Interview de René Naba au journal Le relais du Bougouni, partenaire au Mali du site https://www.madaniya.info à l’occasion du premier anniversaire de la guerre d’Ukraine.
« L’Afrique ne s’éveillera à son destin que lorsqu’elle aura cessé d’être le jardin zoologique du monde. » (Romain Gary, « Les racines du ciel » – Prix Goncourt 1956)
« L’Afrique n’existe plus, elle a été dépossédée de son espace. » (Cheikh Hamidou Kane, « L’aventure ambiguë »)
La mémoire est l’ADN de l’Afrique, son tremplin vers son affirmation sur la scène internationale.
La Syrie et le Mali, dans la décennie 2010, auront eu un effet délétère sur les relations entre la France et le Tiers monde comparable à Dien Bien Phu et l’expédition de Suez, dans la décennie 1950.
Afrique : une générosité occidentale tardive à l’égard d’un continent en phase de bouleversement psychologique majeur
En 60 ans d’indépendance, l’Afrique présente un bilan affligeant : 79 coups d’État, soit un coup d’état en moyenne par an, et 40 interventions militaires françaises sous couvert d’ingérence humanitaire.
50% des francophones vivent en Afrique, avec une projection de 85 pour cent en 2060. De quoi tenir la dragée haute à leur ancienne puissance coloniale ainsi qu’à ses alliés occidentaux.
Question Le Relais du Bougouni : Focalisons nous sur l’Afrique. Quelles sont les conséquences pour le continent des bouleversements géostratégiques évoqués dans le premier volet de cette interview ?
Réponse RN. L’Afrique dispose de nombreux atouts que bon nombre d’Africains ne soupçonnent même pas parfois. Il importe qu’ils en prennent conscience.
Primo : L’Afrique représente 23% de la superficie des terres émergées de la planète, avec d’immenses ressources dans ses sous-sols qui génèrent depuis longtemps bien des appétits prédateurs. Longtemps peu peuplée, l’Afrique affiche aujourd’hui 1,17 milliard d’habitants, soit déjà 16% de la population mondiale. Ce continent présente l’indicateur de fécondité le plus élevé du monde : 4,7 enfants par femme, avec de fortes disparités selon les pays. Résultat, d’ici 2050, la population africaine pourrait dépasser 2 milliards d’habitants.
Deuxio : Le continent africain abrite 54% des réserves mondiales de platine, 78% de diamants, 40% de chrome et 28% de manganèse, selon la commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA). Dix-neuf des 46 pays de l’Afrique subsaharienne possèdent d’importantes réserves d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz, de charbon ou de minéraux et 13 pays explorent actuellement de nouvelles réserves, relève le PNUD.
Tertio : Continent homogène d’une superficie de 30 millions de km2, l’Afrique est riche de sa diversité. Représentant un marché de près d’un milliard d’habitants, l’Afrique est le premier exportateur mondial d’or, de platine, de diamant, de bauxite, de manganèse. Le second pour le cuivre et le pétrole brut. Elle est, en outre, premier producteur mondial de cacao, de thé, de tabac, le second pour le sisal et le coton.
Mais, paradoxalement, l’Afrique profite peu de ses richesses minières. À tel point que les pays richement dotés en ressources minérales se retrouvent souvent en bas de l’échelle du développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD). La course pour la maîtrise des sources d’énergie a redoublé d’acuité depuis la percée chinoise en Afrique et la flambée des prix des matières premières. L’Afrique possède en outre des réserves de premier ordre en bauxite ou en coltan – un minerai qui entre notamment dans la composition des carte à puce.
Quarto : L’Afrique produit 3 pour cent de la pollution mondiale, mais pâtit grandement de la pollution mondiale.
Cinquo : circonstance aggravante : il existe une corrélation entre le terrorisme islamique et le déploiement atlantiste. En douze ans, soit depuis le déclenchement du soulèvement arabe en 2011, le nombre de groupements terroristes islamiques a quintuplé en Afrique, passant de cinq à cinquante ans, parallèlement à l’accroissement de la présence militaire atlantiste.
Ce développement est intervenu à l’arrière plan d’un pillage systématique du continent africain, d’une kleptocratie systémique, opérée avec l’aval des Occidentaux. Le Clan Kabila, en République démocratique du Congo, auparavant Joseph Désiré Mobutu, Omar Bongo (Gabon), Hissène Habre (Tchad), Sani Abacha (Nigeria) ou encore Theodore Obiang (Guinée équatoriale), figurent parmi les grands kleptocrates d’Afrique, ponctionnant ses richesses contribuant à l’appauvrissement du continent et à son asservissement.
