La Transition doit-elle, au motif de lutter contre la corruption, sacrifier des cadres valeureux du pays, cités dans de présumés dossiers de délinquance financière ?
Le pouvoir de Transition n’a cessé de marteler qu’il va mener une lutte sans merci contre la corruption et la délinquance financière. Et cette lutte a été déclenchée, sans répit, mais il semble qu’elle est très loin d’atteindre ses objectifs. Surtout que certaines cibles de cette traque se trouvent être de hauts cadres du pays, qui étaient aux affaires il n’y a pas longtemps. Ce qui pose le débat sur l’opportunité de cette lutte contre l’impunité. Le concept de la « raison d’Etat » n’a-t-il pas fait libérer des criminels pour préserver des intérêts stratégiques du pays à un moment donné de son histoire ? Que vaut cette lutte contre la délinquance financière, quand des anciens ministres, dont l’Etat a besoin de l’expertise, sont dans son collimateur ? La Transition n’a-t-elle pas plus besoin de rassembler les fils du pays, pour l’aider à sortir du gouffre sociopolitique du moment ? Comment comprendre qu’un Etat aussi exsangue du fait des sanctions, se livre à pourchasser de hauts cadres pouvant agir en sa faveur ? Des personnalités ne sont-elles, depuis peu, dans le collimateur de la justice, pour des faits de gouvernance antérieure, alors qu’elles peuvent aider à débloquer des situations financières du pays au niveau des instances régionales ? Rien n’est moins sûr et c’est là tout le débat sur l’opportunité d’une lutte contre la délinquance financière dans un contexte de transition. Et cette préoccupation plombe les ardeurs des gouvernants du jour, qui ont des difficultés à engranger des succès par rapport à la traque de la mauvaise gouvernance.
Puisqu’à ce jour, à la question, posée aux structures spécialisées, de savoir si ce fléau baisse d’intensité au Mali, la réponse négative l’emporte.
Ainsi, malgré le travail redoutable qu’abat la machine judiciaire, passant par la Brigade du Pôle économique et financier chargée de la lutte contre la corruption, l’on a l’impression d’être dans un mythe de Sisyphe. Des mandats de dépôt sont décernés à la pelle contre des cadres présumés indélicats, mais, le phénomène continue de plus belle. C‘est au point que l’on se demande si la prison fait peur aux cadres de l’administration. « Pas du tout », assurent les uns et les autres. D’autres observateurs soulignent que « l’on ne peut pas servir l’Etat à un haut niveau et être blanc comme neige ». « Tout est une question de destin et de chance », confie un comptable public d’un service stratégique de l’Etat. Celui-ci assure que parmi les cadres placés sous mandat de dépôt, la majorité d’entre eux finiront par être libérés… Comme pour dire que la plupart des dossiers de corruption présumée sont vides, mais ils servent à convaincre le peuple sur la volonté du pouvoir de mettre fin à l’impunité. Sinon, comment expliquer que malgré la politique de répression contre les infractions économiques et financières, les cas de malversations continuent de défrayer toujours la chronique. Comment peut-on lutter efficacement contre le phénomène de la corruption sans un réel changement de mentalité ? Comment freiner l’enrichissement illicite dans un pays où l’Etat est toujours considéré comme une vache laitière à traire, dans la mesure du possible ? Comment avoir une gestion saine des deniers publics quand des fonctionnaires voient leurs fonctions comme opportunités pour satisfaire leurs boulimies et caprices gloutonnes ? Peut-on freiner drastiquement la corruption avec des agents publics poussés à s’accaparer des ressources publiques pour diverses pesanteurs sociales ? L’on peut en douter. Tout semble indiquer que c’est le credo de la gouvernance vertueuse qui pousse à intensifier la lutte contre la corruption, malgré son inefficacité. Ne faut-il pas alors rectifier le tir en revisitant la stratégie et les mécanismes de traque, au risque de jeter les meilleurs cadres du pays en prison, sans grand résultat ? Quelle est, d’ailleurs, la part de remboursement des fonds incriminés comme objet de ces magouilles ou malversations ? Silence et boule de gomme !
Par ailleurs, comment le fléau de la corruption peut-il être dompté, lorsque les décideurs, eux-mêmes, ne semblent pas être des modèles. Mais, pour le moment, les cas d’irrégularités financières se multiplient dans la gestion de plusieurs services publics. Il est donc temps de repenser notre stratégie pour mieux préserver les ressources publiques et assurer un minimum de bonne gouvernance, dans la conduite des affaires de l’Etat.
Boubou SIDIBE/maliweb.net