La mère d’Alexeï Navalny et ses avocats ont été refoulés de la morgue dans laquelle se trouverait la dépouille de l’opposant. Les enquêteurs ont annoncé rallonger l’enquête.
RUSSIE – Trois jours après la mort d’Alexeï Navalny au sein d’un établissement pénitentiaire isolé de l’Arctique, sa famille n’a toujours pas accès à sa dépouille, les enquêteurs refusant à ses proches de la voir, dénonce sa porte-parole ce lundi 19 février.
L’équipe de l’opposant russe a affirmé lundi après-midi que les enquêteurs mèneraient pendant au moins 14 jours une prétendue « expertise chimique » sur sa dépouille avant de la rendre.
La figure de l’opposition russe à Vladimir Poutine est décédée vendredi 16 février après une promenade. Selon le récit des autorités russes, Alexeï Navalny s’est senti mal et a presque immédiatement perdu connaissance, le service pénitentiaire russe assurant que les secours ont alors tenté de le réanimer, en vain.
Mais le mystère reste entier sur les précises causes de sa mort, et la suspicion s’accentue alors que ses proches se voient refuser l’accès à son corps depuis l’annonce du décès. Voici ce que l’on sait pour le moment sur la situation relative à la dépouille de l’opposant.
L’enquête sur la mort de Navalny « rallongée », sa mère pas autorisée à le voir
Selon la porte-parole d’Alexeï Navalny, Kira Iarmich, la mère de l’opposant russe n’a pas été « autorisée » à pénétrer dans une morgue où son fils pourrait être conservé.
« La mère d’Alexeï et ses avocats sont arrivés à la morgue tôt ce matin. Ils n’ont pas été autorisés à entrer. L’un des avocats a littéralement été repoussé à l’extérieur. Lorsqu’on a demandé au personnel si le corps d’Alexeï était là, il n’a pas répondu », a déclaré dans un premier temps la porte-parole sur les réseaux sociaux.
Un peu plus tard, par le même biais, elle a annoncé que les enquêteurs ont invoqué un rallongement de l’enquête pour justifier ce refus auprès de la mère de Navalny et ses avocats. « On ne sait pas combien de temps cela va durer. La cause du décès est toujours “indéterminée”. Ils mentent, jouent la montre et ne le cachent même pas », a poursuivi Kira Iarmich, sur X.
Du côté du Kremlin, la communication officielle fait pour le moment état d’une enquête en cours qui n’a pas donné de résultat « pour le moment ». Et le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov d’insister, qualifiant les accusations et remarques suspicieuses à l’endroit du sort d’Alexeï Navalny d’« odieuses ». Une réponse aux chancelleries occidentales qui ont, dans les minutes qui ont suivi l’annonce de la mort de l’opposant, accusé le régime de Vladimir Poutine d’avoir joué un rôle.
L’autopsie pas encore pratiquée ?
Le média russe Novaya Gazeta Europa a tenté d’investiguer dans la petite ville de Salekhard, située à une cinquantaine de kilomètres de la prison où est mort l’opposant, car c’est ici que serait conservée sa dépouille.
Le journal, dont la rédaction travaille en exil depuis que la publication a été interdite par Moscou, a pu s’entretenir avec des habitants, parmi lesquels l’employé d’une compagnie d’ambulances qui se situe à 500 mètres de l’hôpital. « Habituellement, les corps de ceux qui meurent dans les colonies sont livrés directement au bureau d’examen médico-légal de la rue Glazkova, mais pour une raison quelconque, celui-ci a été emmené à la clinique », a-t-il expliqué, sans pouvoir confirmer que la dépouille était bien celle de Navalny.
Selon cet individu, des gardes ont été postés devant la morgue avec interdiction d’y pénétrer. Un comportement mystérieux qui renforcerait l’hypothèse de la présence du corps de l’opposant.
Le média explique alors que des informations ont circulé sur le nouvel occupant de la morgue. Il s’agirait d’un « homme politique » et que sa mort est de nature « non criminelle », « c’est-à-dire sans coup de feu », précise Novaya Gazeta Europa.
Selon l’ambulancier, l’autopsie du corps n’aurait pas encore été pratiquée, bien que la raison de ce délai soit encore floue. Il évoque la réticence des médecins locaux qui refuseraient de procéder à l’examen car « si vous faites une autopsie et qu’un ordre direct vient pour modifier le résultat, vous ne pourrez pas vous en sortir ». Mais il n’écarte pas non plus les rumeurs disant qu’un ordre, émanant de Moscou, demande d’attendre des spécialistes de la capitale. Aucune de ces informations n’a pour le moment été confirmée par les autorités.
Les autorités peuvent officiellement garder le corps « autant qu’elles le veulent »
D’après Evguéni Smirnov, un avocat de l’ONG spécialisée Pervy Otdel, les enquêteurs peuvent légalement conserver jusqu’à 30 jours le corps d’une personne décédée en prison.
Mais, selon lui, même après ce délai, les autorités peuvent décider d’ouvrir une enquête criminelle, procéder « à de nouvelles manipulations » et garder le cadavre « autant qu’ils le veulent ».
« Le corps d’Alexeï Navalny se trouve donc entièrement sous le pouvoir de l’enquêteur (…) Il est très facile de trouver des raisons juridiques pour garder la dépouille des mois, voire encore plus longtemps », a affirmé l’avocat.
Aucun mot de Poutine
L’opposant russe et adversaire numéro un du président Vladimir Poutine est mort à 47 ans dans la prison de l’Arctique, dans la région de Iamal, où il purgeait une peine de 19 ans. Il était emprisonné depuis son retour en Russie début 2021 et sa santé s’était détériorée depuis des mois.
Vladimir Poutine n’a fait aucun commentaire sur la mort d’Alexeï Navalny qui intervient un mois avant l’élection présidentielle, laquelle devrait voir le président russe se maintenir au pouvoir pour un nouveau mandat de six ans.
Alexeï Navalny était le représentant de l’opposition le plus médiatique en Russie, où il avait acquis une grande popularité, notamment au sein de la jeune génération, grâce à ses enquêtes fouillées sur la corruption sous le régime de Vladimir Poutine.