La première session plénière du Consortium pour la Recherche Économique Appliquée (African Economic Research Consortium) de l’année 2024 s’est tenue le 2 juin 2024 à Nairobi, au Kenya.
Le thème central de cette session était : « Jeunesse, Dividende démographique, Migration et Opportunités économiques en Afrique ».
Trois intervenants ont couvert ce sujet : le Recteur de l’UCAD, Pr Ahmadou Aly Mbaye, qui a fait une présentation sur la promotion de la productivité du secteur informel comme stratégie pour capter le dividende démographique (Promotion of Productivity in the Informal Sector as part of the Strategy to Capture the Demographic Dividend). Il a été suivi par le Professeur d’Economie Imran RASUL de l’University College de Londres, qui a parlé de la prise en charge du chômage des jeunes en Afrique (Tackling YouthUnemployment in Africa), et par le Professeur LantPRITCHETT (Université d’Oxford), qui a discuté de l’investissement en capital humain pour le dividende démographique (Investing in Human/Education Capital for a Demographic Dividend).
Pr Mbaye a commencé son intervention en soulignant l’importance des trois concepts (productivité, dividende démographique et secteur informel) dans l’agenda politique actuel des pays africains. Il a insisté sur un paradoxe de taille : bien que l’Afrique soit en train de devenir le réservoir de main-d’œuvre du monde, cette main-d’œuvre reste plus chère en raison de la faible productivité et d’autres facteurs institutionnels. Cela limite les possibilités des entreprises privées d’offrir des emplois de qualité, face à un nombre croissant de demandeurs d’emploi. En conséquence, une très faible proportion des demandeurs d’emploi obtient un emploi décent (moins de 10% de l’emploi total), tandis que le reste rejoint le secteur informel.
Alors que la moitié des Africains a moins de 18 ans, l’âge médian mondial est de 28 ans, et dans les pays développés, il est de 40 ans. À l’horizon 2050, alors que toutes les autres régions du monde connaîtront une croissance négative de leur force de travail, celle de l’Afrique croîtra à un taux supérieur à 12%, faisant du continent la principale source de main-d’œuvre du monde.
Par contre, du côté des entreprises, il y a de faibles capacités à offrir des emplois décents à une main-d’œuvre largement sous-utilisée et en constante progression. Il en résulte une prolifération des emplois informels et précaires. Le drame de l’Afrique c’est que les secteurs d’activité capables de générer des emplois décents et de masse, sont ceux qui connaissent le plus de défis. Ces secteurs qui sont dits intensifs en main-d’œuvre, comme la confection, les cuirs et peaux, l’industrie légère, en général, sont tous en difficultés, s’ils n’ont pas carrément disparu du paysage entrepreneurial africain. A la place, les secteurs d’activité intensifs en capital, comme l’industrie chimique, les cimenteries, les mines, constituent les principaux piliers de l’activité manufacturière, avec une capacité très limitée de création d’emplois décents en grande quantité. En face de ces deux secteurs (formels), nous notons une prolifération d’activités informelles, avec une plus grande capacité de création d’emplois, sauf qu’il s’agit d’emplois, pour la plupart, précaires. Prenant l’exemple du Sénégal, il a montré que la population en âge de travailler est passée de 5.567.662 en 2001 à 8.752.688 en 2017. Pendant ce temps, les emplois totaux générés par l’économie sont passés de 3.351.679 à 5.443.900, laissant seulement une proportion de 7.8% de la population au chômage au sens officiel du terme. Dans ce total, seuls 435.000 emplois pouvaient être considérés comme des emplois décents (avec au moins un plan de retraite). Pourtant, avec un taux de croissance du PIB tournant autour de 5% pour la plupart de la décennie 2001-2019, les pays africains auraient pu avoir de meilleures performances en termes de création d’emplois si la croissance n’avait pas été portée par des secteurs capitalistiques connus pour leur faible capacité à créer des emplois. Par exemple, le secteur minier du Sénégal, qui a vu sa part dans le PIB passer de presque 0 en 2001 à 3% en 2017, n’a jamais pu augmenter sa part dans l’emploi total de plus de 1%. En revanche, le secteur manufacturier, en particulier l’industrie légère, connu pour être un réservoir de main-d’œuvre a vu sa part dans le PIB baisser de 23% en 2001 à 17% en 2017 ; et sa part dans l’emploi total, culminer à environ 324.000 (soit seulement environ 3% de la population en âge de travailler). L’agriculture qui est un vivier de création d’emplois est malheureusement réputée pour la faible qualité de ses emplois qui ne retiennent plus grand-monde. La part de l’agriculture traditionnelle dans l’emploi total passe ainsi de 50% en 2001 à moins de 40% en 2017. Dans le même temps, l’agro-business qui compte plus d’emplois de qualité ne représente que 6 % de l’emploi total.
Les coûts des facteurs non-échangeables, comme les services d’infrastructure et la main-d’œuvre, sont élevés. Par exemple, le coût du KWH d’électricité représente jusqu’à 15% du PIB par tête dans de nombreux pays africains, contre moins de 1% dans la plupart des pays émergents. Le salaire horaire dans le secteur manufacturier formel peut représenter jusqu’à 15 fois le PIB par tête, alors qu’il lui est inférieur dans de nombreux pays émergents. Les régulations du marché du travail sont également plus onéreuses en Afrique.
En se basant sur une étude menée sur une dizaine de pays africains sur plus de quinze ans, Pr Mbaye a montré que la productivité des entreprises informelles est relativement faible comparée à celle des entreprises formelles, ce qui a des conséquences négatives sur l’économie, notamment en réduisant le potentiel de croissance et les possibilités de trouver des revenus décents.
Pr Ahmadou Aly Mbaye a terminé sa présentation par des recommandations politiques pour réduire la part de l’informel dans l’emploi total et générer des emplois de qualité en Afrique. Il a souligné l’importance d’une approche ciblée des politiques de régulation selon les niveaux d’informalité et a suggéré un accompagnement pour les petites entreprises, qui représentent la majorité des entreprises privées en Afrique. Les entreprises de plus grande taille nécessitent une intervention plus autoritaire de l’État pour les formaliser. Il a également insisté sur la nécessité de maîtriser les coûts liés au développement des affaires à travers des investissements adéquats et des réformes des politiques publiques.