Comme si elle n’était pas consciente que l’actuelle transition essaye de réparer les maux engendrés par sa gestion catastrophique ces trois dernières décennies, la classe politique (du moins une composante non négligeable) s’acharne à vouloir bloquer les réformes au lieu de se remettre en question pour mieux rebondir après la transition. Malgré la refondation enclenchée, est-on alors à l’abri d’un retour à la case-départ après cette transition (retour à l’ordre constitutionnel) et avec une classe politique incapable de se remettre en cause et dont certains acteurs majeurs continuent de croire que notre destin est inexorablement lié à la générosité de «grandes puissances» ?
«Une classe politique puérile et stérile» qui refuse de procéder à «une sérieuse autocritique de ses positions peu intelligentes durant ces dernières décennies» ! C’est le tableau peu reluisant qu’un confrère (Fanfan) a peint de la classe politique malienne la semaine dernière. Il rebondissait ainsi sur les flèches lancées aux politiciens maliens par le président Emmanuel Macron de la France lors de la présentation de sa nouvelle stratégie en matière de politique africaine.
«Nous avons pourtant, malgré nous, assumé une responsabilité exorbitante. Cela nous vaut aujourd’hui d’être l’objet, par amalgame, du rejet qui frappe une classe politique malienne qui a échoué à redresser son pays», a déclaré Emmanuel Macron lors de son One man show (conférence de presse) du 27 février 2023. Pour une fois, le président français a oublié la «junte de Bamako» pour indexer la classe politique comme responsable de la situation actuelle du pays. Autrement pour Macron, la France paye les pots cassés de l’échec de la classe politique malienne à redonner espoir aux Maliens par une prise en charge efficiente de leurs préoccupations.
Il est vrai qu’il y a une grande part de démagogie dans cette accusation de la part d’un président en perte de terrain en Afrique et qui cherche à y redorer son blason par tous les moyens. Mais, il y a aussi une grande part de responsabilité de la classe politique issue du Mouvement démocratique qui n’a jamais su réellement incarner la lutte héroïque du peuple malien et qui s’est illustrée par cette mauvaise gouvernance ayant progressivement conduit notre pays vers le chaos. D’ailleurs, la timide réaction de nos politiciens à cette accusation de Macron prouve une certaine gêne à nier l’évidence. Même Mohamed Ali Bathily a reconnu (samedi dernier devant la presse, «Macron n’a dit que la vérité concernant la classe politique malienne» !
«Le soutien de la France aux élites corrompues est à l’origine des difficultés actuelles de la France en Afrique», s’est par contre défendu Konimba Sidibé, président du MODEC. Et de poursuivre, «Macron n’a toujours pas compris que c’est cette politique africaine de la France de soutien aux élites corrompues pour l’accès au pouvoir et son exercice contre les intérêts du peuple malien, tout en sauvegardant les intérêts néo-coloniaux, qui est à l’origine des difficultés actuelles de la France en Afrique».
Plus tentés de noyer le poisson que de remettre Macron à sa place
Pour Dr Modibo Soumaré, président du Cadre des partis pour le retour à l’ordre constitutionnel, «il y a des sujets beaucoup plus utiles que ces propos de Macron. Mais ce qu’il faut dire, c’est que la classe politique française a aussi échoué à redresser ou même à transformer la France. L’exemple de la réforme sur les retraites en est l’exemple éloquent. Les défilés des gilets jaunes, il y a un an…». Les réactions de Konimba Sidibé et du Dr Soumaré ressemblent beaucoup plus à une volonté de noyer le poisson.
Les arguments avancés ne contredisent en rien les accusations de Macron. Si les dirigeants occidentaux, français notamment, infantilisent nos élites et nos décideurs, c’est parce qu’ils prêtent le flanc. Vous allez voir dans quelques mois, les leaders de la classe politique vont commencer à squatter les abords de l’Elysée et du Quai d’Orsay pour se faire adouber et valider leur candidature à la présidentielle. Combien d’entre eux nourrissent la ferme conviction qu’ils n’ont pas besoin de la bénédiction de l’Hexagone pour être élus ?
