La principale faîtière des musulmans du Mali, le Haut conseil islamique, face à la presse le jeudi 9 février 2023, rejette-t-il en bloc l’idée de toute nouvelle Constitution, à l’instar de la CMAS de l’Imam Mohamoud Dicko qui, dans une déclaration en date du 9 janvier 2023, avait estimé que «les causes et la source de la pérennisation des mauvaises élections, de la mauvaise gouvernance, de l’impunité, du népotisme, de l’insécurité et du délitement de l’État se trouvent ailleurs que dans la Constitution du 25 février 1992» ?
Pour beaucoup de Maliens qui ont suivi à distance cette sortie médiatique, le Haut conseil islamique s’oppose et rejette la laïcité républicaine héritée de la colonisation constitutionnelle et prône un État islamique. Pour certains dont la Plateforme Badenya ni Faso Makaran, «le choix d’une religion d’État provoquera l’existence de deux catégories de citoyens : ceux dont la religion et celle adoptée par l’Etat et les autres ! (…) Le HCIM affirme que l’Etat a une religion, alors que l’Etat est une personne morale (qui ne peut donc avoir subjectivement la foi), et reconnaît, dans le même temps, que certains citoyens de cet Etat peuvent ne pas avoir cette conviction religieuse doivent intégrer une bonne fois pour toute que l’Etat est le garant de la liberté de religion et non de la religion afin de ne pas être le principal acteur de l’embrasement de ce que toutes les confessions religieuses ont en commun : la patrie. Le peuple malien est un peuple libre, décidé à le demeurer… ». La plateforme a-t-elle eu tort de charger ceux qui sont à la manette ?
La question de la laïcité n’est pas sans intérêt pour les Maliens depuis que l’élaboration d’une nouvelle Constitution est devenue incontournable. Avant Badenya ni Faso Makaran, le Collectif des associations musulmanes du Mali piloté par Cheick Mohamed Kimbiri faisait une sortie le 7 janvier dernier pour dénoncer une laïcité « négative, sectaire, agressive et intolérante », qui, selon lui, marginalise et exclut délibérément la communauté musulmane de presque toutes les instances de décision du pays. Avant Kimbiri, depuis novembre dernier, l’Imam Mohamed Mahi Ouattara s’est signalé par ses prêches au vitriol contre « une laïcité qui constitue une entrave pour la religion musulmane » et « au nom de laquelle on se permet de tout faire dans le pays ».
L’opinion du haut conseil islamique du Mali en tant creuset de toutes les associations et obéissances islamiques est-elle la synthèse de toutes ces dénonciations ? Pour donner sa position sur la question, le Haut conseil islamique a convié les hommes de médias à son siège le jeudi dernier. Ses propositions « d’amendements… en vue de la prise en compte conforme à ses préoccupations dans la rédaction du projet de la nouvelle constitution » sont sans équivoques.
Sur la laïcité (article 32), le Haut conseil islamique dit avoir constaté « la non suppression de « laïcité-» dans l’avant-projet. A défaut de cette suppression, le Haut Conseil islamique du Mali insiste qu’il soit absolument indiqué que :
– la laïcité n’est pas irréligieuse et autorise tout citoyen, à titre personnel, de se référer à sa religion dans son comportement et ses propos, d’en arborer les signes, dans la sphère publique et privée ;
– qu’elle tient l’Etat à équidistance des religions et des croyances.
A cette fin, l’article 32 de l’avant-projet doit être reformulé comme suit :
Article 32La laïcité a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble dans la société, fondée sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle.
En application de ce principe, la laïcité n’est pas athée ou irréligieuse et l’État, en équité et en équidistance des religions et des croyances, garantit le respect des croyances ainsi que la liberté de conscience, de religion et de libre exercice des cultes.
Tout citoyen peut, à titre personnel, dans les conditions déterminées par la loi, se référer à sa religion dans son comportement et ses propos, d’en arborer les signes, dans la sphère publique et privée;
Toujours dans le cadre de la laïcité:
Il est dit dans l’article 11 de l’avant-projet que « l’enseignement public est laïc ». Ce caractère laïc de l’enseignement public s’oppose au fait que les enfants puissent bénéficier de l’enseignement religieux à l’école publique. C’est pourquoi, le Haut Conseil Islamique estime pertinemment que le mot laïc soit retiré des qualificatifs de l’enseignement public comme l’ont fait beaucoup d’autres pays.
La formulation de l’article 11 de l’avant-projet doit être comme suit :
L’enseignement public est gratuit et obligatoire. »
Comme on le voit contrairement à ce qu’on lui prête, le Haut Conseil islamique du Mali ne s’est jamais opposé à la «laïcité» pour prêcher un État islamique. Au contrairement il va de l’incompréhension de celle-ci pour proposer une approche plus pédagogique fondée sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle, plus pragmatique pour promouvoir et conforter le vivre-ensemble dans la société. Estimant que la laïcité n’est pas athéisme (Kafriya), le haut conseil islamique estime que l’école publique ne saurait avoir pour vocation de produire des citoyens irréligieux, dépourvus de foi, et livrés à toutes sortes de vices comme l’homosexualité.
La Haut conseil islamique du Mali qui prêche le dialogue entre les religions, n’a jamais opté pour un État islamique au Mali. Au contraire, il a toujours prôné l’équité et l’équidistance de l’État entre les religions et les croyances, toutes choses qui garantissent le respect des croyances ainsi que la liberté de conscience, de religion et de libre exercice des cultes.
PAR SIKOU BAH