C’est sans appel : le rapport d’audit sur la mauvaise gestion au sein de la CMDT (Compagnie Malienne pour le Développement du Textile) qui a occasionné des irrégularités financières de 3,406 milliards FCFA (3 406 550 257 F) est, aujourd’hui, remis au goût du jour. Élaboré par le Bureau du Vérificateur Général (BVG), chargé de faire toute la lumière sur la gestion calamiteuse de ces fonds, ce dossier épingle le Pr Baba Berthé, Président Directeur Général (PDG) de la CMDT à l’époque des faits. Mais aussi, ses hommes. À l’issue de leurs investigations, les enquêteurs du BVG sont tombés, à leurs corps défendant, sur des zones d’ombre dans la gestion de ces 3,406 milliards de francs CFA.
Sorti du placard, ce dossier risque de sonner le glas pour l’ancien PDG de la CMDT, le Pr Baba Berthé et non moins ancien ministre de l’Agriculture. Avant d’envoyer ses complices en prison.
Bien fouillé par le BVG, ce dossier met à nu le contour, pour le moins, mafieux de la gestion des 3,406 milliards de nos francs à la CMDT, pendant les exercices 2017, 2018, 2019 et 2020.
À chaque rapport d’enquête, le même scénario : d’un côté, des voleurs de la république en rogne, soupçonnant le régime de « traficotage » des données. Et de l’autre, des cadres qui s’en défendent. Sans convaincre. Mais le dossier lié à la saignée financière de la CMDT de 2017 à 2020 et dont le montant s’élève à 3,406 milliards FCFA, risque de tourner au cauchemar pour l’ancien patron de la compagnie cotonnière du Mali, le Pr Baba Berthé ; nommé PDG de la boîte, le 12 octobre 2016 et relevé, le 11 novembre 2020.
Le rapport d’enquête du BVG sur la gestion de la CMDT, pendant les exercices 2017, 2018, 2019 et 2020, jure avec l’orthodoxie financière. En chiffre, la caisse de la CMDT, a subi une perte sèche de 3,406 milliards de francs CFA. Et les enquêtes ont permis de relever des dysfonctionnements aussi bien dans la gouvernance administrative de la société que dans la gestion comptable et financière. Au même moment, les travaux de vérification ont révélé que le PDG de la société, le Pr Baba Berthé, à l’époque des faits, s’est arrogé des attributions (prérogatives) dévolues à l’Assemblée Générale des actionnaires. Au titre de ces attributions (prérogatives) figurent la nomination des Administrateurs Généraux et l’utilisation irrégulière des ressources de la CMDT, sans l’autorisation des sociétaires. Ce qui, au regard de l’acte uniforme de l’OHADA, constitue un abus de biens sociaux. Quant aux procédures d’approvisionnement, elles sont incomplètes et ne donnent pas une indication précise sur le détail des tâches.
D’embrouilles en magouille
En 2019, le PDG de la CMDT, le Pr Baba Berthé, a attribué un marché à une société non consultée par la Direction des Approvisionnements. Pour s’assurer de la régularité et de la transparence de la procédure de passation des marchés, l’équipe de vérification a examiné un échantillon de marchés retenu ainsi que les pièces y afférentes, notamment la liste des soumissionnaires retenus par la CMDT ainsi que leurs offres, les PV d’ouverture des offres et les rapports d’analyse technique et copie des lettres de notification.