Objet de la plus formidable dépossession de l’Histoire au même titre que l’Amérique amérindienne, l’Afrique est le continent qui a le plus tardivement accédé à l’indépendance, particulièrement la zone subsaharienne.
Contrairement à l’Afrique anglophone (Révolte des Mau Mau au Kenya, Lutte contre l’Apartheid en Afrique du sud), contrairement à l’Afrique lusophone dont les pays constitutifs ont conquis l’indépendance par les armes, (Angola, Mozambique, Guinée Portugaise), la décolonisation de l’Afrique noire francophone dans la décennie 1960, s’est opérée sans la moindre guerre de libération nationale. Les seules guerres de libération menées en Afrique francophone ont été les guerres de libération des places, les guerres d’accaparement des palaces et des limousines.
Soixante ans après, l’indépendance du continent, le bilan est affligeant. l’Afrique comptait 79 coups d’État, soit un en moyenne par an, et 40 interventions militaires françaises sous couvert d’ingérence humanitaire, en superposition au bradage des terres, et le pacte de corruption des élites à l’échelle continentale connu sous la « Françafrique », qui a souvent résonné comme « France à Fric ».
L’Afrique vit un bouleversement psychologique majeur
Fait sans pareil depuis six siècles, les nouvelles générations africaines, particulièrement les générations de la décennie 2010 et au delà, ont vu le jour dans des pays africains indépendants d’un continent indépendant, nullement conditionnées par les rapports séculiers de servitude coloniale de leurs aînés, et, pour ce qui concerne l’Afrique francophone, du corset de la Françafrique et du nazisme monétaire du Franc CFA, pleinement engagées dans la revendication contestataire.
L’Occident, particulièrement l’Europe, a trop tardé à modifier son logiciel dans son approche d’un continent dont le président français Nicolas Sarkozy affirmait, péremptoire, encore il y a moins d’une décennie, qu’il n’était pas encore entré dans l’Histoire. 50% des francophones vivent en Afrique, avec une projection de 85% en 2060.
De quoi tenir la dragée haute à leur ancienne puissance coloniale ainsi qu’à ses alliés occidentaux.
La langue française est en régression dans le Monde. Avec 321 millions de locuteurs, le français est la cinquième langue la plus parlée dans le monde. Mais, encore souvent associée à la colonisation au Maghreb ou en Afrique subsaharienne, elle décline régulièrement. Emmanuel Macron l’a reconnu en ouverture du sommet de la Francophonie de Djerba, le 19 novembre 2022, regrettant cette perte d’influence : « Il faut être lucide. Dans les pays du Maghreb, on parle moins français qu’il y a vingt ou trente ans. C’est une réalité. La francophonie a un peu reculé. »
Pour aller plus loin sur ce thème, cf ce lien : Le Franc CFA, une imposture financière.
Question Le Relais du Bougouni : Comment voyez vous dans ce contexte l’avenir des relations entre l’Afrique et l’Occident, particulièrement avec la France ?
Réponse RN : La Syrie et le Mali, dans la décennie 2010, auront eu un effet délétère sur les relations entre la France et le Tiers monde comparable à Dien Bien Phu (1954) et l’expédition de Suez contre l’Égypte (1956), dans la décennie 1950.
Foin d’angélisme : La flambée de violence anti française au Burkina Faso, le 2 octobre 2022, de même que l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali, la manifestation anti française dans le pré-carré français en Afrique occidentale tant au Mali qu’au Sénégal, en superposition à la contre-performance française au Sahel, particulièrement le retrait sans gloire de la France du Mali, corrélativement à la percée russe, ont retenti comme autant de camouflets à la stratégie occidentale.
Ce rejet quasi-total de l’orientation françafricaine par les populations concernées fait le plus mal aujourd’hui au système néocolonial de la Françafrique. Au point que la France parait être devenue persona non grata dans l’Afrique francophone.
Dans ce contexte, l’arrestation de 49 militaires ivoiriens débarqués à l’improviste à l’aéroport de Bamako, le 13 juillet 2022, parait répondre à la volonté de la junte malienne de dissuader toute ingérence occidentale sous couvert de la légalité internationale, comme en témoigne l’expulsion du Mali, une semaine plus tard du porte parole de la Mission de l’ONU au Mali (Minusma), lui reprochant des « informations inacceptables » sur cette affaire. Cette démonstration de force de la junte témoigne de manière sous-jacente de la défiance voire même de la suspicion du Mali et de bon nombre d’autres pays africains à l’égard des menées occidentales en Afrique.
