La fin de la III République – Histoire constitutionnelle du Mali (18 août 2020-28 mai 2021): voilà un intitulé digne d’un polar, d’un best-seller mondial! Balla Cissé, Docteur en Droit public et avocat au barreau de Paris ; l’auteur de cet ouvrage, à l’image de l’illustre homme politique et homme de lettres Aimé Césaire dans la Tragédie du roi Christophe, évoque avec un réalisme déconcertant le destin d’un peuple, le peuple malien, tout en détaillant ses idées sur l’avenir constitutionnel de son pays, position inattendue pour un juriste, mais remarquable et salutaire, car la réalité politique malienne n’est pas si éloignée de l’image funeste du destin des Haïtiens tel que le rapporte le poète martiniquais.
Depuis son indépendance en 1960, le Mali a connu en effet des convulsions politiques marquées par un grand nombre de coups d’État militaires dont le fut le 18 août 2020, à la suite d’une série de manifestations organisées par le Mouvement du 5-Juin Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), le colonel retraité et ancien ministre de la Défense Bah N’Daw est désigné président de la Transition par le colonel Assimi Goïta qui a mené le coup d’État contre IBK et occupe la fonction de vice-président chargé des questions de défense et de sécurité. Un changement de gouvernement pousse ce dernier à écarter le Président le 25 mai 2021 et à lui succéder. En proposant de dresser l’acte de décès de la III ème république du Mali, M. Balla Cissé́ n’a pas choisi la facilité mais en juriste averti il instruit le lecteur et ne souhaitant pas rester spectateur il a pour projet de préparer l’avenir. C’est l’objet de cet essai de 213 page de la maison d’Édition Études africaines paru en décembre 2022
Dans cet essai, le Mali, comme l’auteur le montre bien, est pris dans une histoire où s’entremêlent, se confondent, s’entrechoquent coups d’État, régimes militaires, Républiques, institutions constitutionnelles démocratiques. La situation n’est pas inédite en Afrique mais elle atteint un degré́ particulier de complexité́ au Mali résultant de la succession de putsch à répétition que la population n’a pas hésité́ à soutenir , et qui n’ont pu être empêchés par les instances internationales ni même par le nouveau constitutionnalisme des années 90 ; que l’on se souvienne des espoirs mis dans l’article 121 de la constitution du 25 février 1992 disposant que : « tout coup d’État ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien ». On retiendra des développements souvent exprimes en termes vifs mais stimulants de M. Balla Cissé, que le cas Malien, particulièrement aujourd’hui, est un bon exemple de ces évolutions politiques mettant en difficulté́ le constitutionnalisme voire sa légitimité́ et en tout cas son efficacité́ ; une des raisons mais ce n’est pas la seule tient à la nature et aux prétentions constitutionnelles des régimes issus de coups d’État. Ne constate-t-on pas, ici au Mali comme ailleurs, l’utilisation décomplexée et opportuniste du droit constitutionnel par les auteurs des coups d’État prenant appui sur les dispositions constitutionnelles et convoquant, la justice constitutionnelle, comme d’autres l’ont fait à Madagascar, au Burkina Faso.
« La question est posée pas uniquement pour le Mali et les régimes militaires ; elle l’est dans cet ouvrage, et elle montre la nécessité de poursuivre les nombreuses réflexions sur la recherche de nouvelles approches, d’autres institutions voire théories du constitutionnalisme dont dépendent son avenir et celui de la démocratie, mais aussi de s’entendre sur la sémantique et les mots… Reste « l’’avenir constitutionnel pour le Mali » comme s’y engage M. Balla Cissé ; pour ce faire celui-ci apporte des propositions, précises et argumentées ; chacune d’entre elles mériteraient d’être discutées ; elles le seront certainement tant elles sont incontestablement de nature à nourrir le débat constitutionnel au Mali qui ici comme ailleurs est loin d’être clos. » , écrira dans la préface Jean du Bois de Gaudusson , Professeur émérite à l’université́ de Bordeaux De l’Académie des Sciences d’Outre – Mer
Aujourd’hui, il est évident que, placé sous l’emprise d’une transition militaire interminable et subissant la recrudescence des menaces djihadistes et sécessionnistes, le Mali vit dans l’incertitude en matière constitutionnelle et ignore quelle forme peut prendre son avenir. Dans ces circonstances, la doctrine est appelée à jouer le rôle d’éclaireur. C’est en cela que l’ouvrage de Balla Cissé nous aide à comprendre le présent, par un détour dans le passé, pour anticiper l’avenir de façon optimiste. Il ne se contente pas d’une description impassible devant l’agoni constitutionnelle de son pays, mais propose des solutions.
À son tour Éric M. NGANGO YOUMBI, Agrégé de droit public et Membre de l’Association internationale de droit constitutionnel Université de (Cameroun) dira dans l’avant-propos que le lecteur comprendra aisément qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage d’histoire constitutionnelle, mais bien d’un ouvrage d’actualité constitutionnelle qui se réfère à une dizaine de mois (du 18 août 2020 au 28 mai 2021), fait quelques utiles digressions dans le passé et donne des conseils pour l’avenir. Il n’est pas question d’un récit des événements passés ayant des implications constitutionnelles, mais d’une histoire qui se déroule dans le présent, exposant les événements politiques actuels et les processus politico-constitutionnels à l’œuvre. Ce travail se rapproche de celui d’un Éloi Diarra, qui, dans une étude parue en 2010 dans la Revue juridique et politique des États francophones, en analysant les moments charnières de l’histoire politique du Mali (période précoloniale, coloniale, indépendance) détaille le passage d’une Constitution à une autre. En quatre articulations, l’ouvrage de Me Balla Cissé explique clairement les origines du coup d’État d’août 2020 et rend courageusement compte des différentes responsabilités dans la situation de déconfiture politique et déroute institutionnelle qui a succédé au coup de force qui sert de référence. Il passe au crible de l’analyse constitutionnel ‘action de l’armée au pouvoir (le Conseil national transition), celle de la Cour constitutionnelle, à qui il d’avoir fermé les yeux sur des entorses faites à la Constitution reproche d’avoir légitimé de façon sibylline le Conseil national de Transition (arrêt du 18 décembre 2020), et d’avoir son finalement le glas de la III République (arrêt du 28 mai 2021).
Balla Cissé est un constitutionnaliste plein de conviction qui offre à la doctrine un essai qui se lit d’une seule traite. Il s’agit incontestablement d’un écrit de droit constitutionnel, car s’il est le droit de la Constitution, l’on doit convenir avec Denis BARANGER que la Constitution n’est pas seulement l’espace où se déroule l’action politique telle que le droit la met en forme », mais aussi «<le lieu où sont fixées les conditions de création du droit >>. Le lecteur africain et étranger, sans forcément partager certaines interprétations de l’auteur, sera plus instruit sur une parenthèse importante et actuelle de l’histoire constitutionnelle du Mali qui peine à se refermer.
Ils nous restent plus qu’à souhaiter que les acteurs de ce processus complexe concrétisent les idées de Balla Cissé et mettent à profit sa réflexion dans la recherche d’une solution durable au casse-tête constitutionnel malien.
Bokoum Abdoul Momini