Du coup, les enquêteurs ont décelé que le PDG de la CMDT, le Pr Baba Berthé, au moment des faits, a passé un marché avec une entreprise qui n’avait pas été consultée par la commission des appels d’offres. En effet, la Direction des Approvisionnements dans le cadre de l’appel d’offres n°23/2019/DA pour la fourniture des matériels informatiques complémentaires, a établi, une liste de six sociétés à consulter, validée par le PDG et sur laquelle figure la société MK services. À l’ouverture des offres, le 13 septembre 2019, la commission des appels d’offres a accepté en lieu et place des offres de MK services, les offres du groupe Kaoural et la commission technique l’a même retenue comme titulaire du marché N°70/2019/DA, objet de l’appel d’offres sur la base de la lettre en date du 09 août 2019 envoyée par le gérant de la société MK service au PDG de la CMDT. Ladite lettre demandait au PDG de remplacer sa société individuelle « MK- services » soumissionnaire à l’appel d’offres restreint par celle du groupe de société « groupe Kaoural Sarl ». Selon les conclusions de l’équipe de vérification, ce marché attribué par le PDG Baba Berthé et exécuté par le groupe Kaoural est une dépense irrégulière en dehors de toute procédure. Le montant dudit marché s’élève à 16 182 000 FCFA.
Plus grave encore, le PDG Baba Berthé a attribué un marché inéligible aux ressources de la CMDT. Ainsi, dans le but de s’assurer que les ressources de la CMDT sont utilisées en fonction des besoins et conformément à l’intérêt de celle-ci, les enquêteurs du BVG ont examiné les marchés passés par la société cotonnière du Mali. Ensuite, ils ont échangé avec les responsables de la Direction des approvisionnements. Du coup, l’équipe de vérification a constaté que le PDG de la CMDT a irrégulièrement passé et fait exécuter le marché n°02-2018/DA relatif aux travaux de construction de trois salles de classe, un bureau-magasin, un bloc de trois latrines et les équipements à Sougomba, et à Azangousso. En effet, ledit marché n’a pas été autorisé par les actionnaires de la société et l’objet est contraire aux types de besoins et à l’intérêt de la compagnie. Le montant total du marché s’élève à plus de 80 millions de nos francs (80 660 546 FCFA).
Des entorses à l’orthodoxie financière
De 2017 à 2020, soit 3 ans de gestion, le Directeur des Approvisionnements de la CMDT n’a pas appliqué la pénalité de retard conformément aux clauses contractuelles. Les articles 12,13, 14 et 15 des marchés dont l’exécution a pris un retard et qui ont fait l’objet d’application de pénalité par la CMDT, stipulent : « Pour le seul fait de l’expiration du délai de livraison, le fournisseur est passible, sans mise en demeure, de pénalités pour retard. Le montant de la pénalité sera calculé sur la base de 1/3000 par jour calendaire de retard du montant des produits non livrés à partir de la date de livraison contractuelle ».
Afin de s’assurer du respect des délais contractuels par les titulaires des marchés, l’équipe de vérification, a examiné les dossiers d’appels d’offres, les contrats de marchés et les procès-verbaux de réception. Elle a ensuite examiné les fiches de calcul des pénalités et le tableau récapitulatif de pénalités de retard fournis par la CMDT. Elle a rapproché les dates de réception prévues aux dates de réception effective et procédé au calcul des pénalités sur la base des montants représentant la partie non livrée des marchés dont l’exécution a pris du retard. Elle a fait ce travail pour seulement les premières livraisons.
À l’issue de ces travaux, elle a constaté que, dans le cadre de l’exécution des marchés, des titulaires ont dépassé les délais contractuels sans que le Directeur des Approvisionnements n’ait appliqué les pénalités de retard conformément aux clauses contractuelles. En effet, au lieu d’appliquer les pénalités de retard sur le montant correspondant à la partie non livrée du marché, il retient comme base de calcul le montant représentant la partie du contrat livrée, qui est toujours inférieure à celui de la partie non exécutée. Le montant total des pénalités de retard non retenues sur les premières livraisons s’élève à 82,3 millions de FCFA (80 82 333 300F).
Au même moment, le Directeur Financier et Comptable de la holding et les chefs de service financier et comptable des filiales Sud et Nord-Est ont minoré le montant du droit proportionnel de la patente. Sur ce plan, les articles 130, 134 138 et 140 de la Loi n°06-067AN-RM du 29 décembre 2006 portant Code Général des Impôts sont clairs.
