L’Almamy Maba (1809-1867), contrairement à des déclarations dans une récente vidéo publiée sur les réseaux sociaux, a reçu une solide formation en Coran et sciences islamiques avant de se lancer dans le jihad armé vers 1861.
Chercheur au laboratoire d’islamologie de l’Ifan Cheikh Anta Diop de Dakar, Djim Dramé, cite les matières dans lesquelles l’Almamy a été formé auprès de ses maîtres dans le Rip et le Cayor.
Dans sa communication lors du symposium sur sa vie et son œuvre, en octobre 2017 à l’Ucad II (Université Cheikh Anta Diop de Dakar), il s’appuie sur diverses sources, écrites notamment.
Les enseignements reçus par l’Almamy Maba, disciple du vénéré El Hadji OmarTall, qu’il énumère, sont les suivants :
– Droit musulman ou jurisprudence malikite
– Théologie musulmane : Tawhid
– Tafsir (exègèse)
– La méthode Usul al kalam
– La lexicologie de la langue arabe : Al lukha Al’ arabya
– Le mysticisme : Al tasawwuf
– La tradition du prophète
– La grammaire
– La logique : Al mantiq
– La rhétorique
– La prosodie : Al arud
« En effet, Maba Diakhou, comme on peut le constater, était bien formé. Se fondant sur son parcours, on peut dire qu’il avait reçu une formation auprès d’éminents professeurs », dit-il.
« Ses études achevées au Cajoor, devenu savant, satisfait de son niveau, de ses connaissances islamiques et de sa formation, Maba Diakhou retourna au Djolof chez ses parents où il s’était fixé, un moment, comme maître coranique », ajoute-il.
Il a commencé ses études auprès de son père Ndiogou Hampathé Bâ dans son village natal, Tawakkaltu Hala Lahi, près de Nioro du Rip, fondé par ce dernier.
Il va poursuivre sa formation à Longhor, dans le Cayor, alors qu’il avait déjà un niveau élevé, selon les témoignages de membres de la famille de son marabout Serigne Momar Mbaye à qui son père l’avait confié.
Serigne Momar Mbaye le marie à une de ses filles, Marame Mbaye, mère du deuxième fils de Maba, Ibra Marame BA, qui a suivi son grand-frère Saër Maty BA dans son exil en Gambie en mai 1887.
Ibra Marame BA, qui repose en Gambie, à Keur Ibra Marame, village éponyme qu’il a fondé près de la frontière avec le Sénégal, était un proche de Serigne Amary Ndaak Sekk, selon le chercheur Souleymane Dia, auteur d’une étude sur la tijaanyya maadyanke, un mouvement religieux dans lequel s’est illustré le fondateur de Thiénaba.
Serigne Momar Mbaye a aussi donné au futur Almamy du Rip le nom d’un de ses enfants, Maba Mbaye, grand-père de l’ex-khalife de la famille Mbaye de Longhor, Serigne Abdoulaye Mbaye (RDA).
Il poussera la courtoisie et son amour envers son ancien « talibé » jusqu’à envoyer son jeune homonyme lui rendre visite à Nioro, selon Serigne Abdoulaye Mbaye, un mouride « sadikh ».
Maba Diakhou BA a fait toute sa formation sur le territoire actuel du Sénégal, contrairement à son jeune frère et successeur Mamour Ndary BA qui a été étudier en Mauritanie, chez les Ida Wali.
L’islamologue Assane Seck, enseignant en arabe au lycée de Diamniadio, a traduit en arabe le livre en français que le Professeur Iba Der Thiam a consacré à l’Almamy Maba (NEA, 1978).
Il affirme que ce dernier a également fréquenté l’école de Pire, centre de sciences islamiques réputé où ont été formées plusieurs figures religieuses sénégambiennes.
Selon le chercheur et actuel directeur général de l’institut islamique de Dakar, Docteur Thierno KA, l’Almamy Maba, grâce à son niveau, écrivait lui-même en arabe ses correspondances dont celles destinées à l’administration coloniale française.
Ces lettres peuvent être consultées aux Archives nationales du Sénégal à Dakar.
Il reste que le champ du savoir est infini et chaque être humain aura quelque chose à apprendre jusqu’à la fin de sa vie sur terre.
« Nous élevons en rang qui Nous voulons. Et au-dessus de tout homme détenant la science, il y a un savant (plus docte que lui » (sourate Yûsuf, verset 76)
UNE VIE D’ENSEIGNEMENT CORANIQUE
L’Almamy Maba, dont le nom est précédé du titre de tafsir (exégète) a enseigné le Coran pendant une vingtaine d’années dans le Djoloff et le Rip.
Le nombre d’années pendant lesquelles il a été maître coranique dépasse de loin la durée du jihad armé (6 ans au maximum).
Ces précisions sont importantes dans la mesure où son jihad armé masque cette autre forme de jihad, celui du savoir, qu’il a menée en enseignant le Coran.
