La djèliya, terme malinké, est une fonction sociale, exercée par les djèli au sein des communautés mandingues d’Afrique occidentale. Cette fonction est très vaste : les djèli sont à la fois détenteurs de l’histoire et de la tradition orale, médiateurs sociaux et politiques au sein de leurs communautés et artistes musiciens. Le rôle des djèli au sein de la société et de la communauté mandingues est très ancien ; il trouve son « institutionnalisation » dès la charte du Mande au XIIIe siècle. Dans la langue française, le mot griot désigne couramment les djèli et le terme griotisme, leur fonction.
Transmise de génération en génération par le lien du sang, la djèliya a un caractère héréditaire. Le terme griot, mot d’origine occidentale désignant les djèli, dérive probablement du portugais criado, qui signifie « serviteur », mais aussi « personne bien élevée ». Il était à l’origine utilisé pour désigner les gens fréquentant la Cour royale, avec lesquels on négociait la « pénétration coloniale ». Ce mot est attesté en français dès le XVIIe siècle, sous la forme guiriot. La société mandingue traditionnelle est divisée en trois groupes : les horon, hommes libres ou nobles ; les nyàmakala, composés par différents types d’artisans (forgerons, cordonniers) ; entre eux, les « artisans de la parole », désignés par le terme djèli (griots), et les wôloso, captifs domestiques.
Les familles qui détiennent le rôle de djèli au sein de la communauté mandingue ont été proclamées par Soundiata Keita pendant la conférence de Kuru kan Fuga de 1236. Les Kouyaté, les Cissokho et les Diabaté sont les familles les plus connues, parmi d’autres. Tout individu né dans une famille griotte devient un djèli (djèlimousso, pour les femmes), mais certains peuvent décider de ne pas faire de la djèliya leur métier. La seule distinction entre les griots hommes et femmes est que celles-ci ne jouent pas d’instruments de musique et privilégient le chant comme mode d’expression.
Le djèli est le détenteur de la tradition orale du peuple manding. Il transmet l’histoire de son peuple, qui n’a jamais été écrite. Dans les récits des djèli, cette histoire prend la forme de maana (épopée), où la vérité historique se mêle à des éléments mythiques. Ce type de récit sert à instruire les auditeurs sur le passé et les valeurs de la société mandingue, par un récit entre réel et merveilleux. Le “djélia”, l’art que pratiquent les griots, consiste à raconter des histoires relatives à des familles. Les griots sont présents à chaque grande occasion (mariage, baptême, fêtes religieuses…). Quand ils sont appelés, les griots rappellent donc aux familles leurs passés, celui de leurs ancêtres… de façon élogieuse.
Le griot était toujours associé à la Cour royale, comme conseiller et médiateur politique intervenant dans les décisions du Roi. Ainsi, les griots intervenaient dans la résolution des conflits internationaux entre différents peuples, agissant comme de vrais ambassadeurs de la paix. De nos jours, une autorité morale lui est toujours reconnue. En se servant des valeurs communes, le griot construit un récit, qui met en pratique des manières de dissuasion ou de consensus, aidant, par la parole, à réconcilier et/ou faire accepter certains événements de la vie sociale.
À l’échelle de sa communauté, sa place est centrale dans le déroulement de la majorité des rites de passages : mariage, baptême, funérailles. Il conseille les parents dans le choix d’un nouveau prénom pour les nouveau-nés ; il introduit les familles respectives des futurs mariés ; il anime les mariages ; il récite des louanges en l’honneur de la personne décédée, etc.
Il peut servir de conseiller spirituel lors de périodes de conflit. Ce rôle de « guide » moral, auquel il est fait appel, permet de régler des disputes inter familiales, entre mari et femme, entre pères et enfants ou même entre frères et sœurs. Au fur et à mesure que les familles témoignent favorablement de son intervention, le griot acquiert une notoriété sociale qui lui permettra d’être sollicité par de nouvelles familles. Par des dons, les familles « rendent » au griot le bénéfice de ses services. Il peut dès lors assurer une partie de sa subsistance grâce à ces rémunérations, tout en acquérant une visibilité par les cadeaux donnés par les familles. L’un des critères de bonne réputation du griot est son maniement de la parole, jouant des extrêmes : il représente la parole formelle et sérieuse, à respecter, tout en maniant humour et dérision afin d’apaiser les malentendus. Ce contraste se reflète aussi dans l’ambiguïté des opinions exprimées envers les griots, tantôt personnes respectables, vrais dépositaires d’un savoir, tantôt manipulateurs ou quêteurs.
Même lorsque le désir des nouvelles générations d’exercer le griotisme s’affaiblit, la pratique demeure en bonne santé : la communauté mandingue en France est assez importante pour faire exister le griotisme, du fait des griots résidant en France autant que par les voyages en France de griots vivant en Afrique. La circulation des griots de l’Afrique vers la France est un processus né dans les années 1980, qui répond directement aux besoins de la communauté mandingue de l’Île-de-France.
Bakary Soumano, chef des griots du Mali de 1994 à sa mort en 2003, a œuvré pour réhabiliter la fonction de griot. L’actuel Chef des griots est Bourama Soumano.
Oumou SISSOKO