Réédition du schéma de la phase de décolonisation, dans la décennie 1960, où le Mali de Modibo Keita appartenait au camp des révolutionnaires indépendantistes (Algérie, Ghana, Guinée, Mali) et la Cote d’Ivoire de Félix Houphouet Boigny au camp de la contre révolution (Maroc, Cote d’ivoire, Congo Kinshasa), la crise actuelle entre Bamako et Abidjan dépasse le cadre strictement régional ouest-africain. Il s’agit en effet et avant tout d’une confrontation entre deux visions diamétralement opposées de l’avenir de l’Afrique. L’une misant sur la souveraineté nationale et les valeurs panafricaines, l’autre restant dans une posture de sous-traitance en faveur du néocolonialisme occidental. Et le cadre à proprement dit « régional » prend de plus en plus une tournure continentale.
Bien mieux, en riposte à la tournée d’Emmanuel Macron au Cameroun, au Bénin et à la Guinée Bissau, en juillet 2022, et à celle d’Anthony Blinken, secrétaire d’état en Afrique du Sud et au Kenya, début Août 2022, la Russie, en embuscade, a fourni au Mali un nouveau lot d’hélicoptères flambant neufs et des radars de surveillance. Ce lot fait suite à la fourniture le 31 mars dernier, de deux hélicoptères de type MI-35P, des radars dernière génération capable de détecter en 3D des objets volant à une vitesse pouvant atteindre 8000 km/h, et du matériel roulant nécessaire dans la lutte contre le terrorisme. L’armée malienne est désormais équipée à 80 pour cent du matériel russe.
Après ses déboires au Mali et en Centrafrique, en superposition au sourd mécontentement anti français au Sénégal et au Burkina Faso, la France à jeté son dévolu sur le Niger, ou plutôt sur les gisements d’uranium que le sous sol de ce pays recèle.
Pompier pyromane au Mali du fait de sa déstabilisation via la Libye, lors du « printemps arabe » en tandem avec le Qatar, la France a en effet quitté le Mali sur la pointe des pieds, le 15 août 2022, sans tambours ni trompettes, mettant un terme d’une intervention calamiteuse. En neuf ans, 58 soldats français ont perdu la vie dans le cadre de l’opération Barkhane. 2500 militaires devraient être maintenus au Sahel.
Le Niger, nouvelle ligne de défense de l’Occident au Sahel en complément de la base américaine de drone d’Agadez (Niger).
Le Niger paraît devoir être la nouvelle ligne de défense de l’Occident au Sahel où le troupes françaises viennent en complément de la base aérienne américaine d’Agadez, d’un coût de 110 millions de dollars. Une base militaire à distance, édifiée pour mener des frappes par drone à travers une grande partie du Sahel, loin des yeux du public.
Dans sa nouvelle base de repli, Paris a donné des strictes consignes de discrétion. Le drapeau tricolore ne flottera pas sur la base militaire nigérienne de Ouallam, au nord de Niamey, d’où seront pilotées les opérations conjointes de quelque 300 soldats français et des forces armées nigériennes (FAN) à proximité de la frontière avec le Mali, face aux djihadistes liés à Al-Qaida ou au groupe État islamique.
Sous couvert de lutte contre le terrorisme, les États-Unis ont multiplié les opérations spéciales en Afrique. Leur présence sur le continent est discrète, mais tentaculaire.
L’Amérique a établi sa principale base permanente à Djibouti, « hub » de ses activités militaires dans la Corne de l’Afrique où sont stationnés environ 4000 soldats. C’est de là que décollent les drones qui visent Al-Qaïda dans la péninsule arabique au Yémen et contre les Shebab en Somalie.
Les États-Unis disposent en outre de 13 bases « secondaires », selon la dernière communication du Commandement américain pour l’Afrique (Africom) devant le Congrès américain, ainsi que d’une trentaine de bases plus modestes, et surtout plus discrètes, qui peuvent se matérialiser par un simple hangar.
Depuis le début des opérations du Commandement des États-Unis pour l’Afrique en 2008, le nombre de militaires américains sur le continent africain a fait un bond de 170%, passant de 2600 à 7000. Le nombre de missions a augmenté de 1900%, passant de 172 à 3500. Les frappes de drones ont explosé et le nombre de commandos déployés a augmenté de façon exponentielle, de même que la taille et la portée de la constellation des bases de l’Africom.
