L’annonce officielle de la levée des sanctions de l’Uemoa contre le Mali, accueillie comme une bouffée d’oxygène par les populations et les entreprises du Mali et de certains pays de la sous-région, peine encore à être totalement effective. Pour quelles raisons ? Le juridique et la légalité ayant déjà donné de leur voix, le blocage et les réponses se trouvent ce jour dans les considérations politiques et politiciennes.
D’emblée, il est bon de rappeler que l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) constitue un bel exemple en matière d’intégration économique régionale. En effet, depuis sa création en 1994 à la suite de la dévaluation du franc CFA, l’Uemoa s’évertue, avec un certain succès, à se donner les moyens d’atteindre les objectifs qui lui ont été assignés par son Traité en son article 4 :
- a) renforcer la compétitivité des activités économiques et financières des Etats membres dans le cadre d’un marché ouvert et concurrentiel et d’un environnement juridique rationalisé et harmonisé ;
- b) assurer la convergence des performances et des politiques économiques des Etats membres par l’institution d’une procédure de surveillance multilatérale ;
- c) créer entre les Etats membres un marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et le droit d’établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée, ainsi que sur un tarif extérieur commun et une politique commerciale commune ;
- d) instituer une coordination des politiques sectorielles nationales, par la mise en œuvre d’actions communes et éventuellement de politiques communes notamment dans les domaines suivants : ressources humaines, aménagement du territoire, transports et télécommunications, environnement, agriculture, énergie, industrie et mines ;
- e) harmoniser, dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les législations des Etats membres et particulièrement le régime de la fiscalité.
L’Uemoa peut donc être considérée comme une organisation dont l’objectif est de favoriser le bien-être des populations à travers une intégration des économies et des peuples. Certains diront « l’Uemoa des peuples » car elle est censée rapprocher les populations de l’Union. Le succès de l’Uemoa est tout aussi lié aux engagements des pays, dont le Mali (l’un des meilleurs élèves sinon le meilleur), à transposer et à mettre en œuvre de manière quasi-systématique les nouvelles mesures et directives de l’Uemoa et à payer promptement leur contribution financière à travers le « prélèvement communautaire de solidarité » ou PCS au pot commun de l’institution. Cela a aidé l’Uemoa à asseoir une forte viabilité financière et institutionnelle, lui permettant de mettre en œuvre de nombreux programmes et projets de développement dans l’ensemble des pays membres de l’Union.
Malheureusement, cette organisation est sur le point de faillir à sa noble mission d’instrument d’intégration au profit des peuples depuis qu’elle s’est associée à la Cedeao pour prendre des sanctions qualifiées d’inédites, d’illégales et d’inhumaines contre le gouvernement malien. Il est en effet important de rappeler que ces sanctions ont été prises en totale illégalité et d’ailleurs malgré toutes les relances du gouvernement malien, il n’a jamais pu être notifié par les instances de l’Uemoa qui sont même allées jusqu’à refuser l’accès du siège de l’Uemoa au chargé d’affaires de l’ambassade du Mali au Burkina Faso.
En outre, par l’ordonnance n°06/2022/CJ du 24 mars 2022, la Cour de Justice de l’Uemoa a suspendu les sanctions prises deux mois plus tôt par la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernements de l’Uemoa. Cette décision de la justice communautaire n’a jamais été suivie d’effet, ce qui est assez curieux pour des chefs d’Etat qui veulent se faire passer pour des chantres de la démocratie et de la bonne gouvernance.
Les autorités de l’Uemoa ont manqué une bonne occasion de montrer leur bonne foi. Quand des donneurs de leçon foulent au pied les principes de base de la démocratie et de la bonne gouvernance ! La démocratie c’est aussi le respect des décisions de justice et celui de la séparation des pouvoirs !
Finalement, le Mali est resté sous embargo total jusqu’au 3 juillet 2022. Une situation totalement inédite dans la mesure où d’autres pays de la région, qui sont dans la même situation que le Mali, n’ont jamais été inquiétés. Allez-y savoir pourquoi !
Fondamentalement, cette situation résulte de la politisation outrancière de nos organisations africaines, encouragée par des puissances étrangères qui, pour rien au monde ne chercherait à asphyxier un des leurs.
La politisation de l’Uemoa pourrait la conduire à sa perte. L’Uemoa, jadis enviée pour sa réussite en matière d’intégration régionale apparaît aujourd’hui comme un grand corps malade du fait de sa manipulation à des fins politiques qui la dévient de ses missions. Elle n’a aujourd’hui pas de président de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, pas de juges à la Cour de Justice… Cette dernière est sanctionnée pour avoir dit le droit dans le dossier malien.
Le Mali continue à être injustement sanctionné malgré la levée des sanctions depuis le 3 juillet 2022. Le pays n’est plus associé aux activités de l’Uemoa. Pratiquement aucune mission de l’Uemoa n’y est menée. Les activités liées aux divers programmes et projets sont toujours arrêtées. De nouveaux chantiers s’ouvrent, des réformes se poursuivent sans le Mali. Pousse-t-on le Mali vers la sortie ? Qui a intérêt à isoler le Mali ? Après le Mali, à qui sera le tour ? D’autant plus qu’avec la poursuite de certaines mesures très contraignantes menées également par la Bceao, on peut sans risque émettre l’hypothèse que tout est fait pour faire échouer la transition en cours au Mali. Faudrait-il marcher sur d’autres cadavres et voir plus d’entreprises maliennes en faillite pour se rendre compte du caractère inhumain et illégitime de ces sanctions continues contre le Mali ? Comment se fait-il que la décision de lever les sanctions contre le Mali ait été prise “de manière souveraine” par la Conférence des Chefs d’État et que la Commission de l’Uemoa poursuive sa politique d’isolement du Mali ?
En tout état de cause, force est de constater que le Mali n’a toujours pas été rétabli dans ses droits par l’Uemoa. Ce qui est encore plus frappant et dramatique, malgré les deux coups d’Etat dans un autre Etat membre, comme au Mali, ce pays est invité à toutes les conférences des Chefs d’Etat et des réunions du Conseil des ministres de l’Union, et continue de participer à toutes les activités des experts et de bénéficier du financement de ses différents projets et programmes. Si l’institution et ses responsables n’ont rien contre le Mali, il est vraiment temps qu’elle fasse preuve de bon sens pour remettre le Mali dans tous ses droits, ni plus ni moins, et d’arrêter avec sa politique de deux poids deux mesures, notamment pour des mesures prises qui n’ont rien avoir avec ses textes légaux et pour des raisons inavouées.
A défaut, il appartiendra au Mali, en toute souveraineté, d’en tirer toutes les conséquences qui s’imposent face cette nouvelle donne inédite, illégale, injuste et humiliante pour le pays.
Amidou Théra
(Analyste politique indépendant)