La junte au pouvoir au Mali a annoncé, jeudi 25 janvier, la « fin avec effet immédiat » de l’accord pour la paix et la réconciliation d’Alger. Dans un communiqué lu à la télévision d’État par le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement installé par les militaires, a invoqué tour à tour, « le changement de posture de certains groupes signataires », mais aussi « les actes d’hostilité et d’instrumentalisation de l’accord de la part des autorités algériennes, dont le pays est le chef de file de la médiation ». Mais où en était la mise en ?uvre de cet important texte censé stabiliser le Mali ?
Dans quel contexte avait été signé cet accord ?
Le nord du Mali était tombé en mars-avril 2012 sous la coupe de groupes djihadistes liés à Al-Qaïda, dont Ansar Dine. Ils avaient coupé le pays en deux pendant neuf mois. Ces djihadistes ont été dispersés et, en grande partie, chassés par une intervention militaire internationale lancée en janvier 2013 à l’initiative de la France, qui a décidé de traiter la crise en deux volets, l’un politique délégué à l’Algérie et le second militaire avec l’opération Serval puis Barkhane.
Après des années de négociations, en juin 2015, le gouvernement malien et deux coalitions de groupes armés issus du nord du pays, la Plateforme, alliée au gouvernement de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), fédération de mouvements entrés en rébellion contre l’État, signaient, à Bamako, un accord pour restaurer la paix et la réconciliation au Mali. Le texte définitif avait été adopté aux forceps sous l’égide d’une médiation internationale dont l’Algérie était la cheffe de file avec d’autres parties comme la France ou la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).
Que prévoyait-il ?
L’accord prévoyait notamment de rétablir la paix au Mali par une « régionalisation », avec notamment la création d’assemblées régionales dotées de pouvoirs importants, élues au suffrage universel direct. Mais sans autonomie ni fédéralisme. Au c?ur du texte également, la création d’une armée reconstituée intégrant ceux qui avaient fait partie des groupes armés signataires, ainsi que le redressement de l’autorité de l’État, et des mesures socio-économiques en faveur du développement, autant de sujets considérés comme des composantes politiques indispensables à une sortie de crise au Mali, en plus de l’action purement militaire.
Huit ans après, où en est la mise en œuvre ?
Aujourd’hui, cet accord est moribond. Cette double approche s’est heurtée à de dures réalités sur le terrain. D’un côté, si l’ex-rébellion indépendantiste a cessé ses combats avec l’accord de paix de 2015, les djihadistes continuent, eux, de combattre l’armée malienne et leurs violences se sont propagées au centre du Mali, ainsi qu’au Burkina Faso et au Niger voisins. De l’autre, le volet politique formalisé dans l’accord de 2015 s’est trouvé paralysé, aucune réforme n’ayant pu être mise en place tandis que les ex-séparatistes, non désarmés, se sont renforcés et dominent aujourd’hui militairement le septentrion malien.
Et la prise de pouvoir par les militaires en 2020 n’a rien arrangé : les tensions se sont renforcées entre l’État central et les groupes en question. Elles ont été accentuées avec d’abord le départ l’an dernier des troupes françaises, dont ne voulait plus la junte au pouvoir à Bamako, puis le retrait de la mission de l’ONU déployée au Mali depuis 2013, également poussée au départ par les autorités maliennes. Les groupes armés se sont opposés à ce que les camps de la mission soient transférés à l’armée malienne, sur fond de rivalité pour le contrôle du territoire.
Comment expliquer la reprise des hostilités ?
L’accord a été considérablement mis à mal ces dernières années, et il devenait difficilement défendable, depuis la reprise des affrontements entre des groupes indépendantistes à dominante touareg du Nord, l’État central et l’armée malienne. Le coup d’accélérateur a été donné le 31 décembre 2023, lorsque le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, a annoncé, lors de ses v?ux de Nouvel An, la mise en place d’un « dialogue direct intermalien », une annonce loin d’être anodine, puisque ce dialogue, qui doit permettre l’« appropriation nationale du processus de paix » et d’« éliminer les racines des conflits communautaires et intercommunautaires », se fera sans aucune médiation internationale, contrairement à l’accord d’Alger. Il faut dire que cette prise de position du colonel Assimi Goïta intervient dans un climat de profonde dégradation des relations entre le Mali et son voisin algérien.
Dans son allocution de jeudi, le colonel Maïga a également pointé le rôle de l’Algérie, en affirmant que le gouvernement « constate avec une vive préoccupation une multiplication d’actes inamicaux, de cas d’hostilité et d’ingérence dans les affaires intérieures du Mali par les autorités » algériennes, a-t-il souligné. Avant de dénoncer « une perception erronée des autorités algériennes, qui considèrent le Mali comme leur arrière-cour ou un État paillasson, sur fond de mépris et de condescendance ». Bamako reproche notamment à Alger d’héberger des bureaux de représentation de certains groupes signataires de l’accord de 2015 que la junte considère désormais comme « des acteurs terroristes ».