Dans un État jouissant de tous ses attributs, un tel Accord n’aurait nullement existé. Cependant, l’on aura décidé pour le Mali, alors qu’il était au plus bas de son existence en tant qu’acteur sur le plan international. En 2013, dans l’euphorie des succès militaires de Serval, rares étaient ceux qui pouvaient imaginer que l’on serait quasiment au même point de départ, dix ans plus tard. Une fois encore, il semblerait que l’histoire songe à bégayer. Au nord, des alliances se formeraient entre terroristes de l’extrémisme violent et les soi-disant ex-rebelles, pour faire face à la menace commune, l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS).
En milieu de semaine, des représentants de la médiation internationale ont quitté Bamako, direction Kidal, sanctuaire d’une rébellion qui ne cache plus son mécontentement dans la mise en œuvre de l’Accord. Énième acte de non-sens d’une communauté internationale qui n’aura pas réellement compris la vraie teneur de la crise du septentrion malien. Elle est en droite ligne d’une politique mise en place depuis la normalisation amorcée en 2013. De ce qui ressort, les rebelles de la Coordination des Mouvements de l’Azawad, ont exprimé leur exaspération quant à l’application de l’Accord, et leur non-reconnaissance du gouvernement en place.
Le processus de paix est donc au point mort. Mais quel processus ? Il est évident que les rebelles ne sont pas les seuls acteurs du terrain. Fait encore plus important à prendre en compte, d’autres acteurs ayant une plus grande envergure sont présents notamment, l’EIGS et AQMI. Des acteurs qui, rappelons-le, ne sont pas signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Ce qui biaise considérablement l’efficacité du processus car ne prenant pas en compte tous les protagonistes. Toutefois, dans ce flou sécuritaire, il y aurait des tentatives de rapprochement entre AQMI d’Iyad Ag Ghaly, faisant partie de la mouvance de l’extrémisme violent, et des hauts cadres de la rébellion. C’était à Ménaka puis dans une localité près de Kidal.
Certains voient en ce jeu les prémices d’une nouvelle alliance pour faire face à la puissance de feu de l’EIGS. Ce qui serait fort semblable au jeu qui fut fait en 2012 lorsque rébellion touareg et mouvance salafiste s’étaient alliés pour chasser l’Armée malienne des régions du nord. Pour l’instant, il s’agirait surtout d’une prise de contact et d’une sorte de clarification des positions car tout naturellement, les cadres d’AQMI et ceux des mouvements signataires de l’Accord ont plus d’accointances entre eux qu’avec ceux de Daech.
Clarification, c’est cela que la communauté internationale devait imposer aux groupes rebelles du nord malien, à la suite du succès militaire de Serval. Car, on le constate encore aujourd’hui, souvent il est difficile de faire le distinguo entre rebelles et terroristes. Rappelons tout simplement que, par exemple, Iyad Ag Ghaly, targui ifoghas, fait partie des notables de Kidal, bien qu’il soit également chef d’une mouvance terroriste. De ce fait, il garde des liens très forts avec des parents qui se trouveraient de l’autre côté de la cartographie des groupes armés, à savoir la rébellion. Également, le HCUA est issu d’une scission d’Ansar Dine, le groupe originel d’Iyad, au plus fort de l’occupation du septentrion malien. De ce fait, aujourd’hui, l’on assiste à un retour de Boomerang. Une minorité d’individus armés tiennent en haleine tout un pays pour des revendications chimériques.
Dans des conditions aussi complexes, que doit faire l’État malien ?
L’Accord pour la paix et la réconciliation doit bel et bien être pris en compte malgré les énormes insuffisances, incohérences, et même dangerosité qu’il comporte pour le caractère unitaire de l’État malien. Il faut, tout de même reconnaitre, la grande part de responsabilité des gouvernements successifs dans le pourrissement de la situation. De très longue date, et au fil des ans, le Mali n’aura pas été à la hauteur de la particularité de son territoire et de son destin sécuritaire. Le grand nord fut négligé, tout comme d’ailleurs, d’autres régions du Mali. À l’exception près que le septentrion malien fait face à des périls dont l’addition fut des rébellions quasi cycliques, des trafics de tout genre, et plus récemment le phénomène de l’extrémisme violent armé. Il fut aussi victime des maux de la gouvernance avec son lot de corruption et de détournement de deniers publics. De ce fait, le grand nord devait faire l’objet d’une attention particulière.
Au lieu de cela, la gouvernance prit comme siège et comme application Bamako, en occultant l’immensité du territoire national. Le terrain est très peu investi, et des pans entiers furent délaissés.
Aujourd’hui, point d’autres perspectives que de placer la bonne gouvernance au cœur de toutes politiques institutionnelles. En appliquant le mieux possible l’Accord, tout en renouant avec les caractères clés d’un État sérieux et soucieux de bien-être de ses populations. Et lorsque le constat sera fait que l’État malien aura joué sa partition dans le processus de paix, il aura du crédit auprès de la communauté internationale, de la légitimité auprès des populations locales, et la coercition d’exiger que tous ceux qui seront sur son territoire respectent les lois de la République.
Ahmed M. Thiam