« L’espace civique n’existe plus au Burkina »

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Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, des pays dirigés par des militaires putschistes, les activités des partis politiques sont quasiment suspendues et les leaders de la société qui dénoncent l’usurpation du pouvoir par les militaires sont soit arrêtés et emprisonnés, soit envoyés au front pour combattre. Binta Sidibé Gascon, militante engagée pour la défense des droits humains et le vivre ensemble au Burkina Faso, le constat est sans appel : l’espace civique n’existe plus dans son pays.

DW : Binta Sidibé Gascon, Soyez la bienvenue.

Binta Sidibé Gascon : Merci, bonjour!

DW : Votre ONG, madame Sidibé Gascon, s’engage dans la promotion des droits de l’homme au Burkina, Que pensez vous des restrictions imposées actuellement avec l’objectif affiché de rendre les populations patriotes?

Binta Sidibé Gascon : Je dirais que, il y a quelque temps, on parlait, on pouvait encore parler de restriction d’espace civique au Sahel. Mais aujourd’hui, honnêtement, on pourrait dire que l’espace civique n’existe plus. Les activités des partis politiques sont suspendues. La presse est poussée à l’autocensure. Toute personne qui dénonce la situation nationale, par exemple au Burkina Faso, est susceptible d’être envoyée au front. Les enlèvements sont multipliés, les disparitions forcées… Il n’y a plus d’espace civique aujourd’hui ! En parlant spécifiquement du Burkina Faso, on est arrivé à une situation inédite.

DW : Et qu’est-ce que ça veut dire pour le travail de votre ONG?

Binta Sidibé Gascon : Pour le travail de notre ONG, c’est une situation très difficile. Pour dénoncer, il faut prendre des pincettes. Il faut essayer d’exposer le moins possible, les collègues, mais il faut continuer à avoir le courage, à oser dénoncer, avec toutes ces menaces qui pèsent.

Aujourd’hui, il faut savoir qu’on est, les organisations de la société civile au Sahel, on est classées en deux catégories : soit on soutient les juntes, on est considéré comme patriote. Ou soit on continue à faire notre travail, à dénoncer ce qui se passe, malgré toutes les menaces, comme je vous ai dit et là, on est considéré comme des apatrides. Aujourd’hui, nos collègues qui sont sur place, s’ils veulent vraiment continuer leur travail, ils risquent d’aller au front, comme ça a été le cas de nombreuses autres personnes. On peut parler par exemple du Dr Louré qui est un anesthésiste. Sa place n’est pas au front ! Je pense qu’on a plus besoin de lui à Ouagadougou que sur le front !

DW : Le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir au Burkina a présenté, il y a quelques jours, son plan d’action pour les cinq prochaines années de transition. Pour lui, les ressources naturelles du Burkina doivent être transformées sur place et il promet une réforme du code minier. Est-il sur la bonne voie selon vous?

Binta Sidibé Gascon : C’est très difficile de vraiment de décrypter le discours du capitaine Traoré du 11 juillet pour une défenseuse des droits humains. J’aurais aimé rester vraiment dans la case question de défense des droits humains. Mais je pense qu’on doit quand même réussir à travailler avec ce nouveau gouvernement en place. Certes, on ne peut pas cautionner un coup d’État, mais les dernières assises au Burkina Faso vont conduire le président Traoré pourcinq ans au pouvoir. Donc à un moment donné, je pense qu’il va falloir trouver un terrain de discussion, de remettre en place les choses. Et la première remise en place des choses je pense que c’est déjà la promesse que le capitaine Traoré a faite. Parce qu’il nous a quand même promis, le jour de sa prise de pouvoir par la force et l’installation d’un régime militaire, qu’il allait apporter des réponses sécuritaires. Est ce que ces réponses sécuritaires sont apportées aujourd’hui au Burkina Faso ? Je dirais elles sont mitigées.

DW : Donc, on a parlé de la situation sécuritaire. Quels sont les témoignages que vous avez ?

Binta Sidibé Gascon : Les témoignages qu’on a, c’est des témoignages, vraiment très inquiétants et très alarmants. Ce sont des témoignages, comme j’aime bien le dire, loin de la capitale. Parce que ce qu’on veut nous renvoyer toujours, c’est le message qui vient de Ouagadougou. Nous, les témoignages qu’on a, c’est des témoignages, comme on dit, en province, des personnes sur le terrain dont certains auraient, il semblerait, regagné leur village. Et ces personnes là, ont été obligées, ont été ramenées dans leur village mais ne peuvent pas du tout y passer la journée. Beaucoup de personnes nous disent que quand l’armée nous ramène, ils communiquent à la télé, ils nous disent « le drapeau burkinabé flotte de nouveau dans telle zone, nous avons réussi à chasser les groupes armés terroristes et à ramener les populations déplacées internes » … les gens nous disent non, c’est pas la vérité.

Auteur: Christina Gerhäusser

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