Les combats redoublent d’intensité au Soudan, notamment dans la capitale, Khartoum, où les forces paramilitaires du général Hemetti ont attaqué dimanche le quartier général de l’armée régulière. Le conflit, qui entre dans son sixième mois, a fait des milliers de morts civils et déplacé plus de 5 millions de personnes. Au Darfour, les violences sont quotidiennes. Plus de 420 000 personnes ont déjà trouvé refuge au Tchad voisin et des centaines continuent d’arriver chaque jour.
À 5 kilomètres à peine de la frontière, de nouveaux réfugiés tendent des tissus sur des bouts de bois pour s’offrir un peu d’ombre. Samia Ismael s’est enfuie vendredi dans la nuit. Elle vient de Murnei, une localité du Darfour occidental sous le contrôle des Forces de soutien rapide et des milices arabes qui leur sont affilées. « Notre quotidien, c’étaient les tirs, les incendies, le viol et la mort, raconte-t-elle. Nous n’avions rien à manger. Les miliciens font paître leur bétail sur nos fermes. Chaque vendredi, ils nous font payer une taxe en échange d’une soi-disant « protection ». Régulièrement, ils enlèvent nos filles et les embarquent avec eux. Il y a quelques jours, les Forces de soutien rapide et les milices nous ont attaqués. Ils ont tué les hommes et les garçons. Mon mari est mort, sa sœur aussi, je dois désormais m’occuper de sa fille orpheline. »
« Nous sommes pris entre deux feux »
Les réfugiés viennent de plus en plus loin. Mukhtar Zakaria a fui la ville de Nyala, chef-lieu du Darfour-Sud où des dizaines de civils ont été tués la semaine dernière suite aux raids aériens de l’armée régulière. « Les paramilitaires s’infiltrent dans les quartiers résidentiels. Ensuite, les forces gouvernementales les attaquent depuis leurs bases ou par les airs, explique-t-il. Les bombardements tuent des innocents. Cette guerre prend une tournure inquiétante. C’est de pire en pire. Et au final, ce sont nous les pauvres citoyens qui en payons le prix. Nous sommes pris entre deux feux, encerclés. »
Pour parcourir les 400 kilomètres qui le séparait du Tchad, Mukhtar a dû dépenser plusieurs milliers d’euros. Le prix à payer pour mettre son père handicapé en lieu sûr. La plupart des habitants du Darfour, eux, restent pris au piège alors que les routes sont dangereuses et jonchée de check-points.
« J’ai fui la guerre dans mon pays et j’ai trouvé la guerre au Soudan »
Si la plupart de ces réfugiés sont issus du Darfour, certains viennent de plus loin. Comme Tedros Tseguai, un Éthiopien qui a fui en 2020 la guerre dans cette province du nord de l’Éthiopie. Réfugié au Soudan en 2020, il a fini par trouver du travail dans la ville d’El Fasher au nord du Darfour, jusqu’à ce que la guerre croise à nouveau sa route.
Adossé au mur de l’hôpital d’Adré, Tedros relève ses manches. Sur les avant-bras et sur les jambes, de grosses balafres causées par les éclats d’obus. Il a subi quatre opérations chirurgicales. À El Fasher, la guerre a commencé pendant le mois du ramadan. « On était confinés à la maison avec ma femme et mes deux enfants lorsqu’une roquette s’est abattue à l’intérieur. L’obus est tombé sur nos têtes, se souvient-il. Ma femme et un de mes enfants sont morts sur le coup. J’ai été transféré à l’hôpital avec le petit dernier qui s’est vidé de son sang et est mort à son tour. »
En sortant de l’hôpital, pour seule échappatoire, il a pris la route du Tchad. « Le Tigré est si loin, je ne peux pas y retourner. C’est à plus de 2 500 kilomètres. J’ai contacté l’ambassade d’Éthiopie à Ndjamena, ils m’ont dit : tu es Tigréen, on ne peut pas te renvoyer là-bas, rapporte-t-il. Je dois rester ici comme réfugié. J’ai fui la guerre dans mon pays et j’ai trouvé la guerre au Soudan. Je suis assailli par les pensées. Mon père est mort en Éthiopie suite à un bombardement. Je n’ai plus d’enfants ni de femme. Je n’arrive plus à trouver le sommeil. »
Le Soudan a longtemps été une terre d’accueil pour les réfugiés des conflits de la région. À Khartoum et dans les grandes villes, de nombreux Éthiopiens, Syriens, Yéménites, Érythréens, Sud-Soudanais ou Centrafricains avaient reconstruit leur vie. Désormais, ils reprennent le chemin de l’exil, fuyant une guerre qui n’est pas la leur.