Même les plus sceptiques ont fini par l’admettre. Kidal, la ville-forteresse des Touaregs, est tombée, brisant le mythe d’invincibilité qui l’entourait. Après 11 ans d’absence, l’armée malienne a pris finalement position dans la ville de Kidal, le 14 novembre 2023.
Nous l’avions écrit, cette ville-symbole entre les mains des rebelles et des groupes terroristes, allait tomber. Il restait seulement à connaître le jour et l’heure ! Et cela, au regard de la détermination, des moyens humains et logistiques impressionnants, mobilisés par les Forces armées maliennes (FAMa). Kidal tombée, alea jacta est, diront les Latins. Pour autant, les FAMa doivent-elles crier victoire ? Car, le tout n’est pas de prendre Kidal. Quelle sera la suite des évènements ?
Il ne s’agit pas seulement, pour les forces républicaines maliennes, de mettre le grappin sur le bastion des rebelles. En effet, il est illusoire de penser que ceux qui régnaient en maîtres dans la ville, vont aussi facilement capituler. Il faut s’attendre, dans les jours à venir, à une infernale guérilla urbaine. Assiéger par des drones, avions de combats et autres tanks, une ville, reste certainement plus facile que de la contrôler et de l’administrer, surtout quand on n’a pas la certitude du soutien de la population qui y réside.
Ayant affaire à des populations dont la culture de la guerre reste prégnante depuis des dizaines d’années et dont l’esprit de vengeance est une valeur partagée, il faut s’attendre à ce que les groupes armées indépendantistes de Kidal, poursuivent la lutte sous d’autres formes. Il faut craindre également qu’ils ne se rallient aux groupes armés terroristes au nom d’une alliance de circonstance.
Il paraît aussi important de définir une stratégie qui puisse permettre aux FAMa de rester à Kidal
Une chose est de prendre la ville, une autre est de s’y maintenir. Pour l’instant, il faut attendre les jours prochains pour mieux apprécier. Il y a bien des craintes que, chassés de leur base, les rebelles pactisent avec les groupes armés terroristes pour combattre leur ennemi commun. Nombre d’incertitudes demeurent, donc et il faut seulement espérer que les autorités maliennes sauront tenir tête, pour de bon, aux rebelles en restaurant définitivement l’intégrité territoriale et en éradiquant les groupes terroristes dans la région de Kidal.
En effet, ce n’est un secret pour personne. Il règne à la tête du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), un certain Iyad Ag Ghali, un ex-leader rebelle touareg devenu la figure de proue d’Al-Qaïda dans la région. Il a toujours maintenu des liens avec les responsables du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), qui réunit la majeure partie des groupes armés majoritairement touaregs. Et quand on ajoute à cela, le fait que les rebelles ont l’avantage de la maîtrise de leur fief, l’on se rend à l’évidence que la guerre de Kidal n’est pas terminée. C’est dire si les défis restent immenses. Parmi eux, figure en bonne place, la conquête des cœurs des populations touarègues qui sont, jusqu’à preuve du contraire, acquises à la cause des rebelles.
Vouloir s’imposer à la population par la force, apparaît comme un combat contre des moulins à vent. Cela dit, Kidal à présent tombée, il faut penser déjà à des solutions à la fois économique, sociale, culturelle et politique à cette crise. Mais avant, il parait important de définir une stratégie qui puisse permettre à l’armée de rester à Kidal.
Pour le reste, il faudra à l’Administration centrale, de faire son retour et aux populations de Kidal de voir en les FAMa, non pas des ennemis. Pour ainsi dire, Bamako devra remporter la bataille de l’apaisement des cœurs. C’est en cela qu’on pourra parler de victoire sur toute la ligne dans l’espoir d’un Mali uni et réconcilié.
En attendant de voir la suite des évènements, Bamako doit une fois fière chandelle aux FAMa qui ont réussi à entrer dans cette ville du septentrion malien. Car, elle représentait, à elle seule, un goulot d’étranglement pour les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 2012, et un boulet au pied du Maliba.
La montée de la ferveur patriotique consécutive à la prise de Kidal
Quelles sont les retombées politiques de cette victoire sur Kidal pour le régime militaire de Bamako ? Telle est la question que l’on peut aujourd’hui se poser ?
