Au Nigeria, après le carnage de dimanche 3 décembre dans un village de l’État de Kaduna, les autorités promettent de répondre aux questions. Pourquoi un drone de l’armée a-t-il tiré sur des habitants rassemblés pour une fête religieuse ? Qui sont les responsables de cette bavure qui a coûté la vie à au moins 85 personnes et fait des dizaines de blessés dans le village de Tudun Biri ?
À Tudun Biri, des dizaines de témoignages comme celui de Aisha Jibrin, une survivante, rencontrée il y a deux jours par Amiru Sado, le correspondant de RFI en haussa dans l’État de Kaduna : « Je suis veuve à présent et mes trois enfants ont été tués. Je n’ai plus d’enfant, je suis toute seule, sans personne pour m’aider. Je suis originaire de Katsina, c’est le mariage qui m’a amenée ici. Et je viens de perdre mon mari et mes enfants. » D’autres survivants racontent. Ils étaient rassemblés pour la fête du Maouloud, quand une première bombe est tombée, semant la panique. Et quand les gens ont commencé à arriver pour secourir les blessés, une nouvelle explosion a retenti.
Les autorités nigérianes, militaires et civiles, assurent que les enquêtes iront jusqu’au bout. Car dans le pays, la colère est grande. Ce mercredi, à Abuja, des manifestants marchent dans la capitale fédérale, ainsi qu’à Zaria, dans l’État de Kaduna où a eu lieu la frappe. Sur leurs banderoles : le nom du ministre de la Défense, Mohammed Badaru Abubakar, et ce slogan, « Nous avons besoin d’un ministre de la Défense sérieux, pas d’un touriste ».
Les manifestants veulent des réponses et des sanctions après cette nouvelle frappe aérienne, contre des civils qui célébraient une fête musulmane, causant « par erreur » selon les autorités la mort d’au moins 85 personnes. La plupart des victimes étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées. L’armée a reconnu être à l’origine des tirs de dimanche sur la localité de Tudun Biri, qui se trouve à 200 kilomètres environ au nord-ouest d’Abuja.
Mardi, le chef d’état-major de l’armée nigériane, le lieutenant-général Taoreed Abiodun Lagbaja, est allé sur place. « Le drone a observé des mouvements de personnes soupçonnées d’être des bandits. Il a donc été décidé de mener une frappe aérienne. Malheureusement, c’était des civils innocents. Il était essentiel pour moi de venir sur place, pour déterminer le type d’enquête que nous devons mener en interne pour comprendre la répétition de ce type d’incidents », rapporte-t-il au micro du correspondant de RFI en hausa, Aminu Sadi.
Mardi toujours, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu a ordonné l’ouverture d’une enquête. La société civile demande que les investigations aboutissent et que l’armée rende des comptes.
L’ONU demande une « enquête impartiale »
De leur côté, les Nations unies ont demandé ce mercredi une « enquête approfondie et impartiale » sur cette attaque de drone. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a noté que « les autorités ont qualifié d’accidentels les décès de civils », mais a dans le même temps demandé de « prendre à l’avenir toutes les mesures possibles pour garantir la protection des civils et des infrastructures civiles ».
Les autorités nigérianes « doivent revoir les règles d’engagement et les procédures opérationnelles pour s’assurer que de tels incidents ne se reproduisent plus », a ajouté le porte-parole de l’agence onusienne Seif Magango dans un communiqué. Le Haut-Commissariat a demandé « instamment » à Abuja de « demander des comptes aux responsables », tout en donnant des réparations aux victimes et à leurs familles.
« Nous sommes particulièrement alarmés par des informations selon lesquelles la frappe était basée sur les « habitudes de vie » de personnes présentes sur les lieux, qui ont été mal analysées et mal interprétées », rapporte le porte-parole de l’agence de l’ONU basée à Genève. « Nous nous demandons sérieusement si des frappes basées sur le « mode de vie » sont suffisamment conformes au droit international », a-t-il poursuivi.
L’usage des drones contre les groupes armés, qu’ils s’agissent de jihadistes ou de criminels, au Nigeria s’accompagne depuis plusieurs années de bavures meurtrières. Près de 400 civils sont morts depuis 2017 dans des erreurs comme celles de dimanche à Tudun Biri, selon le cabinet SBM Intelligence.