Au Sahel, la philosophie des interventions militaires françaises a évolué : plus question pour les soldats d’agir seuls, mais seulement en deuxième ligne, en appui des forces locales et en fonction de leurs demandes.
Cette discrétion inhabituelle relève-telle d’une modestie forcée ? Toute la question est de savoir combien de temps le coq gaulois pourra se retenir de se dresser sur ses ergots sur les sables nigériens et prévenir une nouvelle flambée de violence africaine anti française, préludant à une nouvelle culbute ?
ÀA titre d’exemple, à l’empire portuaire de Vincent Bolloté en Afrique s’est substitué des gestionnaires chinois et turcs notamment.
À la manière des sauts de cabri pratiqués par Paris au Moyen Orient depuis un quart de siècle, où après avoir perdu l’Irak de Saddam Hussein, puis le Liban de Rafic Hariri, le Qatar de Nicolas Sarkozy, – autant de béquilles financières arabes pour la France – la Syrie pour tropisme djihadiste du tandem socialiste François Hollande et Laurent Fabius, voilà que la France – sur fond de scandale du trafic des antiquités du Louvre d’Abou Dhabi -, se cale précisément sur Abou Dhabi, en partenaire du très controversé président de la Fédération du golfe, Mohamad Ben Zayed, un des deux chefs de file de la contre-révolution arabe. Un parcours en parfaite cohérence avec un pays qui se réclame des idéaux de la Révolution française.
En fait, la France pratique la « stratégie de la grenouille », la marque caractéristique des États atteints d’une « nostalgie de grandeur », conséquence de son effacement. À l’image de la grenouille assise dans une eau qui devient de plus en plus chaude, lentement, sans que le batracien ne se doute un seul instant qu’il est entrain de cuire doucement pour être consommé en cuisses de grenouille
Pour aller plus loin sur ce thème, cf ce lien.
Vers une « dé-dollarisation » de l’Afrique ?
À revers des Occidentaux, le développement des infrastructures en Afrique sous l’impulsion de la Russie et de la Chine doit être considéré comme faisant partie d’un projet plus vaste d’intégration afro-asiatique.
Un élément majeur de cette stratégie est la mise en œuvre réussie de l’accord de libre-échange African Continental Free Trade Area (AfCFTA), qui est entré en vigueur en janvier 2021, dont le terme ultime est la « dé-dollarisation » de l’Afrique.
Le chemin de fer transafricain constituera l’épine dorsale du réseau ferroviaire intégré à grande vitesse africain (African Integrated High Speed Railway Network (AIHSRN – RIFV), beaucoup plus vaste et décrit pour la première fois dans le programme de développement de l’Union Africaine pour 2063 (2014).
Dans le cadre de ce programme de connectivité continentale totale, neuf liaisons ferroviaires (certaines à grande vitesse et d’autres à écartement normal) uniront chaque nation dans un mode de transport cohérent et efficace, tout en stimulant la croissance de nouvelles industries, de fournisseurs de pièces, de secteurs manufacturiers et d’académies de formation. Des centaines de ponts, de tunnels, de ports et de nouvelles routes seraient également construits, notamment le système d routes transafricaines de 56 600 km, qui a déjà vu des dizaines de milliers de kilomètres de routes pavées et d’autoroutes là où il n’y avait que des chemins de terre ou des étendues sauvages il n’y a pas si longtemps.
La Chine a déjà signé un accord pour réhabiliter toutes les anciennes voies ferrées coloniales entre Dakar et Djibouti, dont la plupart sont tombées en ruine.
Pour aller plus loin sur ce thème, cf ce lien.
La France, seul grand pays européen à l’articulation majeure des deux grands fléaux de l’Occident de l’époque contemporaine, « les penchants criminels de l’Europe démocratique », la traite négrière et l’extermination des juifs.
Dans la mémoire des peuples martyrisés, le 6ème sommet Europe-Afrique, qui s’est tenu à Bruxelles, en Février 2022 à la veille de la guerre d’Ukraine, dans la capitale de l’horrible roi Léopold II de Belgique, a pu ainsi apparaître, dans l’ordre symbolique, comme la revanche du Congrès de Berlin de 1885, de sinistre mémoire. Dans cette perspective, la repentance du Roi Philippe de Belgique au Congo de même que la restitution à son pays d’origine de la dent de Patrice Lumumba, – unique relique du supplicié ayant vocation à servir de pierre angulaire à l’édifice dédié au chef charismatique de l’indépendance de l’ex Congo Belge –, ont constitué bien que tardives, non des remords mais des soubresauts de la conscience tourmentée d’un Occident longtemps prédateur de l’Afrique.