Cependant, l’équipe de vérification, dans le but de s’assurer que la CMDT et ses filiales procèdent au paiement régulier et intégral de la patente, a examiné la balance générale des comptes, les fichiers des immobilisations, les formules de patente ainsi que les reçus de paiement de la période sous revue délivrés par les services des impôts pour la Holding et les filiales de Sikasso et de Koutiala. L’équipe a également procédé au calcul des montants dus sur la base des balances générales des comptes et des fiches des immobilisations. Ensuite, elle a procédé à un rapprochement entre les montants du droit proportionnel figurant sur les formules de patentes et ceux qu’elle a calculés.
Du coup, il ressort que le Directeur Financier et comptable de la CMDT ainsi que les chefs de service financier et comptable des filiales sud (Sikasso) et du nord-est (Koutiala) minorent le montant du droit proportionnel de la patente. En effet, ils ne procèdent pas à l’intégration de l’ensemble des actifs d’exploitation entrant dans la base de calcul du droit proportionnel de la patente. Les montants de droit proportionnel figurant sur les formules de patentes sont substantiellement inférieurs aux montants des droits dus. Pour la holding, les montants du droit proportionnel figurant sur les formules de patente s’élèvent à plus de 5 millions de nos francs (5 243 671 FCFA) pour la période sous revue alors que les montants dus s’élèvent à 206,6 millions FCFA (206 655 218 F), soit un écart de plus de 200 millions (201 411 547 FCFA). À la filiale sud à Sikasso, les montants du droit proportionnel figurant sur les formules de patente s’élèvent à 360,9 millions de nos francs (360 8924 736 FCFA) pour la période sous revue alors que les montants dus s’élèvent à plus de 983 millions (983 355 683 FCFA), soit un écart de 622,4 millions (622 430 947 FCFA). À Koutiala, le montant du droit proportionnel inscrit sur les formules de patentes s’élève à plus de 162 millions FCFA (162 766 468 F) alors que le montant total dû représente plus de 555 millions de nos francs (555 177 666 FCFA), soit un écart de 392,4 millions FCFA (392 411 198 F). Le montant total des minorations de patentes pour les trois sociétés et pour la période sous revue s’élève à 1,2 milliard de nos francs (1 216 253 692 FCFA).
Par ailleurs, le PDG Baba Berthé et le Directeur Financier et Comptable n’ont pas procédé au paiement intégral des droits de sortie du coton et de la contribution générale de solidarité. En effet, l’équipe de vérification a examiné les états financiers, les balances générales des exercices 2018, 2019, 2020 ainsi que les reçus de paiements. Sur la base de ces documents, les enquêteurs ont procédé à la reconstitution des droits de sortie du coton et de la contribution générale de solidarité, et a ensuite rapproché les montants payés aux impôts par la CMDT aux montants reconstitués par elle, sur la base des quittances de paiement.
À l’issue de ces travaux, l’équipe de vérification a constaté que la CMDT n’a pas payé l’intégralité des droits et impôts dus. Le montant total des droits et impôts non payés s’élève à 229,7 millions de nos francs (229 727 852 FCFA) au titre des droits de sortie de coton et 994,3 millions FCFA (994 360 202 F) pour la contribution générale de solidarité.
Et comble de la « bouffecratie » à la CMDT pendant la période sous revue, Le PDG Baba Berthé a irrégulièrement accordé des appuis financiers.
Pour s’assurer que le PDG Baba Berthé de la CMDT, pendant les exercices 2017,2018 2019 et 2020, accorde les appuis financiers conformément aux dispositions de l’Acte uniforme de l’OHADA, les enquêteurs du BVG ont demandé la situation desdits appuis, examiné la balance générale des comptes et le grand livre de la période sous revue. Elle a ensuite examiné les pièces justificatives des appuis accordés et s’est entretenue avec les responsables de la CMDT. Ils ont constaté que le PDG, le Pr Baba Berthé, a irrégulièrement autorisé le paiement des appuis financiers à lui-même ; à des autorités administratives ; à l’APCAM (Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture du Mali) ; à des départements ministériels et à des tiers. Le montant total des appuis financiers irrégulièrement accordés par le PDG Baba durant la période sous revue s’élève à plus de 259 millions de francs CFA (259 597 412 F).