Elles sont également importantes pour l’information de certains auteurs qui le ramènent à un simple chef politique.
Un hadith dit que « le meilleur d’entre vous est celui qui apprend le Coran et l’enseigne ».
Avant d’aller livrer sa dernière bataille à Fandane (Somb), l’Almamy Maba Diakhou BA savait, par ses propres procédés religieux soufis et ceux de son frère Mamour Ndary BA, que cet épisode marquerait la fin de son séjour sur terre, selon des récits de dépositaires de traditions orales.
Dès le début de la bataille, il a su que c’était sa fin, ainsi que le rapporte l’historien guinéen Kélétégui Keïta (paix à son âme), auteur d’une étude documentée sur l’itinéraire du chef religieux d’origine peule dont les aïeux viennent de Mbantu, près de Podor.
« C’est aujourd’hui le jour d’adresser ma grande prière à Dieu car il est dit que je ne verrai pas le coucher du soleil », a dit Maba après le début de la bataille (archives nationales).
Maba « aurait alors demandé sa peau de prière, fait ses ablutions et exécuté un salam » avant d’etre atteint par une balle, rapporte Kélétégui Keïta.
Il avait 58 ans.
TESTAMENT A KEUR ABDOU
Trois jours avant d’aller à Fandane, l’Almamy du Rip a réuni ses principaux collaborateurs à Keur Abdou Boury, un village situé près de Nioro, pour faire son testament.
Il prit le soin de faire des recommandations, à son frère Mamour Ndary et des proches, sur la gestion future de ses épouses et enfants, du jihad armé et sa succession.
Parmi ses enfants, il y avait son aîné, Saer Maty BA, alors âgé d’une dizaine d’années et un autre, posthume, son cadet, Ndiogou Cira Marame BA, né après la bataille de Fandane.
Ces prédictions faites par l’Almamy Maba sont rapportées en tenant compte des limites tracées par la Divinité aux êtres humains, s’agissant du futur.
« Et personne ne sait ce qu’il acquerra demain, et personne ne sait dans quelle terre il mourra » (sourate Luqmân, verset 34).
Le Tout-puissant accorde à certains, sélectionnés, la possibilité d’accéder à des parcelles du futur, selon des informations recueillies auprès d’exégètes du Coran.
LE VIATIQUE DE L’UNITÉ
L’Almamy Maba a été accompagné dans son action par des érudits sénégambiens dont les familles font partie de l’ossature du paysage religieux musulman actuel du Sénégal.
Des membres des familles Sy, Mbacké, Niasse, Seck, Dramé, Cissé, Niang, Kâne, Doumbouya (Fodé Kaba de Casamance), Touré, entre autres, des Lébous de la région de Dakar, des populations du Fouta, du Waalo, ont rejoint son mouvement, parallèlement à des chefs temporels et d’autres communautés musulmanes et leurs familles.
Le Professeur Iba Der Thiam les chiffre à plusieurs dizaines, venues de plusieurs coins du Sénégal et de la Gambie actuels.
C’était avant l’établissement de la frontière entre les deux pays en août 1889.
Il les a tous traités avec beaucoup d’égards, suivant les règles de l’islam.
Aucune preuve du contraire ne peut être avancée.
Aucune œuvre humaine n’est parfaite.
Que le Tout-puissant accorder sa miséricorde à tous les acteurs de ce mouvement de prosélytisme religieux.
L’Almamy Maba a mené ses actions à partir du village de Keur Maba Diakhou, où repose son fils Malick Yacine BA, localité qu’il a fondée vers 1850 avec le concours d’un érudit du Rip, Serigne Matar Kalla Dramé, du village de Ndramé Dimb.
Le vrai nom qu’il a donné au village, aujourd’hui plus connu sous l’appellation de Keur Maba Diakhou, est Sham, du nom d’une province située en Syrie.
Keur Maba constituait sa principale base avec Nioro, ancien Paos Dimar, ainsi refondé en s’inspirant de la 24e sourate du Coran, An Nur (La lumière).
C’est An Nur que les populations locales ont corrompu en Nioro.
De cet épisode du 19e siècle qui a vu des populations sénégambiennes s’unir pour un objectif prioritaire, le triomphe de l’islam, il serait mieux d’en tirer des enseignements pour l’unité des musulmans.
C’est cette unité qui leur a valu des victoires comme celle de Pathé Badiane en novembre 1865 contre les colons français, malgré leur supériorité en armes.
C’est une nécessité pour continuer à bâtir le Sénégal, dans la paix, en commun avec nos frères chrétiens, ceux d’autres religions, de tous les segments du pays.
En évitant surtout d’opposer nos figures religieuses, temporelles et coutumières et verser toutes leurs actions dans la même corbeille du patrimoine national.
Comme le Coran le recommande aux musulmans.
« Les croyants ne sont que des frères, établissez la concorde entre vos frères et croyez en Allah afin qu’on vous fasse miséricorde » (sourate les Appartements, verset 10)