Des historiens sénégalais ont minimisé vendredi la portée de la reconnaissance par le président français Emmanuel Macron du massacre de tirailleurs africains par des troupes coloniales en 1944, sur lequel ils mènent des recherches pour établir la vérité.
« La qualification de massacre de la part du président Macron, cela relève d’une évolution sémantique. Mais les faits sont là, les faits sont constants: dès 44, il était établi qu’il s’agissait d’un massacre », a déclaré devant la presse à Dakar Mamadou Fall, membre du comité chargé d’établir les faits survenus le 1er décembre 1944 à Thiaroye et d’organiser la commémoration dimanche pour le 80ème anniversaire.
Les forces coloniales ont ouvert le feu ce jour-là sur des tirailleurs africains rapatriés après avoir combattu avec l’armée française et stationnés au camp militaire de Thiaroye.
Les tirailleurs réclamaient le paiement de leurs arriérés. Les autorités françaises de l’époque ont fait état d’au moins 35 morts. Plusieurs historiens avancent un nombre de victimes bien plus élevé, jusqu’à plusieurs centaines. De nombreuses zones d’ombre subsistent, sur le nombre de morts ou les circonstances du drame.
Les nouvelles autorités sénégalaises entrées en fonction en avril avec le souverainisme, le panafricanisme et la justice sociale pour mantras ont décidé de donner aux commémorations un relief qu’elles n’ont jamais eu.
L’approche du 80ème anniversaire a vu proliférer les griefs à l’encontre de l’ancienne puissance coloniale puis alliée historique, les accusations de dissimulation de l’histoire et les demandes de reconnaissance d’un massacre.
L’ancien président français François Hollande avait parlé en 2012 et 2014 au Sénégal de « répression sanglante ».
Le président français Emmanuel Macron a accédé aux attentes sénégalaises en parlant de « massacre » dans une lettre à son homologue sénégalais Bassirou Diomaye Faye.
« Pourquoi doit-on s’occuper de la France? », a demandé l’historien Mamadou Diouf, président du comité de commémoration, « ils s’occupent de (leurs) intérêts, quand il a fallu parler de massacre ils ont dit non. Maintenant ils se rendent compte sous la pression (qu’ils) n’ont pas le choix ».
Une autre historienne membre du comité, Rokhaya Fall, a jugé la reconnaissance inévitable: « Il fallait sentir cela venir, c’est ce qui doit être ».
Les historiens se sont gardés de voir dans cette reconnaissance une preuve de bonne volonté de l’Etat français pour établir les faits.
« Que la France soit de bonne foi ou non pourquoi ce serait notre problème ? Nous, ce qui nous intéresse, c’est la vérité (…) la France fait partie de la conversation, c’est tout », a dit M. Diouf.
Rokhaya Fall et Mamadou Fall ont pris part du 19 au 28 novembre à une mission d’historiens, d’archivistes et de documentalistes en France pour consulter les archives. Des chercheurs ont accusé la France de dissimuler ou de manipuler les archives relatives à Thiaroye.
« L’ouverture des autorités françaises à notre endroit a été manifeste, ils ont fait preuve de beaucoup de bonne volonté », a déclaré Mamadou Fall. Mais « il y a beaucoup de documents que nous avons demandés et on nous a fait comprendre que ces documents ne sont pas encore communicables du fait du secret défense », a-t-il dit.
Rokhaya Fall a rapporté que la mission avait cependant eu accès à des pièces « inédites », comme des actes de décès, en contournant d’éventuelles obstructions étatiques et en passant par les archives des communes. La recherche devra dire si ces actes peuvent être liés aux évènements de Thiaroye.