Dans les lignes qui suivent, le président du comité scientifique du Groupe de réflexion, d’action et d’initiatives novatrices (Grin) revient sur la récente reprise de Kidal par les Forces de défense et de sécurité. L’ancien ministre chargé de la Fonction publique aborde également l’avenir du processus de paix et la crise énergétique dans notre pays
L’Essor : Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique de votre pays ?
Mamadou Namory Traoré : Nous sommes dans une période de Transition. Nous devons tout faire pour en sortir. C’est vrai qu’il n’y a pas de problème de contestation politique majeure. Il ya comme une espèce de consensus autour des autorités de la Transition, mais cela ne nous empêche pas d’aller de l’avant. On a adopté une nouvelle Constitution, il faut maintenant la mettre en application. Et pour cela, il faut organiser les élections.
Il faut mettre en place les institutions qui sont définies dans la Constitution, notamment un président démocratiquement élu, l’Assemblée nationale, un Sénat et toutes les autres institutions prévues notamment la Cour des comptes pour laquelle je fais une mention spéciale. C’est une exigence de l’Uemoa. Le Mali est l’un des deux pays qui n’ont pas encore mis en place cette institution.
C’est une occasion de satisfaire cette exigence. Donc, pour me résumer, le contexte sociopolitique n’est pas dégradé. Il y a un consensus autour des autorités de la Transition mais, en même temps, cela n’empêche pas d’évoluer et d’aller vers les élections pour concrétiser la 4ème République qui doit être dotée d’institutions représentatives de l’ensemble de la Transition. population malienne.
L’Essor : Les Forces de défense et de sécurité ont repris, mardi dernier, Kidal, après une longue période d’absence de l’État dans cette région. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Mamadou Namory Traoré : Il est vrai que dans un pays normal, le monopole de la violence appartient à l’État. Cela est incontestable. Donc, un État qui se respecte doit faire respecter ce principe et c’est normal que les Forces de défense et de sécurité s’installent partout où elles sont jugées nécessaires pour défendre l’intégrité territoriale, assurer la paix et la sécurité. Mais Kidal, effectivement, est un symbole. C’était le fief de la rébellion. C’est vrai que pendant des années, l’État malien était absent de Kidal. Malgré tous les efforts et tous les accords signés, on n’a pu mettre fin à cette rébellion.
Si par les armes, l’État arrive à s’installer à Kidal, c’est une réussite, mais ce n’est pas la fin. Parce qu’en réalité, on peut gagner la guerre par les armes, mais pour gagner la paix, il faut autre chose. Il faut que l’État démontre qu’il est au service de toute la Nation, de tous les citoyens, c’est-à-dire aussi bien les gens du Sud que celles du Nord. Les Bambara, les Peuls, les Sarakolés et les Touareg dont la majorité d’ailleurs n’est pas sécessionniste. Mais même les sécessionnistes, il faut qu’ils décident s’ils font partie de la République ou pas. S’ils font partie de la République, l’État doit être à leur service.
Pour cela, il faut que l’État démontre qu’il est capable non seulement d’assurer la paix mais aussi de délivrer les services sociaux de base : la santé, l’éducation… et en même temps, toutes les actions de développement qui permettre à chaque citoyen de réaliser son potentiel. Il faut que ce soit un État de droit, respectueux des droits de l’Homme et en même temps un État inclusif, c’est-à-dire un État qui ne fait pas la différence entre ses citoyens. Cela est la prochaine bataille pour la paix.
Il faut qu’à Kidal, on apporte les services sociaux de base et l’inclusion dans les activités de développement socio-économique. Et il faut qu’à Kidal, on arrive à gagner les cœurs pour que tout le monde adhère aux actions de l’État. Et cela est un processus qui doit commencer maintenant, c’est-à-dire qu’il ne faut pas s’imaginer que quand on gagne la guerre, on a gagné la paix, non. On a gagné la guerre, mais il faut aussi gagner la paix.
L’Essor : Quel avenir pour le processus de paix dans notre pays, notamment la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issue du processus d’Alger ?
Mamadou Namory Traoré : C’est vrai que l’Accord a toujours été pris en suspicion par une large majorité de la population. Certains y voyaient un processus conduisant inéluctablement à la partition du pays. Cela est une interprétation des choses, mais il est vrai que certaines parties de l’Accord étaient ambiguës. On a mis les gens autour de la table mais chacun avait son interprétation des choses. Maintenant que l’État s’est installé à Kidal, est-ce qu’on doit parler encore de l’Accord ?
On doit parler plutôt d’un État qui intègre toute la population. Maintenant si les organisations, qui détiennent encore les armes, acceptent de les déposer et faire confiance à l’État, tout est possible. On peut se mettre toujours autour d’une table pour dire quelles sont les revendications. Toutes les revendications peuvent se discuter dans un cadre institutionnel, républicain et on voit ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas.
Mais ce qui n’est pas négociable, évidemment, c’est l’intégrité territoriale, la partition du pays et un régime non démocratique. Parce qu’il faut reconnaître que dans cette partie du pays, il y a une espèce de féodalisme qui ne dit pas son nom. Les règles démocratiques doivent être appliquées, notamment à la faveur des élections à venir.
Quand les élections vont venir, il faut que ce soit une personne, une voix et que tous ceux qui veulent se présenter puissent le faire. Une fois que cela est réalisé, il n’y a plus de problème ou d’Accord d’Alger. Il faut que les gens se, que chacun dise ses aspirations et accepte que c’est l’État qui détient le monopole de la violence. Une fois que cela est accepté, il n’y a plus rien à faire.
Propos recueillis par
Bembablin DOUMBIA