Soupçonné fortement d’avoir eu un rôle ambigu dans le coup d’Etat du 26 juillet dernier, l’ex-président nigérien Mahamadou Issoufou est en grande perte de vitesse à l’international : il n’aura pas de tribune à l’Assemblée générale des Nations unies et plusieurs chefs d’Etat ouest-africains refusent désormais de le prendre au téléphone.
Lauréat du prix Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance en 2021, président du Panel de haut niveau des Nations unies, membre du Comité scientifique de l’Université Al-Azhar du Caire, médiateur de la CEDEAO pour le Burkina Faso, Champion pour la Zone de libre-échange économique continentale (ZLECAF) : l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou avait un boulevard devant lui, après son départ du pouvoir, pour réussir une carrière internationale. Certains lui prédisaient même le destin de succéder un jour à Antonio Guterres à la tête des Nations unies. L’ex-président Issoufou travaillait lui-même à asseoir sa stature internationale, en parcourant le monde entier pour prendre part à des conférences internationales, à coups d’affrètements de jets privés. Depuis son départ du pouvoir, en avril 2021, huit fois sur dix, Issoufou n’a pas pris de vol commercial. Il adore les vols spéciaux, comme du temps où il régnait sur le Niger.
Le prix de la trahison
Tout ça s’est brutalement arrêté après le coup d’Etat perpétré le 26 juillet contre le président Mohamed Bazoum par Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle et fidèle de Mahamadou Issoufou. L’agenda international de l’ex-président nigérien s’est progressivement dégarni : plus de conférence internationale, plus de voyage à l’étranger en jet privé depuis plus de 50 jours. Fait totalement inédit et inimaginable pour celui que ses compatriotes railler pour ses déplacements internationaux répétés du temps de sa splendeur. Bien qu’il soit encore président du Panel indépendant sur la sécurité et le développement au Sahel, Issoufou ne participera pas cette année à l’Assemblée générale des Nations unies à New York qui s’ouvre ce mardi 19 septembre.
Selon une source nigérienne, le side-event sur le Sahel auquel il devait participer a été retiré du programme officiel. Alors que sa présence aux grandes rencontres, en sa qualité d’ancien chef d’état ayant favorisé une alternance pacifique dans son pays était implorée, Mahamadou Issoufou sent désormais le souffre, en raison de sa très forte proximité avec le général Tiani dont il a ostensiblement refusé de condamner le coup.
Une posture qui n’a pas été dirigée ni à l’international, ni dans la sous-région ouest-africaine. Le président français Emmanuel Macron, qui le tenait en grande estime, n’a plus parlé au téléphone avec l’ex-président nigérien depuis qu’il a découvert le rôle trouble qui a pu être le sien dans le coup d’Etat contre Bazoum. De l’Elysée au Quai d’Orsay, en passant par le ministère des Armées, la côte de Mahamadou Issoufou a complètement dévissé pour tomber à zéro. Il n’en attendait pas tant lui qui venait d’acheter un pied-à-terre dans le 15 arrondissement de Paris, justement pour passer du temps dans la capitale française et revoir « ses amis français ». Désormais, Issoufou laisse plutôt à Paris l’image de celui qui a trahi Bazoum, mais surtout de celui par qui sont arrivés tous les malheurs de la France au Niger. Sans le coup d’Etat dans lequel il a joué au moins un rôle trouble, il n’y aurait pas eu l’expulsion du Niger de l’ambassadeur Sylvain Itté, ni l’exigence du retrait des troupes françaises.
L’amertume de la sous-région
Il n’y a pas qu’en France et à l’international que l’ex-président nigérien a ruiné son capital d’estime et d’admiration. Plusieurs chefs d’Etat ouest-africains, dont l’Ivoirien Alassane Ouattara, ont refusé de prendre au téléphone Mahamadou Issoufou après une remontée d’information et des recoupements, y compris auprès de son prédécesseur, sur son rôle ambigu dans les événements du 26 juillet. L’homme d’affaires anglo-soudanais Mo Ibrahim fondateur du prix qui porte son nom serait également très remonté contre l’ex-président nigérien, son lauréat 2021. Malgré de nombreuses démarches, il n’avait pas réussi à entrer en contact avec Mahamadou Issoufou peu après le coup d’Etat. Il n’avait non plus pas réussi à obtenir sa condamnation ferme et rapide du putsch. En dehors des propos alambiqués tenus dans une interview accordée à l’hebdomadaire panafricain Jeune-Afrique parue le 17 août, soit près de trois semaines après le coup d’Etat.
A la haute direction de la fondation Mo Ibrahim et chez certains membres du jury, une question prégnante se pose désormais : Mahamadou Issoufou peut-il encore rester lauréat d’un prix dédié à la bonne gouvernance et à la démocratie ? Est-il toujours légitime pour parcourir le monde porter la parole de la démocratie et la bonne gouvernance, après avoir refusé de condamner explicitement un coup d’Etat militaire dans son pays, le Niger ?
Bazoum renforcé
L’issue du coup d’Etat militaire perpétré le 26 juillet au Niger demeure toujours incertaine alors que les négociations avec la CEDEAO pour une solution politique sont dans l’impasse et que plane encore le spectre d’une intervention militaire. Toutefois, l’ex-président Issoufou apparait d’ores et déjà comme le grand perdant de cette aventure militaire sur le terrain politique. Sa crédibilité internationale a en effet été totalement ruinée et sa place dans le jeu politique nigérien réduite à néant. Lui qui avait jusqu’ici la stature d’autorité morale du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), se voit désormais ouvertement critiqué par des militants de base du parti qu’il a cofondé avec Bazoum, pour son rôle qui reste à éclaircir dans le coup d’Etat du général Tiani.
Pour ne rien arranger à son sort, une aile du PNDS emmenée par Kalla Hankourao, secrétaire général du parti, fidèle parmi les plus fidèles de l’ex-président, fait ouvertement campagne pour les militaires putschistes alors qu’une autre aile dirigée par Hassoumi Massaoudou, premier vice-président du parti, se mobilise surtout à partir de l’étranger contre le coup d’Etat et pour le rétablissement du président Bazoum. Celui-ci peut compter sur le soutien ferme et inconditionnel de l’Union européenne et même de la CEDEAO qui refusent toujours de reconnaître le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
« Je me suis à nouveau entretenu aujourd’hui avec le président Mohamed Bazoum. Je lui ai réaffirmé le soutien total de l’UE et notre volonté de voir progresser les efforts de la CEDEAO pour un retour à l’ordre constitutionnel au Niger », a récemment réaffirmé le Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, Bosep Borell.
Outre le soutien de la communauté internationale, la posture de dignité du président renversé qui met un point d’honneur à refuser de démissionner, en dépit des conditions de vie moyenâgeuses imposées par ses geôliers, suscite respect et admiration. Il n’est pas sûr finalement que Bazoum ait plus perdu dans ce coup d’Etat que son prédécesseur Issoufou qui peut mettre une croix sur sa carrière internationale et qui n’a pas plus aucune chance de rebondir en interne sur la scène politique nationale.
Francis Sahel
Source: https://mondafrique.com/