Dans cette interview exclusive, le secrétaire général du Mouvement pour le salut de l’’Azawad (MSA) dénonce les incohérences de certains groupes signataires de l’Accord qui préfèrent s’allier avec les terroristes islamistes contre l’Armée nationale. Ce partisan d’un pays uni dans sa diversité, évoque aussi l’avenir du processus de paix à la lumière des événements en cours
L’Essor : Quelles explications donner-vous à la récente multiplication des attaques dans plusieurs localités du Mali ?
Moussa Ag Acharatoumane : En réalité, cela est dû à plusieurs choses en même temps. Je pense que les dernières en date, c’est malheureusement la rétrocession des entreprises de la Minusma à l’Armée malienne. Il ya une Résolution qui a été votée au Conseil de sécurité de l’Onu qui dit que cette rétrocession doit se faire à l’État malien. Je pense que c’est autour de ces entreprises militaires qu’il y a eu des incompréhensions entre les autorités centrales et une partie des mouvements notamment ceux-là qui sont basés à Ber et à Kidal.
Il s’agit essentiellement des entités de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Je pense que c’est malheureusement autour de cela que ces incompréhensions ont conduit à un certain nombre de choses qui ont fait qu’aujourd’hui on connaît ce qu’on connaît, c’est-à dire la reprise des hostilités entre d’ une part de l’armée malienne et d’autre part, même si c’est le sigle du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD) qui est utilisé, et majoritairement des organisations issues de la CMA.
Ces entreprises posent problème pour la CMA, mais chez nous à Ménaka, Gao et ailleurs, il n’y a pas eu de difficultés majeures. Parce que nous n’avons pas fait de cette rétrocession des entreprises de la Minusma un enjeu important. Pour nous, le plus important, c’est que les gens conjuguent leurs efforts dans le cadre de la protection des personnes et de leurs biens qui sont aujourd’hui victimes des organisations barbares. Il s’agit en l’occurrence de l’État islamique dans la zone dite des trois frontières. Malheureusement, c’est ce qui a conduit à ce qui se passe.
Il faut aussi comprendre qu’au Nord du Mali, il n’y a pas que des affrontements seulement avec les mouvements de la CMA qui sont sous appellation du CSP-PSD. Mais il y a aussi en réalité des affrontements avec les groupes armés d’obédience « djihadiste ». Ceux qu’on appelle les mouvements issus d’Al-Qaïda, donc le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM). Et de l’autre côté, il y a d’autres organisations comme l’État islamique qu’on appelle Daesh dans la zone des trois frontières. Aujourd’hui, l’Armée malienne a en face tous ces acteurs.
L’Essor : Pourquoi les difficultés ont surgi dès le démarrage de la deuxième phase de la rétrocession des entreprises de la Mission onusienne à l’Armée malienne ?
Moussa Ag Acharatoumane : Parce que la première phase s’est passée dans des zones qui sont sous contrôle du gouvernement avec d’autres mouvements qui, en réalité, sont en harmonie avec l’État malien. C’est ce qui explique qu’à Ménaka, la rétrocession s’est bien passée et ailleurs aussi. Le problème a éclaté quand on a voulu reprendre le camp de Ber qui était contrôlé par la CMA. Elle a rejeté la Résolution du Conseil de sécurité, ainsi que la volonté du gouvernement malien de prendre possession de ces entreprises.
Les autres entreprises sont beaucoup plus au Nord, c’est-à-dire celles de Kidal, Aguelhok, Tessalit. Ces entreprises sont dans la Région de Kidal qui est majoritairement contrôlée par des éléments issus de la CMA. Ces derniers ont apparemment, des raisons qui sont propres à eux selon lesquelles ces entreprises ne peuvent pas être occupées par les Forces de défense et de sécurité nationales. Ce qui est en contradiction bien évidemment avec la Résolution du Conseil de sécurité.
L’Essor : Pouvez-vous revenir sur les raisons fondamentales du retrait du MSA du CSP-PSD ?
Moussa Ag Acharatoumane : Quand on créait le CSP-PSD, c’était pour apaiser les tensions, reconstruire les communautés et mettre un terme aux conflits qui s’opposent aux mouvements. Le deuxième objectif, c’était de conjuguer nos efforts pour protéger les populations et leurs biens. Et le troisième, c’était de mutualiser nos efforts dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Sur le deuxième objectif, nous n’avons malheureusement pas réussi à protéger les communautés, parce que cela fait une année et demie qu’une grande partie de nos populations est massacrée, de façon atroce, par l’État islamique notamment dans les Régions de Ménaka, de Gao, dans le Gourma frontalier avec le Burkina Faso.
Pendant tout ce temps, nous avons toujours demandé à ce que nos frères de la CMA, qui sont membres du CSP, nous viennent en aide pour protéger ces populations. Malheureusement, ils ne sont jamais venus nous aider. Pendant un an et demi, il ya eu plus de mille civils qui ont été tués, massacrés et chassés de chez eux.
