Attendu avec beaucoup d’intérêt pas les acteurs et observateurs du processus référendaire, le tout premier verdict de la Cour constitutionnelle sur les recours anti-référendum étonne autant par sa teneur qu’elle inquiète par son raisonnement tiré par les cheveux.
Le délibéré est tombé, hier après-midi, tel un couperet sur la tête de requérants que rien ne rassure désormais sur les futures étapes du retour à l’ordre constitutionnel. La salve de plaintes soumises à l’arbitrage de l’institution en charge des processus électoraux et référendaires étaient pourtant portées par de grands experts du droit ou des mécanismes constitutionnels parmi lesquels un habitué en la matière comme Daba Diawara ou encore les magistrats Cheick Cherif Koné et Dramane Diarra, entre autres. Leurs recours respectifs reposent sur des griefs quasi identiques dans leurs tendances ainsi que par leurs plaidoyers en faveur d’une annulation des opérations référendaires avec des arguments essentiellement tirés des irrégularités du décret de convocation du collège électoral et des mesures s’y rattachant, du manque de qualité de son auteur, etc. Au sein du même courant anti-référendum, on dénombre des composantes pour qui les modalités d’une consultation référendaire se distinguent d’un scrutin électoral ordinaire et ne devrait faire l’objet d’une campagne électorale, puis d’autres qui contestent au chef de l’Etat toute compétence pour en porter l’initiative. Leurs recours sont par ailleurs étayés par plusieurs dispositions de la Constitution en violation desquelles, soutiennent-ils, le projet constitutionnel est initié dans un contexte d’atteinte à l’intégrité territoriale. Il lui est en outre reproché aux hautes autorités de reposer la convocation du collège électoral sur des normes inexistantes et de s’y prendre par excès de pouvoir.
Face aux moyens évoqués par les plaignants, somme toute, le contentieux de l’Etat n’est pas le seul à apporter la contradiction. Les arguments du courant anti-référendum ont été en outre battus en brèche par les juges constitutionnels, y compris par des raisonnements extra-juridiques selon lesquels la contestation de l’initiative référendaire au président de la Transition ne résiste pas à une certaine doctrine en vertu de laquelle un changement de constitution repose sur «un pouvoir constituant» et se distingue d’une modification constitutionnelle certes prévue dans la loi fondamentale en vigueur mais dont l’initiative découle d’un «pouvoir constitué». Or il s’agit d’une démarche d’adoption «d’un projet de constitution qui ne requiert pas l’application des dispositions des articles 41 et 118 de la Constitution susvisé», tranche la Cour constitutionnelle en martelant au passage que ni la Constitution, ni la Charte de la Transition ne font «obstacle à l’élaboration d’un projet de Constitution dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations des Assises Nationales de la Refondation». Il va sans dire que le raisonnement vaut également pour les moyens des requérants tirés de l’atteinte à l’intégrité territoire, quoique la question paraisse manifestement éludée et noyée dans les sous-entendus de l’argumentaire.
Qu’à cela ne tienne, avec une tendance évidente à s’arrimer aux arguments publiquement défendus par les pouvoirs sur le sujet, ce baptême du feu électoral de l’actuelle Cour constitutionnelle, en plus de présager d’un arbitrage moins rassurant pour les consultations à venir, est une brèche grandement ouverte à toutes les manipulations constitutionnelles au Mali. Et pour cause : l’arrêt 2023-05-CC du 14 juin 2023 vient de faire dangereusement jurisprudence en permettant désormais à tout souverain installé dans les fonctions présidentielles de se prévaloir d’un «pouvoir de constituant» pour s’autoriser une déviance vis-à-vis des normes applicables au changement des règles du jeu constitutionnelles. Au demeurant, aucune disposition de la nouvelle constitution n’est prévue dans la nouvelle corriger pour combler la brèche ayant servi à contourner la loi fondamentale pour les besoins du projet référendaire.
Ça n’est pas la seule boite de Pandore imputable à la même la Cour constitutionnelle. Elle s’illustre également par une démystification inédite des renversements de régimes pourtant assimilés à un crime imprescriptible même dans le projet constitutionnel et que l’arrêt banalise en ces termes : «…l’histoire des sociétés se construit à travers divers évènements dont les émeutes, les rebellions, les révolutions, les coups d’Etat peuvent faire partie. Chaque peuple fait sa révolution à un moment donné, de façon plus ou moins brutale, parce que cela correspond à une volonté de rupture…, lorsqu’une nouvelle ère s’ouvre justement pour les peuples, le premier acte politique fort dans l’Etat moderne est de se doter d’une Constitution qui va structurer et configurer le régime politique et social du pays conformément à leurs revendications et à leurs aspirations ». Et d’en déduire que «… le changement est réalisé en dehors des conditions prévues par la Constitution en vigueur». C’est l’argumentaire développé pour justifier des compétences législatives du président de la Transition mais qui amène à s’interroger désormais sur l’utilité d’une criminalisation un acte que même les juges constitutionnels dédramatisent.
A KEÏTA