Le premier dividende politique pour Assimi Goïta, est sans nul doute le regain de ferveur patriotique que le régime a toujours exploité pour se donner de la légitimité. C’est beaucoup d’eau que cette victoire militaire vient apporter au moulin du colonel qui n’hésitera pas à exploiter la situation pour renforcer sa stature de héros vivant de la Nation, au risque même de basculer dans le culte de la personnalité. En tout cas, pour le moins, il faut s’attendre, à ce que les djeli (les griots), comme ils l’ont toujours su bien faire à travers les âges, composent en son honneur, des hymnes, comme ce fut autrefois avec son ancêtre Soundiata Keita.
La montée de la ferveur patriotique consécutive à la prise de Kidal, va s’accompagner inévitablement aussi du redoublement du sentiment anti-français à Bamako. L’agencement des évènements laisse, en effet, croire que c’est la présence des troupes françaises qui empêchait l’armée malienne de prendre Kidal. Moins d’une année après, en effet, la fin de l’opération Barkhane et moins d’un mois après le départ des Casques bleus, du bastion des rebelles, les Maliens ont réalisé leur ambition de ramener Kidal dans le giron de la République. Et à vrai dire, de l’huile sur le feu du sentiment anti-français, on peut oser le dire, serait bien fait pour la «gueule» de cette France qui s’est évertuée à trouver une différence là où, visiblement, il n’y en avait pas. C’est en triant dans les groupes armés du Nord pour trouver des mouvements fréquentables avec lesquels des discussions politiques sont possibles, que la chienlit s’est installée. Et elle a embarqué toute la communauté internationale dans cette erreur d’appréciation qui a valu des mois d’occupation du Mali, par des troupes étrangères qui ont fini par quitter précipitamment le pays sur un constat d’échec.
Le second dividende politique de la prise de Kidal pour le régime de Bamako, pourrait être son exploitation pour modifier le calendrier électoral avec lequel les autorités de la Transition avaient beaucoup du mal à s’accommoder. Elles n’ont jamais d’ailleurs fait mystère de leur intention de ne pas respecter ce calendrier. Cela dit, il faut craindre que surfant sur le sentiment de popularité liée à la victoire sur Kidal, les scrutins qui sont censés mettre fin à la Transition ne soient repoussés aux calendes grecques, surtout que l’on peut toujours avancer l’argument selon lequel les conditions sécuritaires ne sont pas propices à l’organisation d’élections libres et transparentes.
L’Afrique doit tirer leçon de l’accélération de l’histoire à Kidal
Le régime de Bamako ne sera pas le seul à bénéficier des retombées politiques de la chute de Kidal. Sans nul doute, son allié politique qu’est la Russie de Vladimir Poutine dont l’apport a été déterminant du point de vue de la logistique matérielle et humaine, s’en tirera avec de nombreux avantages. En plus de voir l’influence russe grandir dans le pays et dans toute la sous-région où le sentiment pro-russe ne cesse de se propager, l’on peut s’attendre à ce que, comme un butin de guerre, la Russie ait aussi sa part. Et ce sera certainement en termes de contrats pour les entreprises russes qui, comme on le sait, sont friandes de matières premières, notamment aurifères. Et ce sera de bonne guerre.
Mais la question qui reste est la suivante : quel sera le prix à payer pour satisfaire l’ogre russe qui souffre des sanctions économiques du monde occidental en raison de la guerre d’invasion qu’elle mène chez le voisin ukrainien ? Mais en attendant de bénéficier de toutes ces retombées de la victoire, Bamako doit pouvoir maintenir à terre la bête qu’elle a terrassée. Celle-ci est, en effet, encore capable de ruades meurtrières à partir du moment où les groupes armés du Nord n’ont pas déposé les armes et vont certainement, à partir du massif montagneux de l’Adrar des Iforas où ils se sont réfugiés, continuer d’harceler les FAMa. Et c’est précisément en raison de cela qu’il faut vite penser à accompagner la victoire militaire, d’une solution politique qui permettra aux autorités maliennes actuelles d’entrer dans le cœur des Kidalois et de toute la 8ème région du Mali. Il faut donc proposer aux Touaregs modérés et à tous ceux qui souhaitent déposer les armes, des alternatives politiques pour rejoindre les conforts de la République.
En attendant de voir comment demain sera fait pour Kidal, l’Afrique tout entière doit tirer leçon de l’accélération de l’histoire à Kidal. La principale de ces leçons est que l’Afrique peut trouver à l’interne les solutions à ses problèmes et que la communauté internationale qu’elle sollicite si souvent, a parfois tort et est très souvent inefficace comme elle vient d’en faire tout l’étalage après près d’une décennie de présence infructueuse dans le septentrion malien.
Jean Pierre James