Signe des temps, même la France, habituellement psycho rigide sur la repentance, a consenti de rouvrir le dossier sur ses crimes coloniaux au Cameroun (Haut Sanaga).
Trève de complaisance : Plutôt que de baptiser la place centrale de Gorée, point de départ de la traité négrière, de « Place de l’Europe », du nom du continent colonisateur et esclavagiste par excellence, le président Macky Sall aurait dû – devrait- interpeller la France sur l’épouvantable crime de Thiaroye et rebaptiser la place centrale de Gorée de « Place de l’Afrique ».
Pour aller plus loin sur le massacre de Thiaroye, cf ce lien.
Gorée, point de départ de la traite négrière, est le symbole absolu de la dépersonnalisation de l’homme africain, et l’Europe, corrélativement, le symbole absolu de la traite négrière, de l’esclavage et du colonialisme. Il est dangereux de jouer avec les symboles, qui sont non négociables, même pour un 3ème mandat présidentiel. Un peuple qui nie son passé, oublie son présent et ignore son avenir. La mémoire est l’ADN de l’Afrique, son tremplin vers son affirmation sur la scène internaitonale.
Durant les deux guerres mondiales, la France a fait largement appel aux « tirailleurs sénégalais ». 25 000 des quelque 180 000 tirailleurs sénégalais ont péri en 1917. Lors de la seconde guerre mondiale, 64 000 « tirailleurs sénégalais » furent engagés dans les combats. Huit régiments sénégalais ont pris part à la campagne de France en 1940 opposant, dans les Ardennes (nord-est de la France), une résistance farouche aux Allemands. 16 000 tirailleurs sénégalais furent tués pendant la Seconde Guerre mondiale. Et la base navale de Toulon, la plus importante base navale française, dans le sud de la France, a été reconquise le 15 Août 1944 par le 6eme régiment des « Tirailleurs sénégalais », sous le commandement du colonel Raoul Salan, futur général putschiste de l’Algérie française.
N’en déplaise aux nombreux intellectuels de cour qui gravitent dans l’orbite présidentielle, les trois grandes figures tutélaires du XXe siècle pour leur contribution à la morale universelle auront été, faut-il le rappeler, trois personnalités du tiers monde colonisé, le Mahatma Gandhi (Inde), Nelson Mandela (Afrique du Sud), et, pour l’espace francophone, le Martiniquais Aimé Césaire, trois apôtres de la non-violence, une consécration qui retentit comme un camouflet pour les pays occidentaux avec leur cortège de nazisme, de fascisme, de totalitarisme et d’esclavagisme.
Et, pour douloureuse qu’elle puisse être pour notre amour propre national, force nous est de relever que la France, en contrechamps, aura été le seul grand pays européen à l’articulation majeure des deux grands fléaux de l’Occident de l’époque contemporaine, « les penchants criminels de l’Europe démocratique », la traite négrière et l’extermination des juifs, contrairement à la Grande Bretagne qui a pratiqué la traite négrière exclusivement, sans aucunement participé à l’extermination des juifs, contrairement même à l’Allemagne qui a conçu et réalisé, elle, la solution finale de la question juive, mais sans participation à la traité négrière.
L’Occident se doit de soutenir la candidature de l’Afrique à disposer de la qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, assortie d’un droit de veto, en guise de réparation à ses crimes passés. Qu’un continent qui a tant contribué à la prospérité de l’Occident soit exclu du circuit décisionnaire international constitue un scandale insupportable. Une insulte à la notion même de l’Humanité.
En guise d’épilogue à notre entretien, je souhaite soumettre à vos lecteurs les conclusions suivantes :
Le retrait américain d’Afghanistan a clôt une séquence calamiteuse de deux décennies pour les Occidentaux, éprouvante pour le budget américain; désastreuse pour le crédit moral des États Unis avec les pénitenciers de Guantánamo (Cuba) et les tortures d’Abou Ghraïb (Irak), la reddition, la sous-traitance de la torture à des pays tiers ;
Une séquence meurtrière par la flambée des attentats terroristes qui ont frappé bon nombre de métropoles occidentales ; Une séquence liberticide, enfin, avec la multiplication des lois sécuritaires, tel le Patriot Act aux États-Unis ou le plan Vigipirate, en France.
