De Kurukanfuga à la tribune des Nations-Unies, la grande marche du Mali et du Mandé vers la liberté et la dignité suit son cours. Dès l’aube des indépendances, la France appuyée par le bloc occidental avait fait le pari de produire pour les anciennes colonies des dirigeants assimilés et corrompus, véritables nègres de service.
C’est pourquoi tous les leaders africains qui avaient affiché une ambition souverainiste ont été combattus sans répit : Patrice Lumumba, Sylvanus Olympio, Kwamé N’Krumah, Sékou Touré, Modibo Kéita, Amilcar Cabral et plus récemment Muhammar Kadhafi. Si la lutte contre le communisme avait servi d’alibi au temps de la guerre froide, avec la chute du mur de Berlin la politique néocoloniale va apparaître dans toute son arrogance et sa laideur. Comment s’en étonner lorsqu’on connaît les raisons profondes de la conception, la mise en œuvre et l’exécution de la nébuleuse aventure coloniale ?
En effet, les anciens pays colonisateurs n’ont jamais accepté que l’homme africain, le noir, puisse s’émanciper et se conduire en être pensant et responsable. Certains présidents africains choisis sur mesure ont malheureusement contribué à donner du crédit à cette thèse loufoque teintée d’un profond mépris. Ainsi, en parlant de l’esclavage des nègres dans « L’esprit des Lois », Montesquieu persifle et ironise les esclavagistes : « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir ». Et que dire du manque de relativisme qui transpire abondamment dans les « Lettres Persanes » ? Pour couronner le tout, un homme d’Etat français, le nommé Jules Ferry, n’a-t-il pas justifié au 19ème siècle la colonisation par le devoir pour les races supérieures de civiliser les races inférieures ? Les héritiers de Jules Ferry qui sont légion en Occident ne font qu’emboucher la même trompette, se contentant de changer d’habillage par endroits et par moments.
Même si les présidents qui se sont succédés à la tête de l’Etat malien de 1992 à 2020 n’ont pas lu Sénèque, ils savent tous ce qu’est le stoïcisme dont Assismi Goïta vient de nous sortir avec brio et sans aucune ambiguïté. Les maliens qui ne sont pas dupes savent pertinemment que la solution aux questions de développement ne viendra jamais ni de Paris ni des autres capitales occidentales qui vivent du système de prédation colonial et ont intérêt à son maintien ad vitam aeternam. En assassinant Kadhafi et en déstabilisant la Libye avec comme objectif l’implantation du terrorisme dans le Sahel, les bornes ont été franchies. A titre de rappel, le terrorisme contemporain est d’abord l’œuvre des mouvements d’extrême gauche des années 1970-80 et il est d’inspiration révolutionnaire pour contester l’ordre établi.
Un basculement important va se produire en pleine guerre froide en 1979, quand les Etats Unis ont soutenu et encouragé les combattants afghans contre les Soviétiques, alors même que les oulémas qui prônent le Jihad contre les Soviétiques sont du courant Salafiste ou Wahhabite. Les Soviétiques quittent l’Afghanistan en 1989. Les combattants afghans ainsi que d’autres aventuriers aguerris et désœuvrés vont porter le Jihad ailleurs au gré des fortunes. Lorsque les Etats Unis attaquent l’Irak en 2003 après les évènements tragiques du 11 septembre 2001, le terrorisme flambe au Moyen Orient et devient difficile à maîtriser. Pour protéger les intérêts occidentaux, il fallait trouver le moyen de détourner les terroristes vers d’autres cieux et l’attaque de la Libye va les conduire au Sahel. Le reste de l’histoire est en train de s’écrire en lettres de sang sous les ailes d’une actualité macabre. Ce terrorisme n’est donc pas une génération spontanée.
Les terroristes qui sévissent dans le Sahel étant des instruments au service d’une recolonisation à peine voilée, d’autres choix de partenaires et d’options s’imposent aux pays ciblés pour être déstabilisés. L’industrie chinoise qui était taxée d’imiter grossièrement et de ne produire que de la pacotille brille désormais au firmament du commerce mondial. L’ours soviétique qu’on croyait à l’article de la mort a donné naissance à la Russie qui, militairement est devenue le cauchemar de l’Occident. Leur alliance stratégique avec d’autres pays émergents au sein du BRICS ouvre la voie à une nouvelle offre qui se positionne comme une alternative aux institutions de Breton Woods. Quelle aubaine pour les pays appauvris et endettés à dessein !
En Afrique, les « damnés de la terre » longtemps tenus à la gorge et dépenaillés sont en train de se réveiller, annonçant des moments d’incertitude pour leurs propres dirigeants. La France métropolitaine qui avait pu s’appuyer sur des politiciens chevronnés et sur ses affidés dans les anciennes colonies était parvenue facilement à faire main basse sur celles-ci. Aujourd’hui, le mal est en train de revenir à sa source. Les « missi dominici » de la France sont plus que discrédités auprès des peuples africains, tandis que l’offre politique en France même est devenue si médiocre après Mitterrand et Chirac que leurs successeurs peinent à s’imposer et à se faire respecter sur la scène internationale. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, dit-on. Tant pis pour elle si la France ne change pas rapidement de logiciel, mais comment pourrait-elle le faire en restant aussi dépendante de l’OTAN, prête à la broyer dès qu’elle tentera d’en sortir ?
Mahamadou Camara