Il est urgent de relancer le projet d’Agence humanitaire africaine, dont l’Union africaine envisage la création depuis 2016, mais qui peine à s’installer et à trouver ses financements.
Des besoins humanitaires lancinants persistent en Afrique dans une relative indifférence, du Mali à l’Éthiopie en passant la RD Congo. Pire, de nouveaux foyers s’allument, comme au Soudan. Les dix crises de déplacement de populations les plus négligées au monde se trouvaient déjà en Afrique, selon le Norwegian Refugee Council, avant que n’éclate, en février 2022, la guerre en Ukraine. Celle-ci a détourné l’attention des donateurs occidentaux, déjà usée par une certaine « fatigue » de l’Afrique. Et ce, alors que ce continent, où se trouvent déployées les plus importantes missions de maintien de la paix des Nations unies, paie très cher les conséquences du conflit russo-ukrainien. L’inflation sur les denrées alimentaires et l’énergie frappe les ménages, tandis que plusieurs États risquent le surendettement.
Il faut se concentrer sur trois fronts simultanément : accélérer la levée des fonds, concevoir rapidement des systèmes capables d’assurer la matérialisation de la vision déclinée par les plus hautes autorités africaines, et déployer avec célérité les premières opérations qui s’imposent.
Le tableau de la sécurité humaine en Afrique s’assombrit encore, lorsqu’on l’examine sous l’angle du changement climatique. Des catastrophes à répétition prennent un rythme affolant depuis 2018. Les cyclones tropicaux ne s’abattent plus à Madagascar et au Mozambique une fois tous les deux ou trois ans, mais tous les ans, voire deux fois par an. Plus d’un million de personnes sont touchées chaque année, depuis 2020, par les inondations dans la zone sahélienne. Incendies, cyclones et sécheresses jettent sur les routes des centaines de milliers de personnes chaque année. Les récentes données publiées par le Programme alimentaire mondial montrent qu’une sécheresse sans précédent dans la Corne de l’Afrique et en Afrique de l’Est affecte 8,8 millions de personnes. Un total qui n’a aucune raison décente de rester une abstraction.
Sommet humanitaire de l’Union africaine, à Malabo, le 25 mai 2022. Sommet humanitaire de l’Union africaine, à Malabo, le 25 mai 2022.
Nous savons fort bien qu’en période d’urgence comme dans un contexte plus classique de développement, les jeunes et les femmes sont toujours les plus affectés. La crise Covid-19 a déjà renforcé la propension à marier les adolescentes, pour faire un peu d’argent avec la dot. Les jeunes, en plein essor démographique, sont instrumentalisés, comme on l’observe dans le Sahel, où les groupes armés les enrôlent à vil prix, parfois contre une simple mobylette, parce qu’ils se trouvent laissés-pour-compte, sans moyens ni perspectives.
Transformer les mots d’ordre en changements
Dans un tel contexte, comment redoubler d’efforts pour lancer l’Agence humanitaire autonome, la première du genre en Afrique, que l’Union africaine projette de mettre sur pied depuis 2016 avec le soutien actif de ses partenaires, dont le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) ?
Lancé lors d’une conférence qui s’est tenue à Malabo en mai 2022, ce projet n’a rien d’anodin. Il mérite plus de soutien et d’intérêt, pour trois raisons principales. Tout d’abord, il vise à prévenir autant que guérir, en suivant des systèmes d’alerte précoce pour délivrer une réponse rapide sur des « points rouges », avant que les crises ne dégénèrent. Ensuite, il compte puiser dans toutes les ressources, africaines et internationales, en se tournant notamment vers le secteur privé, mais aussi les communautés économiques régionales. Enfin, il compte opérer en s’appuyant sur une connaissance fine du terrain et un réseau déjà très dense de partenaires locaux. Ces points d’appuis essentiels ont déjà fait leurs preuves dans la maîtrise rapide de l’épidémie d’Ebola, entre 2014 et 2016, en Afrique de l’Ouest.
« L’action locale doit être axée sur les besoins locaux, et complétée par un soutien régional et international », affirmait Ban Ki-moon lors du Sommet humanitaire mondial de 2016 à Istanbul. Transformer ce mot d’ordre en véritable changement, en termes de réponse efficace aux crises humanitaires, peut passer par l’Agence humanitaire africaine (AHUA) en gestation. La communauté internationale peut – et doit – faire preuve de beaucoup plus d’ingéniosité, dans un continent qui concentre 75 % de l’action humanitaire dans le monde.
L’urgence impose l’action
Très inquiétant, cependant : sur des promesses de financement s’élevant à 176 millions de dollars faites à Malabo en mai 2022, moins de 1 % des contributions annoncées sont effectivement parvenues à l’Union africaine. Aussi un sérieux coup de collier paraît-il nécessaire, pour mettre sur les rails cette agence africaine qui fait tant défaut aujourd’hui, pour sauver les mille vies que l’Afrique perd chaque jour à cause de ses crises humanitaires. Mille vies africaines, dont la valeur devrait être parfaitement équivalente à mille vies asiatiques, américaines ou européennes, et que le continent se doit de sauver lui-même.
Que faut-il faire ? Commencer par le commencement, en mettant très rapidement sur pied une équipe de professionnels dédiée, pour se concentrer sur trois fronts simultanément : accélérer la levée des fonds, concevoir rapidement des systèmes capables d’assurer la matérialisation de la vision déclinée par les plus hautes autorités africaines, et déployer avec célérité les premières opérations qui s’imposent sur le continent. À commencer par le Tchad, où arrivent des cohortes de réfugiés soudanais qui fuient les combats qui font rage à Khartoum. En s’inspirant des meilleures pratiques, l’Afrique renforcera ses chances de gagner le pari de créer une agence humanitaire susceptible d’améliorer la coordination et l’efficacité de l’action humanitaire dans le continent. Alors que l’Union africaine fête ce 25 mai ses 60 ans et vise un ambitieux agenda à l’horizon 2063, l’Afrique ne peut plus attendre.
Par Mabingue Ngom
Mabingue Ngom est conseiller principal du directeur exécutif de l’UNFPA et directeur du Bureau de représentation de l’UNFPA auprès de l’Union Africaine et de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique.
Source : NewAfrican