Entre la peur de croiser des terroristes, la joie de retrouver les siens, la fatigue et la découverte de beaux paysages, l’aventure dure près de trois jours sur l’eau
Les rabatteurs saisissent l’occasion pour vendre des billets à raison de 7.000 Fcfa à certains clients qui souhaitent toujours partir. Ils sont une dizaine à se lancer dans cette aventure qui vise à mettre à leur disposition une pirogue qui va les conduire à l’une des deux pinasses déjà parties. «Vous n’avez rien à craindre, on a l’habitude de procéder ainsi. Vous n’avez plus à payer une deuxième fois. On gère tout. Quoi qu’il arrive, je sais que cette petite pirogue va pouvoir joindre votre engin de choix», assure le rabatteur. À17 heures, la pirogue démarre dans une ambiance religieuse marquée de prières et de bénédictions pour une traversée sans anicroche.
La jeune Hawa voyage pour la première fois dans une pirogue. Elle serre très fort la main de sa cousine pour sa sécurité. Cela ne l’empêche de hurler chaque fois que la pirogue tangue. Des voix la rassurent que l’embarcation ne va pas couler. Une trentaine de minutes après, le calme règne à bord du véhicule flottant. Vers 19 heures, nous arrivons au poste de contrôle de Mopti où des agents de sécurité s’assurent que le nombre de passagers ainsi que la quantité de bagages respectent les normes. Pendant ce temps de contrôle, les voyageurs achètent de la nourriture à manger au cours du trajet. Des vendeurs louent le service des piroguiers qui les conduisent vers la pirogue des voyageurs pour écouler leurs marchandises.
Après 6 heures de voyage, les passagers respirent enfin un air de soulagement en apercevant l’une des pinasses qu’ils poursuivent. Les deux ouvrages flottants s’atteignent et procèdent au transfert des passagers. L’opération fait peur à Hawa qui refuse de quitter la pirogue. D’autres en rient. Mais le comportement de la dame exaspère un jeune homme grand et robuste. «Ce n’est pas pour elle seulement qu’on va perdre notre temps ici. Si elle ne veut pas descendre, on peut partir sans elle», dit-il en colère. Cette deuxième pinasse est plus grande que la première. Elle réserve un espace pour les femmes et un autre pour les hommes.
Au bout de la pinasse, le navigateur et l’un de ses apprentis sont réunis autour de leur théière. À l’autre bout, se trouvent les moteurs et des apprentis qui sont au nombre de six personnes. Au beau milieu est installée la cuisine où l’on peut trouver tout le nécessaire pour préparer à manger. Chaque voyageur essaie de trouver un abri pour bien se reposer. Pour ce faire, ils amènent des couvres lits pour les étaler sur les sacs de riz et mil des commerçants qui se trouvent dans la pinasse. Ces sacs servent de matelas aux voyageurs. D’autres se couchent sur des barriques.
Dans la cuisine, un jeune homme s’active entre les fourneaux et marmites pour faire le dîner pour les clients. Il s’agit de Moussa qui, outre ses tâches d’apprenti chauffeur, s’occupe de la cuisine dans la pinasse. Au menu du jour, c’est du riz au gras, une de ses spécialités. Il se sert de l’eau du fleuve pour la préparation de son repas. C’est la même eau que boivent les propriétaires de la pinasse. Les voyageurs, quant à eux, viennent avec leur eau filtrée. Dans la pinasse, la fumée de la cuisson est forte là où les femmes demeurent. Adama, l’une d’elle, presse le cuisinier de se hâter pour éteindre le feu.
Le riz au gras est enfin prêt à être servi. Bouba, le benjamin des travailleurs de la pinasse, est chargé d’apporter le repas aux passagers. Il partage équitablement dix tasses entre les hommes et les femmes. Des groupes de cinq convives voire plus se forment autour d’une tasse. Ils ne manquent pas de compliments sur le plat savoureux de Moussa. Après le dîner, des passagers commencent à dormir. D’autres se consacrent à leurs Smartphones pour écouter la musique ou regarder un film. Quant à Papou, qui est à son troisième voyage dans une pinasse, il refuse de fermer les yeux une seconde à cause de la peur. Il préfère observer attentivement la pinasse naviguer comme s’il ne voulait pas perdre de vue le danger. «Depuis que j’ai appris que plusieurs pinasses ont chaviré sur cette voie et aussi l’attaque du bateau Tombouctou, j’ai encore plus peur du voyage par pinasse», raconte-t-il les yeux toujours rivés sur le fleuve.