S’agissant de l’accord des avantages, à en croire le rapport d’enquête du BVG, le PDG Baba Berthé et les syndicats, ont irrégulièrement endetté la CMDT pour le compte du personnel. Les enquêteurs ont constaté que la CMDT a inscrit dans sa comptabilité de multiples prêts accordés au personnel par les banques depuis plus de 5 ans et pour lesquels le Directeur Financier et Comptable n’a pu fournir aucune preuve de remboursements. Le montant total des prêts garantis au profit du personnel s’élève à 588,8 millions FCFA (588 822 563 F).
En bloc, la gestion de la CMDT a engendré des irrégularités financières de plus de 3 milliards de francs CFA (3 406 550 257 F) pendant les exercices 2017, 2018, 2019 et 2020. D’où une dénonciation de faits du Vérificateur Général au Procureur de la république, afin que l’ancien PDG de la CMDT, le Pr Baba Berthé et sa bande rendent ce qui n’est pas à eux : des sous perçus à l’issue des attributions irrégulières de marchés et aux paiements indus de millions à des coquins et coquines. En clair, ces dénonciations de faits à la justice par le Vérificateur général portent : sur la passation et le paiement irrégulier du marché n°70-2019/DA relatif à la fourniture de matériels informatiques complémentaires pour 16 182 000 FCFA ; sur la passation et au paiement du marché n°2-2018/DA inéligible aux ressources de la CMDT relatif à la construction de salles de classes et de latrines à Soungoumba et Zangousso pour 80 660 546 FCFA ; sur la minoration des pénalités de retard pour 82 333 300 FCFA ; sur la minoration des patentes au niveau de la Holding pour 201 411 547 et des filiales sud de Sikasso pour 622 430 947 et Nord-est de Koutiala pour 392 411 198 FCFA ; sur la minoration des droits de sortie du coton et de la contribution générale de solidarité pour 1 162 700 744 FCFA ; sur l’octroi irrégulier d’appuis financiers pour 259 597 412 FCFA ; et sur les prêts irrégulièrement accordés au personnel de la CMDT et non remboursés pour 588 822 563 FCFA.
Un scandale fumant
Mais, pour nos sources, ce sont ces situations pour le moins accablantes que la Justice s’apprête à sortir du placard.
Selon nos sources, généralement, bien informées, il s’agira pour la Justice malienne de faire toute la lumière sur la gestion du Pr Baba Berthé à la tête de la CMDT. Une gestion en proie à l’opacité.
Élaboré, par des Experts en matière de contrôles financiers, le rapport d’enquête du BVG épingle plusieurs cadres de la CMDT, dont le Pr Baba Berthé, PDG de la holding, à l’époque des faits.
À en croire nos sources, le Pr Baba Berthé se serait léché les babines au passage du magot. Si ces accusations s’avèrent fondées, elles risquent de sonner le glas de la carrière du Pr émérite. Ou, à tout le moins d’entacher sa crédibilité.
En février 2020, notre confrère du journal « Mali Tribune » titrait à la une : « Scandale à la CMDT : Le PGD Baba Berthé, la source d’une nouvelle hémorragie financière ». Il ne croyait pas si bien dire. Il s’agissait, en réalité, de la mauvaise gestion à ciel ouvert au sein de la compagnie cotonnière du Mali.
Plus grave, lors de cette gestion, les caisses de la CMDT ont coulé comme le fleuve dans son lit. À coup de milliards. Il s’agit, notamment des irrégularités financières se chiffrant à 3,406 milliards FCFA.
Grosso modo, le rapport de vérification, indique que, la gestion du Pr Baba Berthé à la tête de la CMDT, n’a pas été transparente, encore moins libre.
En attendant, l’éminent Pr de Droit, Baba Berthé risque gros. Très gros. Ses hommes aussi. Accablant.
Jean Pierre James