Officiellement, le « dépassement » des clivages partisans traditionnels reste le mantra d’Emmanuel Macron. Mais sa volonté d’arracher coûte que coûte un accord sur l’immigration scelle son coup de barre vers la droite, choyée comme jamais par le camp présidentiel.
Ces derniers jours, ses dirigeants ne tarissaient plus de mots doux à l’égard du parti Les Républicains (LR), dont dépend le sort du projet de loi sur lequel l’exécutif a été mis en minorité il y a une semaine par les oppositions coalisées.
A l’image de Yaël Braun-Pivet, qui a salué dimanche « des partenaires fiables » qui « respectent les accords » et auxquels on peut « faire confiance ».
Avant la présidente de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, était allé jusqu’à implorer la « mansuétude » des LR, en leur décernant sans hésitation le titre de « vainqueurs » de la première manche parlementaire.
Des propos qui étonnent quand on sait qu’une fois les caméras et micros éteints, élus macronistes et ministres se lâchent pour étriller le parti de droite, pointant son manque de cohérence et de fiabilité depuis qu’il a en partie fait défaut au gouvernement sur la réforme des retraites, malgré la parole donnée, et lors du rejet du texte sur l’immigration à l’Assemblée.
Le chef de l’Etat lui-même a fustigé la semaine dernière, dans le huis clos du Conseil des ministres, le « cynisme » et le « jeu du pire » des LR, ainsi que du Parti socialiste, avant de dénoncer publiquement leur « immense responsabilité ».
C’est que l’heure est grave.
Malgré sa mauvaise humeur, le président de la République est déterminé à faire aboutir ce projet de loi controversé. Et tant pis si cela revient à multiplier le concessions à ceux-là mêmes dont il épingle l’inconstance.
– « Moment solennel » –
Devant ses troupes, mardi soir à l’Elysée, il avait admis que cet épisode avait valeur de test, évoquant « un moment solennel pour la majorité » sur sa « capacité à continuer à faire avancer des textes au service de l’intérêt général ».
Autrement dit, en cas d’échec, l’ambition réformatrice de ce second quinquennat, déjà contrariée, serait durablement entravée. Et en cas de réussite, cela pourrait démontrer, aux yeux de certains, que le salut de ce mandat passe forcément par des accords avec la droite, comme cela a été le cas pour la plupart des textes adoptés en un an et demi.
Problème: la loi qui pourrait sortir des tractations avec LR suscite déjà des crispations au sein de l’aile gauche du camp présidentiel.
« C’est un rendez-vous raté », constate Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de l’institut de sondages BVA. « Ça aurait pu être un texte emblématique du dépassement, de l’équilibre et du +en même temps+ » cher à Emmanuel Macron, explique-t-elle, soulignant qu’il recueillait l’assentiment d’électeurs de la plupart des camps politiques.
Or, « on se retrouve sur un texte beaucoup plus de droite », souligne-t-elle, et avec un exécutif contraint de s’accorder avec un parti, LR, qui a épousé une ligne « très à droite », flirtant régulièrement avec celle de l’extrême droite.
La politologue rappelle que le socle électoral initial de la Macronie était d’abord composé de sympathisants socialistes, même si une partie d’entre eux s’en étaient détournés à mesure que son positionnement était perçu comme dérivant vers la droite. « Il en restait encore quelques-uns, je pense que cet épisode va signer la fin de l’histoire. »
En coulisses, plusieurs cadres de la majorité décrivent en tout cas un président qui « met une grosse pression » sur ses députés récalcitrants pour qu’ils endossent le compromis. Ainsi que la Première ministre Elisabeth Borne, qui joue, une fois de plus, son fauteuil à Matignon: bien que venue de la gauche, elle ne laisse pas transparaître d’états d’âme à avaler les couleuvres de la droite, ajoutent les mêmes macronistes.
Au sein du groupe présidentiel Renaissance à l’Assemblée, les grincements de dents de l’aile gauche en disent long sur cette droitisation en cours.
« On a donné le point politique » aux LR, « ça ne fait que les renforcer dans l’idée que leur stratégie est bonne pour l’avenir », s’alarme une source interne, quand un cadre macroniste prévient sans détour: « Attention à ne pas fracasser le dépassement tel que voulu par le président! »