Au Mali, soldats putschistes et groupes armés du nord sur le sentier de la guerre

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Alors que les affrontements se multiplient entre les militaires au pouvoir à Bamako et les anciens rebelles de l’Azawad, l’accord de paix conclu en 2015 n’a jamais paru aussi menacé.

Qui, des mouvements rebelles ou des forces loyalistes, prononcera le premier l’acte de décès de l’accord de paix et de réconciliation d’Alger signé en 2015 par les mouvements indépendantistes touareg et arabes et l’Etat malien ? Le cessez-le-feu, qui surnageait dans un océan de méfiance entre les deux parties, a été sérieusement écorné ces dernières semaines laissant craindre une reprise généralisée des affrontements.

Les derniers combats entre la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, regroupement des principaux groupes rebelles signataires de l’accord d’Alger) et les forces armées maliennes (FAMa) se sont déroulés le 17 septembre à Léré au sud-est de Tombouctou, près de la frontière avec la Mauritanie. Les combattants de la CMA ont brièvement occupé cette base de l’armée malienne.

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« Ils ont pris par surprise les FAMa et les ont fait déguerpir en s’emparant au passage d’armes et de matériel militaire avant de se retirer en bon ordre », rapporte un dignitaire touareg, membre d’un autre groupe, joint au téléphone. La CMA a revendiqué avoir abattu, lors des combats, un avion de chasse de type Albatros L-39, l’un de ceux fournis en début d’année à Bamako par la fédération de Russie.

Cinq jours auparavant, les rebelles avaient attaqué un autre camp de l’armée malienne à Bourem. Cette ville stratégique pour les belligérants est située sur un axe transversal est-ouest reliant Tombouctou à Gao, et au carrefour de voies d’accès menant vers Kidal, sanctuaire des rébellions touareg qui, en 2012, proclamèrent l’indépendance de l’Azawad sur le septentrion malien. D’autres combats, dans cette même zone, avaient également eu lieu mi-août pour le contrôle de la base de Ber.

Le réveil des ardeurs belliqueuses

« L’enjeu est d’occuper le terrain après le départ de la Minusma [à laquelle la junte au pouvoir a demandé en juin de quitter le pays sous six mois] », ajoute le responsable précité. Le mandat de la mission onusienne visait à appuyer la mise en œuvre de l’accord d’Alger, ainsi qu’à protéger des populations civiles et faciliter la restauration de l’autorité de l’Etat sur tout le territoire. Si aucun de ces objectifs n’a été atteint en dix années de présence, le déploiement des casques bleus ainsi que l’activité diplomatique onusienne avaient permis de maintenir les différentes parties à distance. A défaut de progresser vers un règlement durable de la crise.

Le processus de suivi de l’accord de paix était en effet paralysé depuis le coup d’Etat militaire à Bamako, en août 2020. Mais le retrait, deux ans plus tard, de l’opération antiterroriste française « Barkhane » puis de la Minusma a, semble-t-il, réveillé les ardeurs belliqueuses. « Les parties [signataires d’Alger] ont adopté des positions divergentes sur le sort des camps libérés par la mission », rappelait le 28 août, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, El Ghassim Wane, le représentant spécial de l’organisation internationale pour le Mali.

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La junte entend reprendre tous les camps de la Minusma après leur évacuation. « La CMA, notamment, s’oppose au déploiement des forces armées maliennes dans les zones qu’elle contrôle », ajoutait le diplomate mauritanien qui s’inquiétait « du grave déficit de confiance entre les parties ».

Or, la Minusma vient seulement de clore, le 30 août, la première phase de son retrait en quittant quatre de ses bases : Ménaka, Ogossagou, Ber, Goundam. A l’échelle du pays, l’ONU doit résoudre un véritable défi logistique en six mois : rapatrier 12 947 membres du personnel en uniforme, se séparer de 1 786 personnels civils, réexpédier 5 500 conteneurs maritimes de matériel et près de 4 000 véhicules, selon sa comptabilité. Les Nations unies doivent encore fermer neuf bases, parmi les plus sensibles sur les plans politique et sécuritaire, parce que situées dans les fiefs des mouvements rebelles.

« On nous impose d’aller à la guerre »

Il s’agit notamment des camps militaires de Tessalit, d’Aguelhok et de Kidal, dans le nord du Mali, cette même zone d’où était parti, en 2012, le mouvement de rébellion qui faillit faire imploser l’Etat malien. « Nous ne lâcherons pas ces camps », a prévenu un membre de la CMA joint au téléphone dans les environs de Gao. Quitte à nouer des alliances de circonstance avec les djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, ou JNIM en arabe) affilié à Al-Qaida.

« La junte nous traite comme des terroristes, elle a chassé la communauté internationale du pays [la Minusma et l’opération française “Barkhane”, en 2022] et refuse les médiations étrangères. Il n’y a plus de dialogue, donc on nous impose d’aller à la guerre », justifie un membre de la CMA. « Pour la CMA, tous les moyens sont bons pour protéger Kidal, même se coaliser avec les terroristes du JNIM », dénonce un responsable touareg qui espère encore une relance du dialogue avec Bamako.

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En 2012, les mouvements indépendantistes touareg et arabes s’étaient fait totalement déborder par les groupes djihadistes, qui sont aujourd’hui encore les plus actifs. Le 7 septembre, le GSIM a ainsi revendiqué une double attaque meurtrière, dans la région de Tombouctou, contre un bateau de transport de passagers naviguant sur le fleuve Niger, et une base de l’armée à Bamba. Selon un bilan officiel, 49 civils et 15 militaires ont été tués. Depuis un mois, ce même groupe soumet aussi la ville de Tombouctou à un blocus.

Quant à l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS), faute de pression militaire, il ne cesse de progresser. « L’EIGS a pris le contrôle d’importantes parties de la région de Ménaka [dans l’est proche du Niger] ainsi que d’un certain nombre de villes », observe le Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA). « La junte a cédé son autorité sur des parties importantes du nord du Mali », ajoutait ce centre de réflexion rattaché au département de la défense américain dans une note datée du 21 juillet. Pour le CESA, si rien ne change, « la perspective de l’effondrement du Mali [est] de plus en plus probable ».

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