CRISE. Le parquet de Dakar a une nouvelle fois rejeté la demande de libération provisoire de Pape Alé Niang. Ses proches alertent sur la dégradation de son état de santé.
La mobilisation ne faiblit pas au Sénégal pour réclamer d’urgence la libération « immédiate et sans condition » du journaliste d’investigation et directeur du site d’information privé Dakar Matin, Pape Alé Niang renvoyé en prison depuis deux semaines pour des « informations de nature à nuire à la défense nationale » et depuis lors en grève de la faim. En effet, malgré la dégradation de son état de santé, le procureur a rejeté, mardi 3 janvier, sa demande de mise en liberté provisoire.
Poil à gratter du pouvoir
Pape Alé Niang, connu pour ses critiques envers le pouvoiir, avait été renvoyé en prison le 20 décembre après avoir été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire le 14 décembre. Celui-ci était intervenu après plus d’un mois de détention près de Dakar pour « divulgation d’informations de nature à nuire à la défense nationale », « recel de documents administratifs et militaires » et « diffusion de fausses nouvelles ».
Par la suite, le parquet de Dakar avait annoncé le 20 décembre avoir « révoqué » ce contrôle judiciaire, le justifiant par les « sorties médiatiques » du journaliste, qui sont une violation des obligations » qui lui défendaient « de communiquer sous aucune forme sur les faits objets de poursuite ». Selon les syndicats de la presse, les autorités reprochent à Pape Alé Niang d’avoir diffusé des messages confidentiels sur le dispositif sécuritaire autour de l’interrogatoire du principal opposant politique, Ousmane Sonko, le 3 novembre dans une affaire de viols présumés, et d’avoir appelé à descendre dans la rue.
Le journaliste observe une nouvelle grève de la faim depuis son renvoi en prison, d’où il a été transféré pour un hôpital à Dakar le 25 décembre. En toile de fond, selon les analystes, l’échéance de l’élection présidentielle de février 2024, qui fait monter la tension dans le pays alors que l’actuel président, Macky Sall, n’a pas clairement dit s’il briguerait ou pas un troisième mandat.
La liberté de la presse en jeu
La détention du journaliste a, dans tous les cas, suscité une vague de critiques de la presse et de la société civile à l’égard des autorités. Le Sénégal est volontiers loué par ses partenaires pour ses pratiques démocratiques, mais les défenseurs des droits humains nuancent cette appréciation. Le Sénégal est 73e sur 180 au dernier classement sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. Le pays a perdu 24 places par rapport à 2021. Mais surtout, soulignent les organisations, le délit de presse est toujours en vigueur malgré les engagements internationaux du Sénégal. Le ministre de la Communication assurait pourtant en novembre dernier que « la liberté de la presse est garantie au Sénégal », soulignant qu’« il ne faut pas confondre liberté de la presse et anarchie ».
Des propos qui n’ont pas rassuré : presque trois mois plus tard, la mobilisation reste forte. « Libérez Pape Alé (Niang) », ont scandé lors d’un nouveau rassemblement mercredi une centaine de manifestants au siège de la Maison de la presse à l’initiative de la Coordination des associations de presse (CAP), une confédération syndicale. « Nous réclamons la libération immédiate de Pape Alé Niang, maintenu en détention au péril de sa vie », a déclaré Momar Diongue, un des intervenants, en présence d’hommes de médias, de responsables de la société civile et de l’opposition.
Pape Alé Niang est « extrêmement éprouvé » par sa grève de la faim. « Je prie pour que l’irréparable ne se produise pas », a affirmé lundi à l’AFP un de ses avocats, Moussa Sarr. Le député d’opposition et activiste Guy Marius Sagna a affirmé que « le combat » pour la libération du journaliste est celui de « tous les citoyens sénégalais », parce que « c’est la liberté qui est en danger au Sénégal ». Ousmane Sonko a écrit sur Twitter : « Nous suivons de très très près la situation du journaliste Pape Alé Niang par les sources autorisées. Sa santé se dégrade de jour en jour, et ce, de manière accélérée. Il nous est revenu qu’il refuse désormais de se faire perfuser et a décidé de poursuivre sa grève de la faim. » Pape Alé Niang « ne doit pas être la cible d’une stratégie visant à étouffer la liberté de la presse au Sénégal », a déclaré à l’AFP Sadibou Marong, responsable de Reporters sans frontières (RSF) en Afrique de l’Ouest, présent à la manifestation.
Dans un message publié mardi, le journaliste a déclaré vivre « de manière stoïque l’abominable épreuve qu’on [lui] inflige pour un dessein non encore avoué ». Pape Alé Niang encourt une peine de cinq ans de prison.