jours sans écran”. De mon point de vue, l’une des façons de ne pas céder à cette déferlante digitale est d’embrasser des alternatives parmi lesquelles il y a le livre (et donc la lecture).

Véritable trésor pour l’épanouissement intellectuel des jeunes esprits, il offre une myriade d’avantages souvent sous-estimés. Tout d’abord, lire, c’est stimuler l’imagination des enfants, les transportant dans des mondes extraordinaires où ils peuvent développer leurs créativités. La lecture favorise également l’acquisition d’un vocabulaire riche, améliorant ainsi leurs compétences linguistiques essentielles. Loin des écrans qui imposent passivité et consommation, les livres invitent à une participation active. La lecture engage l’esprit, incitant les enfants à réfléchir, à poser des questions, et à explorer de nouveaux horizons.

Il s’agit en réalité par cette activité littéraire de favoriser le développement cognitif en stimulant la pensée critique et en renforçant la capacité à résoudre des problèmes. En Côte d’Ivoire, le Salon du livre d’Abidjan (Sila) fait office de fer de lance dans cet engagement. On se souvient du thème de l’édition 2022 : “Allumez vos livres, éteignez vos écrans. Il illustre parfaitement cette prise de conscience.

En mettant en avant cette thématique, le salon encourage la population à reconnaître la valeur inestimable de la lecture dans la vie des enfants.  Ouvrir des livres à nos enfants, c’est leur offrir bien plus que des mots imprimés.  C’est leur donner des opportunités d’apprentissage, d’évasion et de développement personnel, les guider vers un avenir où la connaissance, la curiosité et la créativité sont les clés de leur croissance harmonieuse.

 Un engagement (en) commun Nous l’avons dit plus haut

C’est une question de santé publique. Et elle requiert, de façon impérative, que tous les acteurs de la société se mobilisent pour y faire face. Les enfants d’hier sont devenus les parents d’aujourd’hui. Des adolescents (d’il y a quelques années en arrière) qui ont grandi avec les écrans et qui ne mesurent pas l’impact sur leur vie. Des parents qui sont en train de transmettre le goût de l’écran (et de son addiction) à leurs enfants et, par conséquent, tous les risques sur leur développement qui y sont rattachés.

L’écran, s’il est mal utilisé, peut devenir un véritable obstacle au développement sain des enfants. C’est pourquoi un engagement commun est nécessaire. D’abord par les pouvoirs publics. Il y a urgence de mettre en place des politiques éducatives et des campagnes de sensibilisation pour informer les familles sur les risques liés à une exposition excessive aux écrans.

Des programmes éducatifs dans les écoles peuvent également être renforcés pour promouvoir l’équilibre entre les activités numériques et les activités plus traditionnelles, telles que la lecture. Pour les parents, en tant qu’éducatrice numéro 1 de leurs enfants, il leur revient la responsabilité première d’orienter l’utilisation des écrans. Favoriser un environnement propice à la lecture et à d’autres activités éducatives telles que la danse, la musique, la peinture, etc.

En tout état de cause, il ne s’agit pas de bannir définitivement les écrans des familles. Ce n’est pas la solution. Il s’agit surtout de les intégrer dans une démarche éducative. “Comme c’est le cas avec la nourriture, il faut les introduire progressivement dans le quotidien des enfants. Et comme pour l’alimentation, les écrans ne doivent pas être grignotés toute la journée. Les parents sont là pour en guider l’utilisation”, conseille le Dr. Serge Tisseron.

Israël Guébo 

Il a travaillé comme journaliste pour des médias ivoiriens, panafricains et internationaux. C’est un communicant, expert du numérique, qui a accompagné de nombreuses institutions nationales et internationales dans la structuration, l’optimisation et le déploiement de leur communication. Depuis plus de 20 ans, il est engagé en Côte d’Ivoire en travaillant à la transformation sociale par des formations et des actions citoyennes auprès des populations. Il est écrivain, auteur de 3 livres.

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