Aujourd’hui, cette coutume noble est dévoyée par des pratiques mercantiles. Le choix du parrain ou de la marraine se fait de plus en plus en fonction de la capacité de la personne à assumer certaines charges liées au mariage
Dans notre société, le parrainage (denfa ya ou denba ya) du mariage fait partie de nos plus grandes valeurs sociétales. En effet, il repose sur une base purement sociale. Il se fait souvent par affinité ou par reconnaissance. Aussi, il était attribué par mérite dans le seul but de souder les membres d’une même famille. En même temps, il donne l’opportunité aux enfants d’avoir des parents adoptifs. En plus, ces parents adoptifs seront des soutiens pour les enfants parrainés jusqu’à la fin de leur vie.
Aujourd’hui, cette mentalité a changé au profit des intérêts pécuniaires. Conclusion : on assiste de plus en plus au parrainage sélectif. Les parents voient plus le profit qu’ils peuvent tirer d’un parrain (denfa) ou d’une marraine (denba) que le côté social.
Pour mieux comprendre le parrainage, disons que : quand la fille ou le garçon a un prétendant, c’est au papa biologique de lui trouver un parrain. Le choix de la marraine est généralement laissé à la mère. Le prétendant, qui souhaite épouser, informe son père qui, à son tour, informe le parrain qui enverra son griot avec les 10 premières colas pour demander la main de la fille. Cet acte permet d’avoir l’accord de la femme. Ensuite, le griot se rend chez le parrain de la fille pour les autres démarches.
En général, la marraine du mari n’a pas grand-chose à faire contrairement à celle de la femme. De commun accord, une visite sera effectuée le jour du mariage au domicile du parrain de la fille. Le soir du mariage, c’est la marraine, la sœur (balimamoussou kountigui) et d’autres membres de la famille du mari qui viennent chercher la mariée chez elle pour la chambre nuptiale. Parmi ces personnes, figure aussi la marraine de la mariée qui veille sur elle pendant toute la cérémonie.
Pour Fanta Djonta Diabaté, enseignante, le parrainage a pour but principal de renforcer les liens entre les membres de la famille, surtout dans les familles polygamiques. «Avant, quand le chef de famille décidait de prendre une nouvelle femme et que cela coïncidait avec la période de grossesse de sa première épouse, on savait que l’enfant allait être adopté par la nouvelle mariée. Et si c’est une fille, c’est la mère adoptive qui va naturellement être la marraine de l’enfant le jour de son mariage», explique-t-elle, tout en déplorant le fait de voir toutes ces valeurs disparaître progressivement dans notre société.
Fanta Djonta Diabaté pense que l’argent occupe une place importante dans le processus de dégradation, voire l’abandon de certaines traditions héritées de nos parents et ancêtres. De plus en plus, ajoute-t-elle, on constate qu’il y a beaucoup de problèmes dans les familles polygamiques qui influencent le choix des parrains et des marraines. «Des fois, il arrive même que les candidats au mariage imposent des parrains et des marraines à leurs familles», assure la pédagogue.
Par ailleurs, le mariage occasionne des dépenses pour la marraine notamment l’achat de cantines, d’habits, d’ustensiles de cuisine, de parures et autres. Celle-ci prépare également à manger pour le nouveau couple dans la chambre nuptiale. C’est pourquoi, le choix de certaines femmes comme marraines n’est pas fortuit.
Une sexagénaire qui a requis l’anonymat appuie les propos de Fanta Djonta Diabaté. Elle est rentrée de Tombouctou il y a un mois. Elle était la marraine de sa nièce. «J’ai été désignée par ma cousine pour être marraine. Elle pense que je suis riche parce que je suis à Bamako. Pour éviter d’exposer ma situation précaire, je n’ai pas pu refuser cette demande», indique celle qui a dû emprunter des habits avec des amies pour bien paraître durant son séjour dans la Cité des 333 Saints.
En vue d’offrir les accessoires vestimentaires et ménagers à la mariée, notre interlocutrice a été contrainte de s’endetter auprès d’une nièce, propriétaire d’une boutique de pagnes. Comme argent de poche, elle a économisé deux mois de pension pour pouvoir faire face aux dépenses.
LES VALEURS D’ANTAN– Fort heureusement, d’autres gardent encore les valeurs d’antan relatives au parrainage. Il y a deux ans, Madou Coulibaly, habitant de Baco-Djicoroni Golf (ACI Sud) en Commune V du District de Bamako, avait parrainé le mariage de la fille de son voisin. «Ce jour, j’étais très heureux, car je me suis senti important. J’ai pleuré de joie», raconte-t-il avec nostalgie. Selon ce patriarche, ce parrainage a été fait sans arrière-pensée.
Maintenant, regrette-t-il, les parrains ou les marraines sont désignés en fonction de leur rang social et de leurs moyens financiers. «Aujourd’hui, personne ne vous choisira comme parrain ou marraine, si vous n’avez pas suffisamment d’argent», insiste-t-il. «Pour ce qui me concerne, je resterai disponible pour la fille de mon voisin jusqu’à mon dernier souffle. Elle représente plus qu’une fille pour moi», ajoute-t-il.
Le parrain ou la marraine est la caution du mariage, nous apprend le griot Moussa Koumaré. Le parrain ou la marraine, selon lui, est choisi dans la famille mais il arrive aussi qu’ils soient choisis par affinité dans le voisinage ou parmi les amis. Le choix du parrain ou de la marraine, poursuit-il, a toujours pour but de renforcer les liens de parenté, d’amitié et de voisinage sans «aucune connotation traditionnelle ou religieuse».
Notre interlocuteur précise que quand une fille ou un garçon doit se marier, c’est au père ou à la mère biologique de trouver un proche à lui qui fera office de parrain ou marraine pour la fille ou le fils. Cet acte est honorifique. On le donne sans rien attendre en retour, souligne-t-il. Les parrains et les marraines sont tenus, en cas de problèmes, de tout mettre en œuvre pour intercéder auprès des mariés afin d’éviter le divorce. «Les parents biologiques du couple ne doivent pas être associés aux démarches. Ils ne doivent même pas être informés», précise Moussa Koumaré.
Dans ce même cadre du parrainage, S. C, une jeune dame, fait partie des personnes qui remettent en cause son importance dans le mariage puisqu’elle peine à divorcer après cinq ans de mariage parce que tel n’est pas l’avis de son parrain et de sa marraine. Selon elle, son mari a tous les défauts qui conduisent au divorce, mais ses parrains l’empêchent de divorcer en lui disant de penser à ses trois garçons. La jeune dame pense que certes ces derniers doivent chercher à sauver des mariages.
Mais, estime qu’à un moment donné on doit donner plus de liberté aux gens, car on ne doit pas forcer quelqu’un à rester dans un mariage. Selon elle, le social malien fait qu’on ne doit rien leur refuser en tant que parrains. Mais, eux aussi doivent comprendre que le mariage n’est pas une fin en soi. «Cette fois, je n’ai pas accepté. Je suis rentrée en famille sans mes enfants. On a rendez-vous au tribunal d’ici quelques jours», martèle-t-elle, espérant avoir la garde des enfants à la suite de ce procès