Calamiteuse pour les Occidentaux, mais prodigieuse pour la Chine qui a réussi le tour de force de supplanter le Royaume-Uni et la France dans leur ancienne chasse-gardée, l’Afrique, en moins d’une décennie, finançant son expansion économique sur le continent noir par les intérêts versés par le budget américain pour les bons de trésor détenus par la Chine.
Ce partenariat renouvelé devra répudier au préalable la mentalité colonialiste et son corollaire, le racisme, qui gangrènent le débat public en Occident depuis plus d’un demi siècle, alors que les déboires de l’Occident dans le tiers monde, particulièrement de la France en Afrique, apparaissent comme le début d’une longue facture que l’Afrique présente à l’Occident, pour le prix de six siècles de turpitudes coloniales, d’extermination, de déportation, de dépossession, de spoliation, d’esclavage, de viol et de violation, autant de méfaits qualifiés.
La guerre d’Ukraine, menée en Europe par des pays européens à la population d’origine caucasienne selon la terminologie américaine, va infliger de nouvelles pertes à cette catégorie humaine, la réduisant à sa portion congrue.
Le Monde des deux guerres mondiales (1914-1918) et 1939-1945) était en expansion, celui de la 3ème guerre Mondiale, en contraction. Entre 1850 et 1950, la population avait augmenté au Royaume-Uni de 110%, en Allemagne de 160%, en Russie de 166%, au Japon, de 162%, aux États-Unis de 525%. La France, leader en controle des naissances, n’avait gagné que 16%. Mais, comme ailleurs, l’industrie y progressait, et le pays était aussi leader dans l’automobile, l’aviation, le cinéma et le nucléaire.
Au début du XXe siècle, « l’Homme Blanc » représentait 28 pour cent de la population mondiale, mais contrôlait 80 pour cent du surface de la terre. Au XXIe siècle, l’équation s’est inversée : « l’Homme Blanc » ne représente plus que 18% de la population globale pour un contrôle de 30% de la superficie terrestre. Ces précisions ont été fournies par le politologue franco-libanais, Ghassane Salamé, dans un entretien au quotidien arabophone libanais Al Akhbar, le 1er septembre 2021.
Dans cette perspective, il est à craindre que « Le GRAND REMPLACEMENT », que les nostalgiques de l’Empire français et les suprémacistes américains brandissent régulièrement comme croquemitaine, ne débouche sur un « Grand Remplacement de l’Occident » dans la majeure partie du tiers monde, particulièrement de la France dans son ancien pré-carré de l’Afrique francophone. Il justifiera ainsi la prophétie de Romain Gary selon lequel « l’Afrique ne s’éveillera à son destin que lorsqu’elle aura cessé d’être le jardin zoologique du monde » (Romain Gary, « Les racines du ciel » – Prix Goncourt 1956)
« La vérité tragique est que si l’Occident n’avait pas cherché à étendre l’OTAN en Ukraine, il est peu probable qu’une guerre aurait fait rage en Ukraine aujourd’hui, et la Crimée ferait très probablement encore partie de l’Ukraine. En fait, Washington a joué un rôle central en conduisant l’Ukraine sur la voie de la destruction.
L’histoire condamnera sévèrement les États-Unis et leurs alliés pour leur politique étonnamment stupide envers l’Ukraine », soutiendra John Mearsheimer, professeur de Sciences Politiques à l’Université de Chicago, co-auteur par ailleurs du remarquable ouvrage « Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine ».
Cf ce lien pour la totalité du discours : L’Histoire jugera les États-Unis et leurs alliés par John J. Mearsheimer.
Le défi russe conclut trente ans de déclin américain, constate Emmanuel Todd. La prise américaine sur le monde est immatérielle. L’Amérique règne par le dollar et par son système financier, par l’Internet et par la langue anglaise. Par l’habitude aussi.
John Mearsheimer (né en 1947), géopoliticien américain de l’école réaliste (les États sont des monstres froids dans un monde de rapports de force), avait choqué l’Occident en jugeant dès février les États-Unis responsables de la guerre russo-ukrainienne. Selon lui, la prise en main de l’armée de Kiev par les militaires américains et britanniques avait fait de l’Ukraine un membre de facto de l’OTAN. L’invasion russe était défensive. Il ajoutait qu’une victoire de Moscou était certaine parce que l’Ukraine était pour la Russie « existentielle » et que toute difficulté l’amènerait à taper plus fort. Selon cette logique, l’Ukraine serait pour les États-Unis sacrifiable. Mais Mearsheimer ne voit pas que la guerre est existentielle pour les États-Unis aussi : si la Russie tient, leur système impérial s’effondre.