Ndongo Sylla : « L’adoption d’une monnaie unique entraînera la perte de souveraineté budgétaire et politique »

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Ndongo Sylla : « L’adoption d’une monnaie unique entraînera la perte de souveraineté budgétaire et politique »

Le Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS) a organisé ce mardi 15 octobre une conférence sur le thème « La souveraineté monétaire : conditions de faisabilité et de mise en œuvre de la monnaie unique dans l’espace CEDEAO ».

Cet événement a réuni des experts de premier plan, notamment le Dr N’Dongo Samba Sylla, économiste ; Thierno Thioune et Cheikh Tidiane Ndiaye, Professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Les intervenants ont exposé leurs points de vue sur les enjeux monétaires auxquels fait face la région ouest-africaine et ont évoqué les défis à surmonter pour l’établissement d’une monnaie unique. 
 
 
 
Premier intervenant, le Dr N’Dongo Samba Sylla s’est penché sur le sous-thème : « Un euro tropical est-il possible et souhaitable en Afrique de l’Ouest ? Les chocs monétaires sont-ils (a)symétriques dans la zone franc africaine ? ». 
 
 
 
Il a retracé l’historique du projet de monnaie unique au sein de la CEDEAO, initié en 1983. Il a indiqué que ce projet « a traduit le souci d’intégration des pays africains, notamment en Afrique de l’Ouest. Mais le projet a été reporté à plusieurs reprises ». 
 
L’économiste a mis en exergue le manque de volonté politique comme un obstacle majeur à la mise en œuvre de cette monnaie. Selon lui, « l’intégration monétaire est un projet constitutionnel. C’est-à-dire, on essaie de changer nos manières de faire sur le plan économique, monétaire et même politique ».
 
Ndongo Sylla a également insisté sur la notion de souveraineté et a affirmé que l’adoption d’une monnaie unique impliquerait la perte de la souveraineté budgétaire et politique des pays membres. « Quand on abandonne sa monnaie nationale pour une monnaie unique, on perd en souveraineté budgétaire et politique parce qu’on n’a plus le choix en matière budgétaire, parce que les décisions vont être prises au niveau fédéral », a-t-il précisé. Ce faisant, il a averti que « si nous voulons vraiment l’intégration monétaire en Afrique de l’Ouest ou au niveau continental, il faut se poser la question : sommes-nous prêts à franchir le pas du fédéralisme politique ? »
 
 
 
Les chocs monétaires : une réflexion nécessaire
 
 
 
Par la suite, le professeur Thierno Thioune s’est penché sur la question « Les chocs monétaires sont-ils (a)symétriques dans la zone franc africaine ? ». Il a noté que la gestion des chocs économiques doit prendre en compte les particularités des économies nationales. Cette analyse serait une condition sine qua non  dans le cadre d’une intégration monétaire. Ses chocs monétaires asymétriques pourraient mener à des disparités de développement entre les pays de la région ».
 
 
 
Dans cette même optique, il a relevé les disparités entre les pays de la zone franc africaine. « Si vous prenez les unions monétaires individuellement notamment l’UEMOA et la CEMAC, cette dernière a une certaine vulnérabilité par rapport aux chocs monétaires comparativement à l’UEMOA. Qu’est-ce qui fait cela ? C’est qu’aujourd’hui, pour les pays de la CEMAC, en général, ce sont des pays avec des structures économiques pas très articulées, alors que pour les pays de l’UEMOA, c’est moins le cas. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, c’est bon d’aller vers une union monétaire, mais également, il faudra voir les coûts et les avantages de se mettre en union monétaire », a-t-il précisé. Ainsi, cette diversité économique poserait un véritable défi à l’intégration monétaire dans la région.
 
 
 
De son côté, Pr. Cheikh Tidiane Ndiaye a présenté une analyse des chocs macroéconomiques liés à l’union monétaire en Afrique de l’Ouest. Il a mis en avant l’importance d’une étude approfondie des impacts de l’union monétaire sur les économies des pays de la CEDEAO. Il a déclaré : « Il s’agissait d’analyser et d’évaluer l’impact de la variabilité des chocs mondiaux, régionaux et domestiques, sur les PIB, donc des pays de la CEDEAO. Alors, les résultats auxquels on a abouti, ce sont les chocs domestiques qui prédominent dans le cadre de nos pays. Et quand les chocs domestiques dominent, ça signifie que nos pays ne sont pas encore prêts pour mettre en place cette monnaie unique ». Malgré ces conditions qui freinent l’instauration de cette monnaie commune, l’économiste milite pour son lancement immédiat. « Si on mettait en place la monnaie unique, cela allait pousser nos pays à faire des efforts pour respecter ces critères de convergence. Et cela pourrait nous permettre maintenant de parachever cette dynamique d’intégration qui est déjà en cours. Sinon, qu’est-ce qui risquera de nous arriver ? », a-t-il dit.
 
 
 
Toutefois, le professeur Cheikh Tidiane Ndiaye a évoqué la nécessité pour ces Etats de respecter deux critères de convergences à savoir la maîtrise de l’inflation et le déficit budgétaire. Sans ces préalables, ce projet serait voué à l’échec avec de graves conséquences. « On n’aura pas une crédibilité. On mettra en place l’éco, mais l’éco ne sera pas crédible. Vous voyez. Et qu’est-ce qui se passe ? La principale conséquence d’une monnaie qui n’est pas crédible est que tous les agents économiques voudront se débarrasser de votre monnaie. Personne ne voudra détenir votre monnaie », informe-t-il.
 
 
 
Pour une autonomie monétaire et économique
 
 
 
Au-delà des débats sur la monnaie unique, Dr N’dongo Sylla a proposé des alternatives pour renforcer l’intégration régionale tout en préservant la souveraineté des pays. Il a évoqué la possibilité de créer un système de paiement africain pour faciliter les échanges entre les pays sans passer par les monnaies étrangères comme le dollar ou l’euro. « Pourquoi commercer en dollars ou en euros ? On peut avoir un système de paiement africain qui permet d’échanger entre nous », a-t-il proposé. Cela pourrait limiter les coûts de transaction et favoriser le commerce intra-africain.
 
 
 
En outre, il a suggéré l’établissement d’un fonds monétaire africain où une partie des réserves d’échange pourrait être mise en commun pour exercer une forme de solidarité entre les pays. « On pourrait avoir une banque africaine qui serait la nôtre où 100% des actionnaires seraient africains et qui financerait des projets industriels », a-t-il préconisé. Une approche qui viserait à promouvoir l’autosuffisance énergétique et alimentaire, deux piliers fondamentaux pour assurer une véritable souveraineté économique.
 
 
 
Le directeur de recherche de la région Afrique de International Development Economics Associates (IDEAs) a aussi mis en garde contre le risque d’adopter une monnaie unique sans conditions préalables. Il estime que « tant que l’on souscrit à cette approche, tous les 7 ans ou 10 ans, on va reporter (le lancement de l’ECO), parce que tous les pays ne seront pas prêts ». Selon lui, l’expérience de la zone euro a servi d’avertissement, avec des leçons tirées des crises économiques passées. Par ailleurs, Ndongo Sylla serait favorable à une monnaie nationale pour le Sénégal.
 
 
 

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