L’histoire aurait-il bégayé au Mali, et au-delà en Afrique subsaharienne ? Positionnée en état de grâce absolue en début de l’année 2013 à la faveur de l’opération Serval, la France est peu à peu tombée en disgrâce et fut « chassée » par une masse populaire clairement hostile à sa présence. Un épisode qui n’est pas sans rappeler un autre, celui des toutes premières heures de l’émancipation du Soudan français qui demanda par le biais de ses représentants politiques d’alors, l’indépendance et le départ rapide et effectif de tout militaire français sur son sol. Aujourd’hui encore, sur fond de lutte contre le terrorisme mais aussi d’instabilité politico-institutionnelle, l’ex puissance colonisatrice est indésirable. Toutefois, entre un besoin réel de se retrouver sur le plan identitaire et culturel, et aussi, des velléités d’instrumentalisation à des fins politiques, faire la distinction n’est pas chose aisée.
Le pays des hommes intègres aura donc emboité le pas à son voisin le Mali en demandant clairement le départ du contingent français déployé sur son sol. Les quelques 400 militaires de l’opération Sabre, forces spéciales, seront redéployés au Niger. Malgré le grand désamour porté à son égard, il semblerait que la France ne veuille pas totalement quitter le Sahel, zone hautement stratégique sur plusieurs plans. Le Niger y constitue désormais le seul véritable allié fiable de la France avec le Tchad. Elle ne voudrait pas lâcher plus de terrain à la Russie, mais aussi à d’autres alliés occidentaux. Rappelons que l’Allemagne, malgré moult remous, est toujours présente au Mali, et que les États-Unis, bien qu’ayant pris des mesures drastiques contre le pays après le putsch, ne sont pas totalement absents non plus.
Une chose est sûre néanmoins, les Maliens veulent se retrouver. Être eux-mêmes sur le plan identitaire et culturel, tout en se tournant vers l’extérieur. Il s’agit là d’une question sociale qui trouve ses ramifications au plus haut sommet institutionnel. Des sujets surgissent, tel que la conception malienne de la laïcité, la nécessité de réformer l’attelage politique, l’impératif de revenir à des fondamentaux identitaires comme le port du coton made in Mali, la promotion des langues nationales, ou encore le fort besoin de moraliser une société qui aura perdu nombres de ses repères. Mais dans ce flot de bonnes volontés, difficile de ne pas voir des soupçons d’instrumentalisation politique. Certains déplorent jusqu’à l’heure le fait que la Transition ne se serait pas dotée d’un habillage civil tout en maintenant les impératifs de refondation de l’appareil institutionnel et politique. Le danger serait de maintenir une situation de gouvernance contrenature, puisque gérée par des militaires, et que la Transition s’enlise car s’étant doté d’un chronogramme irréaliste.
Toutefois, la disgrâce dont souffre la France au Mali et au Sahel, est grandement compréhensible. Elle n’aura pas su comprendre la complexité de la situation, se serait trop cru en terrain conquis, faisant montre assez souvent d’arrogance, et surtout, n’aura pas respecté le choix de la majorité. En un seul point, après avoir atteint un pic de popularité en début d’année 2013, elle aura peu à peu dégringolé jusqu’à atteindre le stade d’« ennemi ». Du refus de la rentrée des FAMa à Kidal a succédé la remise sur scelle des rebelles qui auront pactisé avec les hordes de l’extrémisme violent d’Aqmi et d’autres groupuscules. Tout le nord était comme pris en otage par une minorité de quelques milliers de rebelles à qui la France aura donné une sorte de légitimité.
Tolérer la présence même d’entités armées autres que l’armée régalienne malienne fut un non-sens stratégique et politique. Et ce, dans un Sahel en proie à tant de défis comme la sécheresse, la conjoncture économique, trafic en tout genre, faible peuplement sans oublier évidemment l’extrémisme violent armé. La France aura également jugé bon de pactiser avec les « ex rebelles » pour des raisons semble-t-il de fluidité militaire dans leur combat contre le terrorisme car ses derniers auraient une bonne maitrise du terrain. En échange, la France s’assurait que les FAMa ne foulent le sol de Kidal, la cité interdite, mais aussi d’autres localités de l’extrême nord du Mali que les rebelles pensent les appartenir.
Résultat, l’ex puissance colonisatrice se voit embourbé dans un piège qu’elle aura elle-même creusé au fil des ans. Il s’agit là d’un énorme non-sens. Comment la France, grand pays dans le concert des Nations, dotée de ressources humaines de qualité sur le plan diplomatique et géopolitique, a pu autant se fourvoyer dans le dossier malien en particulier, et sahélien, en général ? Était-ce par suffisance ou par velléité hégémonique ?
Ahmed M. Thiam