Conséquences de la décrue- Le temps passe ainsi et la première nuit s’efface. Le lendemain, le voyage est plus pénible. La décrue rend la traversée très ardue bloquant souvent l’engin. Des dunes et des rochers entravent régulièrement la circulation de la pinasse. Face à cette situation, les apprentis descendent dans l’eau pour débarrasser avec vigueur et intelligence le bâtiment flottant du piège. Les hommes dans le rang des passagers aident à pousser la pirogue. Le pire est que les passagers n’ont maintenant ni nourriture ni eau. Et la pinasse peine à atteindre un village côtier pour le réapprovisionnement. Comme le dit un proverbe : «Faute de grives, on mange des merles». Ceux qui avaient répugné l’eau du fleuve, sont contraints de la boire. «Buvez, rien ne va vous arriver. Si l’eau du fleuve tuait, on ne serait pas là aujourd’hui. Comme vous n’êtes pas habitués, vous aurez peut-être de légers maux de ventre. Mais ça va passer», rassurent les apprentis, le ton quelque peu moqueur.
Arrivé à un hameau de Bozos, les voyageurs descendent et cherchent à manger. Des vendeurs proposent des gâteaux sans sucre dont raffolent les passagers. La deuxième journée présente des obstacles difficiles à surmonter. Un pêcheur de passage dans sa pirogue vient au secours de la pinasse. Il transporte les femmes dans l’objectif de diminuer la charge de l’engin. Les femmes y restent depuis 21 heures jusqu’à 4 heures du matin, heure à laquelle la pinasse finit par bouger. Le troisième jour, l’espoir renait sur les visages.
Aux dires des apprentis, c’est le dernier jour du voyage qui ne durera qu’une dizaine d’heures. Certains estiment que la pinasse atteindra la ville de Niafunké au plus tard à 14 heures. Sur le trajet, le premier débarquement est effectué à une dizaine de mètres du bord du fleuve. Il s’agit d’une femme et ses trois enfants. Malheureusement pour ces voyageurs, les petites pirogues chargées de les transporter sur les berges du fleuve tardent à venir. Les apprentis décident de les débarquer dans l’eau avec leurs bagages et continuer leur route. La décision provoque la colère des autres passagers qui refusent d’abandonner la femme dans ce pétrin. Pendant ce temps, une barque arrive sur le lieu, puis amène la femme et sa progéniture à bon port.
Après avoir repris la route, les apprentis racontent : «Dans ce village, il y a des terroristes qui ont l’habitude d’attaquer les pinasses pour frapper des pauvres femmes qui ne portent pas de voiles noirs ou qui ne couvrent pas bien leurs corps. Même dans leur village, les femmes qui viennent pour faire la lessive ou la vaisselle au bord de l’eau, doivent se baigner avec les voiles si elles veulent se laver. C’est pour cette raison qu’on ne traine pas ici quand on doit débarquer un client. Même quand on meurt de faim et qu’il y a à manger ici, on ne l’achète pas», confient-ils en souhaitant voir l’Armée occuper vite ce village. Car selon eux, les villages qui sont derrière le fleuve sont à la merci des bandits armés.
La jeune Assi, étudiante à l’Université de Ségou, remercie Dieu qu’ils ne l’ont pas aperçue dans les vêtements courts qu’elle porte. «Dorénavant, quand je dois voyager, je prendrai avec moi une voile. On ne sait jamais», dit-elle. La scène finie, le calme est enfin là. Des têtes baissées sur les écrans, des jeux de cartes, des causeries entre amis, etc. On se sent comme dans un bateau. Entre temps, le cuisinier est aux fourneaux pour faire le dernier repas à ses clients. Cette fois-ci, c’est la sauce rouge à base de poisson sec et le riz blanc qui sont au menu de midi. éventail en main, il se précipite pour finir vite avant l’arrivée de la pinasse. Enfin, après trois jours de trajet et de fatigue, la pinasse arrive au bord de «Soko et Dougou» communément appelé Niafunké sous les applaudissements de ses occupants.
Fadi CISSE