Les visages couverts de turbans pour se protéger du soleil et du sable, les doigts agrippés à de sommaires bâtons de bois pour éviter une chute depuis les véhicules qui traversent le désert, 35 à 40 migrants entassés à l’arrière des pickups : c’est le spectacle auquel on assiste à la principale gare routière d’Agadez, depuis l’abrogation, en novembre 2023, de la loi de 2015 pénalisant le trafic de migrants.
« Les gens ont applaudi à cette abrogation de la loi », se rejouit Aboubacar Halilou, un des passeurs présents.
« Maintenant, tu peux prendre des passagers sans problème, tu peux aller où tu veux. Mais avant, ce n’était pas facile. C’était comme si on te voyait avec de la drogue : tu étais poursuivi par les autorités, incarcéré dans les prisons, parce que suite à ça beaucoup de personnes ont été arrêtées. Il y a beaucoup de personnes qui ont perdu leur boulot », confirme le passeur.
Turbans, sachets d’eau, cigarettes… les marchands ambulants et les cambistes se pressent autour des véhicules pour les derniers achats et le changement de devises avant un long et dangereux voyage à travers le Sahara.
Un périple dangereux, car les transporteurs évitent le convoi militaire hebdomadaire qui fait route vers le Nord. Encore méfiants vis-à-vis des autorités, ils préfèrent emprunter les voies clandestines, au mépris des risques, explique Mohamed Anacko, le président du Conseil régional d’Agadez.
« A l’heure actuelle, tout est facilité pour les migrants »
Nous retrouvons plusieurs migrants au quartier « Pays-Bas », où ils attendent leur départ dans ce qu’on appelle un « ghetto » : une maison discrète où les passeurs hébergent leurs clients.
Pendant que les femmes, certaines accompagnées de leurs enfants, préparent en cuisine le déjeuner pour la dizaine de migrants présents, les jeunes, dont Youssouf Sakho, un Ivoirien, discutent de la suppression de la loi qui criminalisait le trafic de migrants.
« On peut dire que ça a facilité beaucoup de choses pour nous. Parce qu’avant, quand on quittait Agadez, on avait peur que les autorités nous fassent arrêter ou bien que la population même nous demande si nous étions des migrants. Mais à l’heure actuelle, tout est simple. Tout est facilité pour les migrants, ils voyagent normalement, ils traversent vers la Libye, vers l’Algérie aussi », confirme Youssouf Sakho.
Pour aller en Libye, Youssouf a donné son téléphone et 300.000 francs CFA, soit environ 500 euros, à son passeur. Il confie tout de même qu’il n’a pas une totale confiance en son passeur. Car certains migrants découvrent à leur arrivée en Libye que l’argent versé au passeur n’a pas été remis au chauffeur, et ils sont retenus jusqu’au paiement de leur dette. Et les chauffeurs qui empruntent les routes clandestines n’hésitent pas à abandonner leurs passagers dans le désert s’ils sont pris en chasse par des bandits ou les forces de l’ordre.
C’est pour cela que plusieurs associations, dont l’ONG Alarme Phone Sahara, qui secourt les migrants égarés dans le désert, travaillent pour convaincre les passeurs clandestins d’éviter les routes secondaires, bien plus dangereuses pour les migrants.
Auteur: Nafissa Amadou, Avec agences