Curieusement, la réaction la plus responsable aux propos dégradants de Macron est venue de la girouette qui se fait régulièrement ridiculiser par le VAR politique : Issa Kaou Djim ! «…J’aurais souhaité que la classe politique accepte de se mettre ensemble pour faire notre propre autocritique. Cela n’est pas une faiblesse. Je ne veux pas être prétentieux. Mais, je pense que tous les acteurs politiques doivent se mettre ensemble pour sauver l’essentiel. Ça nous mettra en position de force pour répondre éventuellement avant de passer aux actes. Je pense que la meilleure réponse est le résultat». Et aujourd’hui, a-t-il rappelé, «le résultat qu’il faut est de barrer la route au CNSP dans sa volonté de confisquer le pouvoir. Tout le reste, c’est de la diversion».
Se remettre en question, tirer les enseignements du passé et prouver qu’elle sera à la hauteur pour poursuivre la mission de refondation entreprise par la transition ! Voilà ce que les Maliens attendent de la classe politique comme rédemption ! «Les dirigeants doivent essayer de bien se comporter pour que ceux qui soutiennent soient plus nombreux que ceux qui critiquent en organisant notre pays, les institutions, les textes, le système, l’Etat», a souligné l’ancien Premier ministre Moussa Mara lors de la conférence nationale du parti Yelema organisée au CICB le 5 mars 2023.
Préoccupés par le partage du pouvoir que par la satisfaction des préoccupations des Maliens
Bien se comporter pour mériter la confiance et l’estime du peuple ! Cela a été la quadrature du cercle pour nos responsables politiques depuis l’avènement de la démocratie. Quelle a été la principale préoccupation de la majorité d’entre eux ces dernières années ? C’est participer à la gouvernance du pays devenue un partage de gâteaux ! Mara qui parle d’exemplarité n’a pas hésité à trahir le vote des populations de la Commune IV en sacrifiant son fauteuil de maire pour être ministre. Il est vrai que cela lui a réussi puisqu’il est devenu Premier ministre par la suite ! Mais, pour quel résultat au finish ?
Combien de responsables de partis ont refusé de siéger dans les gouvernements de feu Ibrahim Boubacar Kéita parce que, comme l’a dénoncé Konimba Sidibé, Macron l’a félicité «après sa réélection avant même la validation de la Cour constitutionnelle par mépris pour cette Cour, pour la classe politique et le peuple malien qui contestaient cette réélection et sa gouvernance du pays, ainsi que pour tous ceux qui sont attachés à la démocratie et l’Etat de droit» ?
De l’avènement de la démocratie aux événements du 18 août 2023, quel est le politicien malien qui a eu le courage d’opter de son plein gré pour l’opposition politique ? A part bien sûr feu Soumaïla Cissé qui avait un idéal et une conviction politique ! Toute l’agitation de nos opposants de circonstance, qui assimilent l’opposition à une descente aux enfers, ne vise qu’à forcer la main au régime pour rentrer au gouvernement. Une fois qu’ils ont un strapontin, ils deviennent doux et inoffensifs comme un agneau. C’est pourquoi, même pendant cette transition, ils persistent dans ce honteux chantage politique en revendiquant un gouvernement d’union nationale.
Comment faire confiance à des hommes qui se réclament politiciens dont la seule ambition politique est de siéger dans un gouvernement ? Peut-on attendre de politiciens habitués à se nourrir du sang du peuple (se servir et non servir) une gouvernance vertueuse qui doit être la finalité de toutes les réformes entreprises pendant cette transition ? Rien n’est moins sûr ! Cela d’autant plus que cette classe politique ne montre aucun signe réconfortant de faire l’autocritique indispensable à sa rédemption. Et comme le dit souvent ma consoeur Magassouba Awa Sylla, «la seule façon de diriger les gens est de leur montrer un avenir car un leader est un marchand d’espoir». Malheureusement, nos supposés leaders politiques ont du mal à incarner un tel leadership !