Malgré tout cela, nous avons gardé notre calme, et un beau jour, on se lève et on fait une déclaration en notre nom pour dire que le CSP aurait décidé d’adopter cette légitime défense contre les Forces de défense et de sécurité avec lesquelles le MSA et le Gatia ont de très bons rapports.
L’incompréhension est lieu de là. Pourquoi adopter une légitime défense contre les FAMa et ne pas faire la même chose contre l’État islamique qui est l’auteur des massacres atroces contre les communautés majoritairement touarègues ? Donc, c’est à partir de là que nous avons compris qu’il y a d’autres choses qui se cachent derrière notre initiative. C’est la raison principale pour laquelle nous avons décidé, en toute responsabilité, de mettre fin à notre participation au CSP.
L’Essor : Le MSA continue donc à collaborer avec les Forces armées maliennes (FAMa) ?
Moussa Ag Acharatoumane : Le MSA et les FAMa ont de très bons rapports. Nous collaborons dans le cadre de la lutte contre l’État islamique dans les Régions de Ménaka et Gao. Nous collaborons également dans le cadre de la lutte contre le banditisme urbain et rural. À ce niveau, nous avons de très bons résultats. Par exemple, à Ménaka, la plupart des brigands malfrats ou terroristes que nous neutralisons sont remis aux Forces de défense et de sécurité.
À ce titre, souvent nous faisons des patrouilles ensemble. Nous pouvons nous retrouver sur les mêmes points de contrôle. Cette collaboration a permis entre autres, la réduction des conflits entre les parties signataires. Nous avons constaté que travailler ensemble a permis de réduire les tensions, renforcer la sécurité, contribuer ainsi aux parties maliennes à Ménaka de se retrouver autour de toutes les questions d’intérêt pour la Région de Ménaka.
La collaboration entre les mouvements et les Forces de défense et de sécurité a permis de renforcer l’État. Le gouverneur de la Région de Ménaka est en réalité le chef de l’exécutif de la région. Il s’appuie sur cette bonne collaboration pour diriger la région. L’organisation de toutes les élections dans la région sans le moindre couac en est un fort exemple.
Aussi, la bonne collaboration avec les FAMa a permis de lutter contre les menaces transnationales telles que le terrorisme avec des résultats probants qui ont permis l’arrestation de personnes étrangères lieux dans la région pour s’associer aux terroristes et l’arrestation d’autres des terroristes déjà en activités.
L’Essor : Comment entrevoyez-vous le processus de paix en l’occurrence la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation ?
Moussa Ag Acharatoumane : C’est vrai que le processus de paix est affecté avec ce qui se passe actuellement. Mais je ne vois pas d’autre alternative à l’Accord. Mon constat est aussi que personne n’a déclaré qu’il a quitté l’Accord ni les mouvements de la CMA ni le gouvernement. Même s’il ya des affrontements, aucun de ces acteurs n’a déclaré la fin de l’Accord.
Donc, pour moi ce texte reste toujours un cadre qui nous permet de nous retrouver et de continuer à travailler ensemble. Les uns et les autres doivent regarder cela et saisir l’opportunité de revenir autour de la table, pour discuter dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord. Parce que le document traite de tous nos problèmes et a permis d’avoir une certaine paix et accalmie pendant huit ans.
Il ne faut pas remettre tout cela en cause pour des choses qui, pour moi, ne valent pas trop la peine. On ne peut pas remettre en cause la vie de notre nation et celle de nos populations à cause des entreprises occupées par la Minusma. L’avenir de nos populations est beaucoup plus important que cela.
Il faut impérativement aujourd’hui faire avancer le processus de paix avec les mouvements qui sont prêts à le faire. Ceci permettra de renforcer la sécurisation des personnes et de leurs biens. Mais également de répondre au besoin urgent du moment.
L’Essor : Quelle est votre lecture de la situation sociopolitique du Mali à l’entame de la 4è République ?
Moussa Ag Acharatoumane : La situation politique au Mali est compliquée, puisque nous sommes dans une Transition et si tout va bien nous devrons nous acheminer progressivement vers des élections qui sont attendues par tout le monde, avec ainsi le retour à l’ordre constitutionnel normal. Je pense que la 4ème République que le président de la Transition vient de proclamer nous permet de faire un pas en avant, de repenser beaucoup plus en profondeur notre pays, de prendre en compte un certain nombre de choses.
Par exemple, la création de la deuxième chambre du Parlement notamment le Sénat, la valorisation des chefs traditionnels et coutumiers. Il y a beaucoup de choses positives dans cette nouvelle Constitution. Maintenant, c’est à nous de prendre les côtés positifs et d’en faire un fer de lance pour la paix, la réconciliation et la refondation de notre pays. Je pense que c’est l’objectif des autorités actuelles et l’aspiration de l’ensemble des Maliens.
Propos recueillis par
Massa SIDIBE