Au prix d’un passage en force apparent, les autorités de la Transition affichent une grande détermination à honorer leurs engagements vis-à-vis des instances communautaires ouest-africaines ainsi que de la communauté internationale. Derrière cette posture pourrait toutefois se cacher une instrumentalisation des obstacles à des desseins politiques plus subtiles que sublimes – mais la manœuvre ne pourra prospérer qu’en franchissant tout un mur d’hostilités dressé sur leur passage, par-delà la gageure organisationnelle qu’on feint d’ignorer.
Comme annoncé lors de la première dérogation au chronogramme initial, le gouvernement honore partiellement ses promesses de demeurer dans le calendrier initial en convoquant le collège électoral. Rendez-vous est pris, en effet, pour le 18 juin prochain, une date conforme aux dispositions de la nouvelle loi électorale en vertu de laquelle ledit collège est convoqué au moins un (1) mois avant le jour du scrutin. Le décret pris pour ce faire détermine par ailleurs les échéances de la campagne référendaire ainsi que du vote par anticipation des militaires.
D’autant qu’elle se présente comme un tournant manifeste dans la dynamique de retour à l’ordre constitutionnel auquel elles ont souscrit, la démarche des autorités de transition a pu inspirer aux instances ouest-africaines une réaction positive, exprimée notamment dans un communiqué de la Commission de la CEDEAO consécutive à la convocation du collège électoral. Une «décision qui marque une étape importante dans la mise en œuvre du chronogramme de la transition en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel», relève-t-on dans ledit communiqué où les autorités communautaires d’Abuja ne retiennent visiblement que l’intention des autorités de Bamako. Quant à la faisabilité de leur décision, elle est tributaire de facteurs qui inspirent beaucoup moins de certitude et d’optimisme avec tant d’écueils à surmonter et de défis à affronter. Ils ont pour nom, avant tout, une préparation matérielle et administrative très peu rassurante, à en juger par un rythme d’implantation de l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections mesurable à une densité administrative plus nominative qu’effective par endroit. En effet, en dépit de la nomination massive de préfets et sous-préfets dans les proportions du nouveau découpage administratif, leur efficience demeure assujettie à la stabilité sécuritaire ainsi qu’à l’intransigeance velléitaire des principaux protagonistes de l’APR (Accord pour la paix et la réconciliation) au risque de consacrer la division du pays par l’exclusion de pans entiers du territoire de la couverture référendaire.
Quoi qu’il en soit, le déficit de couverture administrative préfigure logiquement une mobilité tout aussi déficitaire de l’électorat ainsi que du matériel électoral exposé au même péril sécuritaire s’il existe encore. Tandis qu’aucune information ne filtre pour l’heure sur la confection de bulletins de vote et leur nature, ni sur la commande d’urnes et d’isoloirs, la disponibilité des cartes d’électeur retenues dans la loi électorale est sujette à caution de même que la fiabilité du fichier électoral. Et pour cause : la révision périodique des listes électorales sombre manifestement dans une irrégularité criante que corrobore le phénomène des populations chassées par l’insécurité, tandis qu’à un mois de l’échéance retenue les cartes d’identité biométriques n’ont été confectionnées que pour 1,5 millions de citoyens pour un collège électoral de 8 millions environ. Selon toute évidence, somme toute, l’organisation matérielle n’a guère substantiellement avancé depuis que les mêmes autorités ont consenti un empiétement sur le calendrier. Il en résulte une anarchie inédite qui hante le rendez-vous du 18 juin prochain et la réunion de tous les ingrédients d’une perversion de la Refondation ayant sous-tendu l’aventure référendaire, avec en sus des approximations organisationnelles susceptibles de faire jurisprudence pour les consultations suivantes : la présidentielles, les parlementaires, etc.
Les enjeux sont tels, en définitive, que les frondes anti-référendaires s’organisent plus pour faire échec à la tenue du scrutin que pour tenter de faire plier au moyen de suffrages défavorables une compétition référendaire que beaucoup estiment jouée d’avance, pour des normes de crédibilité aussi minimalistes. Ainsi, par la voix de son coordinateur général, le magistrat Cheick Cherif Koné, la plate-forme «Appel du 20 février pour sauver le Mali», congénitalement opposée au principe de changement constitutionnel, compte s’y prendre avec un bras de fer judiciaire et ne désespère pas d’obtenir l’annulation du décret de convocation du collège électoral par la Cour suprême pour les failles juridiques criantes qu’il comporte. Cette menace le dispute à l’irrésistible vague d’oppositions à la laïcité déclenchée par une vingtaine d’associations religieuses qui cheminent aux côtés de la LIMAMA et dont l’hostilité s’est aussitôt ravivée depuis la convocation du collège électorale. Lors de leur apparition publique devant les médias, samedi au CICB, plusieurs leaders d’associations Islamiques se sont succédé pour marteler leur opposition à la laïcité en jurant de faire obstacle à tout processus constitutionnel qui la consacre. Un autre obstacle et non des moindres s’annonce du côté des mouvements armés d’obédience autonomiste qui ne finissent pas d’en découdre avec les autorités de la Transition tant sur le contenu de la nouvelle constitution que sur les modalités du déploiement effectif de l’administration ainsi que des forces armées sur la partie du territoire sous leur contrôle.
Le rendez-vous référendaire du 18 juin prochain s’annonce manifestement avec plus d’incertitudes et de questionnements que de réponses aux équations qu’il est censé résoudre en tant que première expérimentation de la Refondation et des promesses de changement miroitées par le Mali Koura.