[Portrait] Paul Kagame, l’homme qui a façonné le Rwanda d’une main de fer

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Héros visionnaire ayant mis fin au génocide des Tutsi et modernisé le pays pour ses partisans, despote muselant toute opposition pour ses détracteurs: depuis trois décennies, Paul Kagame a façonné le Rwanda dans un règne sans partage.
 
Le président de 66 ans, qui a voté lundi pour la présidentielle, brigue un quatrième mandat, qui lui est promis. Aux précédentes élections de 2003, 2010 et 2017, il n’a jamais obtenu moins de 93% des suffrages.
 
Il y a 30 ans, le 4 juillet 1994, cet homme longiligne aux lunettes rondes entrait dans Kigali à la tête de la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), renversant le régime extrémiste hutu instigateur du génocide de plus de 800.000 personnes parmi la minorité Tutsi. Les génocidaires ont également assassiné des hutus modérés.
 
Troquant son treillis-béret pour les costumes-cravates, il devient un influent vice-président et ministre de la Défense. Dirigeant de facto du pays, il est élu président en avril 2000 par le Parlement, après la démission de Pasteur Bizimungu.
 
Ses trois décennies au pouvoir ont fait de Paul Kagame un des dirigeants les plus clivants du continent.
 
Il a été le maître d’oeuvre du spectaculaire redressement économique du pays, exsangue après le génocide et aujourd’hui érigé en modèle, attirant des multinationales comme Volkswagen, DP World ou BioNtech.
 
Fin stratège, il est le commandant en chef d’une armée accusée de déstabilisation en combattant aux côtés de la rébellion du M23 dans l’Est de la République démocratique du Congo, mais qui joue un rôle sécuritaire crucial ailleurs sur le continent (Centrafrique, Mozambique…).
 
« PK » est aussi le VRP d’une destination écotouristique de luxe qui s’affiche sur les maillots des équipes de football d’Arsenal, du PSG et du Bayern Munich. Une image glamour qui masque un régime répressif, dénoncent des ONG de défense des droits humains.
 
Guérilla
 
Dans tous ces aspects, sa mainmise et celle du FPR est totale.
 
« Paul Kagame a façonné le Rwanda, mais il est aussi le produit du Rwanda », estime le directeur pour l’Afrique de l’Est de l’Institut des études de sécurité (ISS) Paul-Simon Handy, soulignant la tradition rwandaise d’un Etat fort – qui a notamment permis les massacres à grande échelle du génocide.
 
Au début des années 1960, sa famille a fui les attaques contre la minorité tutsi pour se réfugier en Ouganda.
 
Jeune homme, Paul Kagame y rejoint la rébellion de la NRA (Armée nationale de résistance) de Yoweri Museveni, qui prendra le pouvoir en 1986.
 
Il fonde avec d’autres exilés tutsi le FPR, qui pénétrera en 1990 au Rwanda pour renverser le régime de Juvénal Habyarimana, dominé par les Hutu, ouvrant une guerre civile.
 
Quand l’avion d’Habyarimana est abattu le 6 avril 1994, les extrémistes hutu lancent une campagne de massacres, qui prendront fin en juillet 1994 avec la prise de Kigali par le FPR.
 
Le FPR, à la poursuite des auteurs du génocide, a été accusé par l’ONU d’avoir tué, avec ses alliés congolais, plusieurs dizaines de milliers de Hutu en République démocratique du Congo voisine en 1996-1997. Ce sujet reste très sensible: Kigali considère l’évocation de ces massacres comme relevant du négationnisme. Les responsables de ces crimes de masse n’ont pas été inquiétés.
 
Rongée par la culpabilité de son inaction durant le génocide, la communauté internationale restera silencieuse, préférant soutenir le renouveau du pays (7,2% de croissance moyenne entre 2012 et 2022) et ses remarquables progrès en matière d’infrastructures, de santé et d’éducation.
Ce n’est qu’en 2012, après les premières accusations de soutien au M23, que ses alliés occidentaux durciront le ton et réduiront leurs aides.
 
« Mensonges »
 
Les critiques se sont depuis multipliées contre un régime où les voix dissidentes sont étouffées ou contraintes à l’exil.
 
Un des cas les plus retentissants est celui de Paul Rusesabagina, patron hutu de l’hôtel Mille Collines durant le génocide qui sauvera un millier de Tutsi — épisode qui a inspiré le film « Hôtel Rwanda ».
 
Cet opposant en exil a été arrêté en 2020 à Kigali, à la descente d’un avion qu’il pensait à destination du Burundi. Le gouvernement rwandais a reconnu avoir financé l’opération.
 
Condamné à 25 ans de prison pour « terrorisme », il a bénéficié d’une grâce présidentielle.
 
« Le principal point noir de (la présidence) Kagame est l’incapacité à améliorer le paysage démocratique », estime Louis Gitinywa, avocat constitutionnaliste et analyste politique rwandais: « Il n’y a qu’une seule voix au Rwanda et personne ne la conteste. Ce n’est pas bon pour un pays qui se développe. »
Seul un des onze partis d’opposition officiellement enregistrés ne soutient pas Paul Kagame.
 
Le dirigeant, lui, balaie les accusations d’autoritarisme. « Des mensonges » venus d’Occident, fustigeait-il dans un entretien à l’AFP en 2021.
 
Quand son parti l’a plébiscité pour briguer un quatrième mandat, ce père de quatre enfants et grand-père de deux petits-enfants a accepté « ce fardeau de responsabilité », mais appelé ses partisans à lui trouver un successeur.
 
Si tel n’est pas le cas, des amendements constitutionnels adoptés en 2015 lui permettent de se représenter en 2029.
 

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