Ses proches l’assuraient, Emmanuel Macron s’était assagi : fini les petites phrases qui ont parasité ses débuts. Mais des mots controversés lancés à Mayotte, qui coïncident avec une enquête du Monde, relancent l’idée d’un président français qui veut «dominer» ses interlocuteurs au risque d’«abîmer» son image.
En déplacement dans l’archipel français de l’océan Indien dévasté par le cyclone Chido, le chef de l’État s’est emporté jeudi soir au milieu d’une foule qui le prenait à partie.
«Vous êtes contents d’être en France. Parce que si ce n’était pas la France vous seriez 10 000 fois plus dans la merde!», s’est-il époumoné pour se faire entendre face aux cris «Macron démission».
«Un président ne peut pas dire ça. Dans quel autre territoire français, le président sermonnerait nos concitoyens en leur demandant de bien vouloir arrêter de se plaindre de leur tragédie puisqu’ils ont déjà la chance d’être Français», a réagi sur le réseau social X, le patron des socialistes Olivier Faure.
Emmanuel Macron a lui expliqué vendredi que la foule hostile était notamment composée de «militants politiques de la RN», le parti d’extrême droite de Marine Le Pen, comme pour expliquer la vigueur de l’échange. Sur place, il a défendu un autre trait de sa personnalité, celui d’«aller au contact» de compatriotes en colère, sans se «planquer».
Pour Philippe Moreau Chevrolet, professeur en communication à Sciences Po Paris, le chef de l’État aime ainsi aller «dans le rapport de force» avec «la petite phrase pour dominer l’échange quitte à abîmer encore davantage son image déjà autoritaire».
Mea culpa
S’agissant de Mayotte, «c’est désastreux», car «ça brouille le message d’empathie et de reconstruction» distillé pendant le reste de sa visite, dit l’expert à l’AFP.
Pendant son premier quinquennat, Emmanuel Macron, qui revendique volontiers d’être «cash», a ainsi alimenté à coups de petites phrases un procès en arrogance et mépris de classe.
À un jeune homme qui explique ne pas trouver d’emploi, il balance : «je traverse la rue, je vous en trouve!».
À un autre moment, il décrit les gares comme des lieux «où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien». Et dans une vidéo postée par son entourage sur les réseaux sociaux, il déplore l’absence d’effet du «pognon de dingue» que l’État met «dans les minima sociaux».
Mais depuis sa réélection en 2022, Emmanuel Macron faisait plus attention. Il a esquissé quelques mea culpa.
«Il y a un paquet de gens qui pensent que je suis hautain», admettait-il en juin.
Avant lui, son prédécesseur Nicolas Sarkozy avait donné le ton. «Le style Macron, c’est le style Sarko», résume d’ailleurs Philippe Moreau Chevrolet.
Franck Louvrier, justement, était le conseiller en communication de l’ex-président de droite. Pour lui, Emmanuel Macron «veut montrer qu’il est au contact de la population», mais ça implique de «se mettre en danger».
Ces déclarations sans filtre, «ça parle à une partie de la France», ajoute-t-il, «mais il ne peut pas trop en abuser».
La particularité d’Emmanuel Macron, c’est qu’il alterne ce langage avec un français plus châtié, souvent un peu «techno», ponctué d’expressions désuètes ou de locutions latines.
«Il est totalement plastique et s’adapte à son interlocuteur», constate Philippe Moreau Chevrolet. «On ne sait pas qui il est», estime-t-il.
Les propos à Mayotte coïncident d’ailleurs avec la publication d’une longue enquête du Monde sur ce double visage présidentiel.
«Mamadou»
Les journalistes y rapportent plusieurs formules qui ont suscité une nouvelle vague d’accusations de «racisme» ou d’«homophobie». L’Élysée a «démenti fermement ces propos rapportés», que Le Monde «maintient».
«Le problème des urgences dans ce pays, c’est que c’est rempli de Mamadou», aurait dit, selon le quotidien, le président en 2023 devant son ministre de la Santé d’alors, Aurélien Rousseau, passé depuis dans l’opposition.
Le journal assure aussi que l’Élysée avait baptisé Matignon, qui accueille le Premir ministre et ses équipes, «La cage aux folles» lorsque le locataire était Gabriel Attal, premier chef du gouvernement français ouvertement homosexuel.
À Bruxelles en octobre, le président s’était énervé en conférence de presse contre les propos rapportés qui lui sont attribués. «Si ce n’est pas dans le communiqué» ou un «compte-rendu» officiel, «ça n’existe pas», avait-il tancé les journalistes.
Le problème, c’est que «la frontière entre parole publique et parole privée n’existe plus», tout ce qui est dit «est quasiment en direct sur les chaînes infos», explique Franck Louvrier, prédisant que les responsables politiques vont de plus en plus raréfier leur parole.